Jean-Marie CHEVRIER est auteur de romans entre autres historiques sur la CREUSE. Quand je m’occupais d’IMAGES INNEES, une association Littéraire sur Aubusson, il m’avait fait l’honneur d’écrire un petit texte sur la ville. J’ai toujours adoré ce texte qui reprenait en Prométhée le titre de notre petite revue de l’époque alors je le replace ici pour ceux qui ne l’auraient pas lu.
C’était avant que la colline du chapitre n’ait reçu la visite des chanoines. Bien avant. Avant même que ne se développât en bas dans les gorges et les méandres, une poignée de basses habitations où s’acheminaient des ébauches d’hommes. Ce temps là, nous y sommes encore même si nous croyons en être sortis dans l’émergence des bipèdes. Donc antérieurement à l’homme, l’homme connut un état de perfection : de géométrie et de marbre blanc. Le ciel ignorait le nuage et la Creuse coulait en abondance, venue de sources inconnues, mais fortifiant ses rives d’un limon nourricier. Il y avait des récoltes et des semences, ou l’inverse, mais la question ne se posait pas tant l’ordre était de rigueur. Chaque vie savait son nombre de jours et chaque jour le nombre de pas qui devait le franchir. De larges édifices patriciens bordaient des avenues de la largeur des fleuves quand elles ne bordaient pas ce même fleuve. Et des navires hauturiers, même si loin de toute présence océane, battaient les quais avec mollesse avant de cingler eux aussi sur des routes de parfaite rectitude. Ce n’est qu’alors que les dieux furent invités à y descendre, contrairement aux idées reçues, ils craignaient le chaos. A chacun fut attribué un territoire avant que ne lui soit assignée sa fonction. Bien que nombreux, ils ne surent occuper tout l’espace, laissant vacant et aléatoire des bouts de terres qu’on ne leur avait pas signalées, notamment cette superficie entre Néoux et Blessac qui n’était pas encore qualifiée d’hercynienne. Ils les concédèrent en fermage à la sous espace des héros. C’est ainsi que PROMETHEE hérita AUBUSSON. Longtemps il l’oublia, sollicité de grandes questions politiques et humanitaires qui lui laissaient peu de temps. Il demeura longtemps sur la Caucase, à se faire manger le foie et ce n’est guère qu’après la grâce de Zeus, rentré chez lui, que, faisant l’inventaire de ses titres de propriété, il découvrit qu’il avait des droits sur cette partie du monde. Le monde il en avait soupé, et trouver une villégiature reposante où l’oublier un peu lui chanta. Il y vint seul. Depuis la venue des dieux les lieux avaient bien changés, les hommes avaient fui, las d’être leurs proies ou leurs jeux. Ce n’étaient que ruines et désolation. La terre elle même, l’arable avait quitté le sol et les bêtes aussi qui ne pouvaient manger. Le fleuve s’était rétréci à n’être plus qu’une coulée maigre, roulant des eaux acidulées entre les écheveaux de branches sèches. PROMETHEE n’était pas titan à se décourager. Sa rigueur, que, de nos jours, on dirait sainte, le vouait au dénuement. Il n’avait donc avec lui qu’une brebis au museau long et courbe, assez laide, mais généreuse de son lait et forte pourvoyeuse de laine. Un soir qu’ils étaient seuls, Prométhée s’assit par terre et prit appui des coudes sur le dos de la bête. C’était exactement où sont les ruines du Chapître : il n’y avait alors là que trois ajoncs et un genévrier. Emu de solitude, il laissa ses yeux plonger dans la vallée, Bien que plus rien ne se devinât de la ville splendide qui, autrefois, avait occupé l’espace, il perçut de manière confuse que l’homme avait tracé des lignes de la même façon qu’aujourd’hui d’un petit avion, on relève les plans d’une villa romaine dans un champ de blé. Prométhée était bâtisseur mais il était vieux et tendre et d’avoir plongé le nez dans la toison de sa brebis l’engagea à faire une ville avec de la laine. rien que de la laine. Il tondit sa brebis avec grand soin, lava, carda, dévida et fila. Et quand il eut la laine, il en tressa un fil unique et long. De le faire aller de gauche à droite et de droite à gauche sur le cadre de la vallée, il dessina la ville. Elle était blanche, un peu écrue parce que un mouton n’est pas blanc même aux yeux du poète, un peu sale dans ses mauvais quartiers que Prométhée avait fait de la partie la moins noble de la bête -mais protectrice comme une tente dans le désert – et les bergers y vinrent nombreux. Ce sont eux qui eurent l’idée d’y mettre des couleurs, surtout des verdures, ce qui, pour un berger, est normal. Ainsi la ville un temps dura. Elle disparut un jour. Le goût de la laine s’y maintint et à son tour s’oublia. Mais du chapître, encore que les ruines puissent vous gêner, peut poindre, sous une précise incidence de soleil couchant, le filigrane des villes qui, ici, autrefois passèrent.
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