Entretien avec Claude MILLER, Cinéaste, le 23.06.96

En 1996 (presque 10 ans déjà !), j’ai attaqué un diplôme universitaire de responsable de formation, option développement local. Je vous raconte pas ma vie, juste que le sujet de mon étude était Aubusson et son impact culturel dans le champ du développement local. Pendant cette période, j’ai interrogé divers acteurs culturels d’Aubusson ou qui gravitaient autour de la ville. Ces entretiens ont été filmés et j’en ai tiré des textes a étudier. Les textes en eux-mêmes sont révélateurs. Je vais ici vous en livrer quelques-uns selon les autorisations de publication que j’aurais des divers intéressés. En attendant les autres, commençons par l’entretien avec Claude MILLER, cinéaste et pas des moindres.

JNS : Claude, tu as une maison en Creuse depuis un moment,  qu’est ce que tu viens chercher ici ?
CM : Oh, ben, ce que je viens chercher ici, c’est comme, j’aime pas beaucoup ce mot-là, les gens qui ont une résidence secondaire, je viens y chercher le calme évidemment le calme quand c’est pour travailler, je viens y chercher un certain calme, une certaine beauté des choses, beauté des paysages, une atmosphére que je connais maintenant depuis 15 ans et que j’aime à retrouver et qui maintenant fait partie de… comment dire … de mon paysage intérieur. Voilà ce que je viens retrouver, j’ai besoin de me retrouver ici réguliérement et je serai certainement très démuni si tout à coup je n’en avais plus la possibilité.

JNS : Tu es né à Paris, tu travailles dans le cinéma, la province, ce n’est pas quelque chose que l’on « vend » facilement, dans ce milieu…
CM : Ca dépend, ça dépend de quel point de vue on se place, il est certain qu’il y a une tradition de centralisation de… disons les opérateurs, à Paris en ce qui concerne le cinéma, les écoles de cinéma sont à Paris, les studios sont à Paris, les grands bureaux de production sont à Paris, c’est vrai il y a un côté comme ça, comme dans beaucoup de domaines français qui viennent d’une tradition française depuis la révolution, c’est une espéce de tradition jacobine, je crois, qui fait que l’on centralise à Paris. On centralise à Paris et  il y a eu même des échecs dans la décentralisation, enfin je parle de l’ancien. Il y a eu des studios à la Victorine parce que c’était la Côte d’azur, parce que ça pouvait créer un appel. La Victorine a eu de très très beaux jours, pendant longtemps et puis est morte quasiment de sa belle mort, enfin, ça ne marche pas. Par contre ce qui marche pas trop mal sur le plan de la décentralisation, ce sont des choses qui existent, c’est le ministére Jack Lang qui a promu ça, ce sont des centres de production, d’intéressement à la production audiovisuelle en province, il y en a un qui marche très bien à Lyon, il y a eu des essais dans l’ouest, Bordeaux essaye de faire quelque chose, à Marseille aussi, il y a aussi comme ça des centres de production qui donnent comme condition d’entrer en participations financiéres pour que l’on tourne dans la région, ça , ça marche pas mal.

JNS : Donc, dans le cinéma, on a une administration centralisé, mais on va chercher des décors, des endroits ailleurs qu’à Paris ?
CM : Oui bien sûr, alors là maintenat j’évoquais le fait qu’il y avait plusieurs aspects à cette question. Il y a maintenant la matière, le décor, les décors des films, suivant les scénarios. Que ce soient des films d’ailleurs ou des documentaires, j’ai parlé que de la fiction. Les décors des films, des produits audiovisuels, alors là, je pense qu’il y a aucun ostrasisme, on va là où ça doit se passer, là où c’est le mieux croit-on pour le bien artistique, le contenu ou ce qu’on veut du film. Alors maintenant ce que je dis me fait immédiatemant penser à quelque chose, si on prend la Creuse, c’est vrai qu’il y a très peu d’exemple de tournage en Creuse alors que je disais au début de la conversation que c’était un paysage absolument, enfin très très particulier, qui a charme tout à fait prenant, c’est une région qui est aussi intéressante sinon plus que bien d’autres dans lesquels il y a plus de tournages. Moi, je crois qu’il y a deux raisons, toutes simples. C’est que, un, longtemps, et encore maintenant la Creuse est très enclavé, que ce soit sur le plan ferroviaire, routier, c’est pas le plus facile à atteindre, et si il faut, pour aller en Creuse, qu’une production perde quasiment une journée, parce que, avec le matériel et tout, alors que dans le même temps, on peut aller dix fois plus loin, ça crée déjà un probléme. Le deuxième problème alors très très important, c’est que faire des films, c’est toujours des équipes d’un certain nombre de personnes et, je pense et je le regrette, la Creuse, pour différentes raisons est très très très mal, surtout le milieu de la Creuse, est très très mal desservie sur le plan des structures hoteliéres, voilà. Alors ça, un directeur de production de cinéma a qui son metteur en scéne dit Et si on tournait en Creuse parce que ceci, parce que cela en montrant les photos les plus merveilleuses du monde, il va dire oui mais où est-ce que je loge mes quarante personnes, bon, il y a des petits hôtels qui sont charmants, c’est vrai, y’a des gîtes ruraux mais jamais Catherine Deneuve va vouloir aller dans un gîte… non, bon voila, je fais…y’a tout ce problème là qui est une des explications un peu triviale mais certaine du fait que les gens, en Creuse, disent mais où est-ce qu’on va habiter, où est-ce qu’on va loger, voila.

JNS : Par contre, tu as une maison ici, Luc Béraud a une maison pas loin, vous êtes quelques-uns a venir travailler ici, a venir réflechir ici …
CM : Ah oui, bien sûr, ça, ça marche. Puisqu’on parle d’un espéce d’accueil des artistes si je comprend bien ou pour venir travailler. C’est vrai que dans le cinéma, y’a pas que le tournage, y’a la phase préparatoire, le scénario et moi, maintenant que j’y pense, ça fait bien 15 ans que je viens ici réguliérement… enfin y’a peu de mes films ou des scénarios de mes films dont une partie ou tout n’a pas été conçu ici, parce que c’est vrai que c’est là que je trouve le calme, que je peux refuser de me rendre à des rendez-vous qui n’ont rien à voir avec mon travail immédiat, enfin, bon, c’est vrai qu’il y a une tranquillité. Là, c’est vrai que quand il s’agit de cet accueil, de trois ou quatre personnes, des quatre personnes maximum qui s’occupent de la pré-production d’un film, enfin deson écriture par exemple, du scénario, là, c’est très très valable.

JNS : Peut-être en forme de provocation, tu ne tourneras jamais en Creuse parce que, sinon, les gens vont commencer à savoir, à venir (rires de Claude) et tu ne seras plus jamais au calme.
CM : Oui, c’est pas une provocation. Non ben ça, c’est pas… c’est pas ça parce que maintenant que ce soit moi ou des gensdisons plus prestigieux que moi comme Nathalie Baye ou Lanoux, on sait qu’ils habitent là. Je pense pas qu’ils soient particuliérement embêté ou perturbé dans leurs vacances. Ca, c’est a chacun de mettre les barrières le plus gentiment…Non, c’est pas ça et j’avoue que si il y avait une facilité d’accueil, encore une fois de structures hoteliéres, logistiques, quoi, pour venir tourner en Creuse, je me génerais pas, je me génerais pas, au contraire, ça serait très pratique, moi, j’habiterai chez moi, enfin, non, ça j’ai absolument rien contre et il n’a jamais été dit que, parce qu’on a tourné un film dans une région, cette région a été pillée,enfin, non, ça c’est une rigolade.

JNS : Tu parles de deux personnes, Nathalie et victor Lanoux, j’attrape la balle au bond. Victor Lanoux, lui dans son coin s’investit, fait venir des gens, fait une fête, c’est du parisianisme, pour toi, ou ça tient d’un individu qui a envie de faire pour la Creuse ?
CM : Je crois pas, je pense que c’est une question de tempérament, je ne sais pas ce qu’il en est de Nathalie, je ne connais pas Victor Lanoux, je pense que son tempérament doit être celui d’un homme sociable, qui aime bien créer un mouvement autour de lui et ça c’est vraiment une question de tempérament. Moi, je serais plutôt un espéce d’ours, je le sais, c’est vrai que … mais par contre je crois que s’il y avait l’occasion de faire quelque chose pour la Creuse dans mon style à moi, dans mon style d’ours, c’est-à-dire d’aider à ce qu’une initiative se crée. Je crois que j’ai beaucoup fait pour une salle municipale qui s’est crée à la Souterraine, j’ai fait le maximum et je continue à faire. Quand je peux dans mon style et dans… voilà, chacun…C’est très bien ce que fait Victor, je crois pas qu’il le fasse dans un but de promotion personnelle dont il a absolument pas besoin, enfin bon, il me semble, il en a pas besoin donc s’il le fait, c’est que cela lui fait plaisir, c’est dans son tempérament.

JNS : Maintenant, le regard que tu as sur les choses culturelles qui se passent ici. par rapport à Paris, il y a un monde ?
CM : J’ai l’impression, pour différentes raisons, parce que il y a des époques où je viens moins ici, parce que je tourne beaucoup ou… parce que je suis raremnt là, mais j’ai l’impression depuis encore une fois une quinzaine d’années que je connais le coin, malheureusement mon impression très superficiel, je suis très prudent, mais puisque tu me demandes mon impression je te la donne, c’est que ça n’a pas bougé. Vraiment profondément, c’est-à-dire que je crois que je suis arrivé quand arrivait à Aubusson par exemple, cette… ce… c’est une maison de la Culture ? c’est mieux ? Ce centre culturel qui était dirigé par certaines personnes qui faisaient leur travail, avec des activités, cinéma, danse, théâtre enfin tout ce qui faut et puis des choses liés à la Tapisserie bien entendu. Et puis bon, maintenant j’arrive, je vois une affiche pour le centre culturel, je vois des choses, c’est pareil. Je dis pas que c’est mieux ou c’est moins bien, je parle de quantitativement c’est pareil, c’est peut-être très méchant ce que je dis ou sévére et puis surtout je mets beaucoup de prudence, parce que je n’ai pas le nez dessus, je donne un point de vue comme ça. Ce qui me fait toujours peur avec ces centres culturels, c’est qu’évidemment, comme on disait tout à l’heure pour Lanoux ou moi, ils sont le reflet des personnalités, des tempéraments des gens qui les dirigent et j’ai toujours eu peur, dans le domaine des directions des Centres culturels, c’est la spécialisation, c’est-à-dire qu’il y a ceux qui sont théâtre, il y a ceux qui sont danse, il y a ceux qui sont Cinéma, il y a ceux qui sont B.D. et ça je me méfie des gens qui ont des étiquettes comme ça et, ça a l’air énorme ce que je dis parce que ça a l’air presque caricatural, et en fait malheureusement, ça correspond à une réalité, c’est que on manque de pluralisme, on manque d’ouverture. C’est peut-être aussi une question d’argent,  c’est peut-être que il faudrait, pour empécher quelqu’un d’être plutôt B.D. que chorégraphie et d’être à la tête d’un Centre culturel, alors évidemment, il faudrait un gouvernement, des ministres, le ministre du cinéma, etc. évidemment il faudrait de l’argent, ça on le sait mais enfin ça c’est un probléme que je remarque et je remarque tout à coup, il y avait, il y a toujours une très jolie salle de cinéma au début, elle est toujours là, elle  a un peu fonctionné au début et là j’ai l’impression qu’elle est morte, je sais même pas si elle existe encore. Bon, je connais pas les gens qui dirigent, ou je les connais mal et bon, ben je suppose que c’est des gens qui on pas un grand intéret pour le cinéma par exemple. Bon mais si j’étais chorégraphe, je râlerais autant ou alors je serais content par ce qu’ils font, enfin voila, ça c’est un petit peu embêtant, ce côté on soigne son bébé, on a son chouchou et alors moi, je trouve qu’une ville comme Aubusson, d’ailleurs je prend les villes principales de la Creuse, sur le plan de l’activité culturelle municipale, ça me paraît pas… ça me paraît très insuffisant, ça me paraît très insuffisant. alors c’est certainement dû à des questions budgétaires ou autres, je sais pas, je n’ai pas encore une fois le nez sur les comptes, les répartitions ou autres.

JNS : A Paris, tu entends parler d’Aubusson ?
CM : Non, jamais. Jamais, je te le dis très brutalement et très souvent quand on me dis mais où tu vas, je dis je vais dans le Limousin, mais où dans le Limousin, dans la Creuse. Ah, c’est où ? le c’est où me reviens tout le temps. Je dis : ben, tu vois, tu traces une ligne Clermont-ferrand Limoges et c’est au milieu, y’a une ville qui s’appelle Aubusson. Ah oui Aubusson, la tapisserie ! voilà mais la plupart des gens savent pas qu’Aubusson, c’est la Creuse et la Creuse, c’est Aubusson, ou Guéret, ils le savent pas. Y’a un probléme là, (rires) de promotion.

JNS : Par contre, on a Aubusson Tapisserie ? Sans le situer géographiquement…
CM : Oui, exactement, Aubusson, c’est la Tapisserie. Ca l’est encore, peut-être que pour les générations à venir, ça le sera plus. Alors là on saura plus du tout ce que c’est.

JNS : La Tapisserie est-ce que c’est culturel ?
CM : Oui, ça me paraît beaucoup plus… enfin, le mot culturel est large, hein. Si c’est l’art vivant, l’art d’aujourd’hui, non. Je parle de l’image que ça donne. Si c’est comment dire un patrimoine historique, forcément, crée par sa connaissance un enrichissement, un travail sur les formes, ça, ça c’est évident. Un artisanat qu’il faut…plus qu’un artisanat, un artisanat à tendance artistique évidente qu’il faut maintenir, sauvegarder, c’est évident maintenantje pense que, profondément, qu’il n’est pas bon pour une ville comme Aubusson, que l’on dise Aubusson Tapisserie, seulement, qu’on ne dise pas autre chose. Ca serait bien qu’il y ait des forces vives qui fasse que, dans dix ans, parce que ça se fait pas tout seul, qu’on dise Ah oui, Aubusson, là où il y a le festival de Choses, qui n’a rien à voir avec la Tapisserie, où il y a l’Andouille, ou… non mais autre chose, ça ça serait pas mal.

JNS : Il y a un test qui vient de se passer juste ces trois derniers jours, le festival des créateurs de télévision, tu as entendu…
CM : Ah oui, oui. J’ai entendu parler de ça ici. Figure-toi que, d’une façon assez amusante, c’est que je suis arrivé lundi et  que mardi, je vais acheter du tabac à Aubusson, et le buraliste, libraire, presse me dit Vous venez pour le Festival ? Je dis quel festival ? Vous en avez pas entendu parler ? J’dis non ! ah y faut vous mettre au courant ! bon, mais il a pas su me dire.  Alors j’ai dit tiens y’a un festival, ça doit avoir un rapport avec le cinéma parce que ce monsieur savait très bien que j’étais cinéaste, mais qu’est-ce que ça peut être. Le lendemain, je déjeune avec mon copain Luc Béraud qui est réalisateur et qui a une maison ici, que tu connais bien. Il me dis Ah tiens, tu sais, il y a le festival de créateurs de, de… ah bon première nouvelle, je ne le savais pas. Y’a eu très très peu de publicité, en tout cas même dans la presse professionnelle.

JNS : Justement tu disais on pourrait faire le festival de …je sais pas quoi
CM : C’est pareil, on en revient aux structures d’accueil, hein. On a essayé, avec ton père, on avait des idées, on voulait faire le Masque & La Plume ici, on cherchait, on cherchait des idées et ça a toujours un peu buté là dessus, sur les structures d’accueil parce qu’un festival, c’est en général beaucoup d’invitations.

JNS : Dis moi, la Creuse, en terme de développement…
CM : Je pense qu’il y a des choses à faire. En terme de développement, c’est de faire connaitre la Creuse aux artistes, dans quelques domaines qu’ils soient, et pour la faire connaitre, il faut que des manifestations aient lieu, ou des choses comme des festival évidemment mais l’initiative ne peut en venir que des gens de la Creuse. C’est à vous de… puisque vous êtes sur place, je crois que c’est à vous de talonner vos pouvoirs publics, de talonner vos conseils régionaux pour que quelque chose se passe et à ce moment-là, je pense que si l’action commence, mais peut-être qu’elle est déjà commencée, ben, c’est vrai que des gens comme moi, comme Nathalie, comme Béraud, comme… enfin dans le domaine cinéma, mais il y a d’autres domaines, je pense qu’il y a des écrivains qui vivent ici, je pense qu’il y a des peintres. Enfin, je sais pas dans tous les domaines, ça m’étonnerait qu’on se défile parce que, quelque part on est attaché à ce coin, on n’est pas indifférent… c’est vrai, et je crois que…je met de côté tout de suite… on peut dire en plaisantant, oh oui mais alors on viens ici pour qu’on nous foute la paix. On le dis en plaisantant mais c’est pas vrai. C’est pas vrai, on serait très heureux que la Creuse soit reconnue à sa juste valeur.

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