En 1996, Jean-François HUBERT était le directeur du Théâtre Jean Lurçat, Scène Nationale. Une vision extérieure ou intérieure à la ville ? à lire..
JNS : Dès le moment où l’on parle culture à Aubusson, vient tout de suite à l’esprit, un lieu. Ca a été le Centre Culturel, c’est le théâtre. Il y a un changement, d’ailleurs, de titre dans les textes ou…
JFH : Ben, depuis deux ans oui. Enfin, comment vous dire… Je veux pas faire une réponse… une réponse trop longue. Ca va amener à vous dire comment je vois les choses. On m’a fait la proposition d’étudier un projet artistique pour la Scène Nationale d’Aubusson. On m’a nommé avant ce projet , mais on m’a fait la proposition d’étudier un projet. Donc c’est procéder d’une manière tout à fait empirique et par inconcevance, c’est-à-dire que je suis venu, je ne connaissais pas la région. Pour pouvoir faire un projet, le seul moyen était de venir le plus souvent possible sachant qu’on m’avait donné pas mal de temps pour réfléchir à cela. Donc je suis venu assez fréquemment, voir comment ça se passait, faire le tour de la région, dans la ville, voir la présentation publique et j’ai vu une chose qui m’a frappé dans un établissement qui s’appelle Centre Culturel et artistique Jean Lurçat. Il y avait un Musée de la Tapisserie et une Scène Nationale, mais la scène nationale ayant comme nom Centre Culturel Jean Lurçat et comme évidemment sur les murs, ne peuvent pas être inscrit Scène Nationale. Comme c’est un label qui est lié à un projet artistique et qui peut disparaître comme il apparaît, donc ça ne peut pas être gravé dans les murs. je voyais donc qu’il n’était pas visible qu’il y avait une Scène nationale et en tout cas une salle de spectacle et c’était visible d’une manière très maigrichonne à l’intérieur, photocopies, machins collées sur les murs, donc ça me semblait un peu maigre et un peu peu et surtout prêtant à confusion et étant entendu que sur les routes de Creuse et dans la ville d’Aubusson n’apparaissait pas du tout la présence d’un lieu qui se trouvait être un théâtre, une scène de spectacle. Donc ça semblait poser un problème, c’est pour donner un exemple de la façon dont je regardais les choses. je me suis dit « est-ce qu’on ne veut pas le montrer car on n’en a honte, ou est-ce qu’on y pense pas tout simplement ». je n’ai pas fait de psychologie là-dessus mais je me suis dit une chose, il fallait que l’établissement ait une image et une image , ça passait par un titre et donc dans mon projet artistique, j’ai indiqué tout de suite qu’il me semblait tout à fait nécessaire, pour clarifier les choses, pour installer de bonnes relations avec nos voisins de la maison, c’est-à-dire le musée, qu’on puisse avoir une existence par notre nom, ça me semblait gênant que l’on indique qu’il y avait un directeur du Centre Culturel et un conservateur. Comme si le directeur du Centre Culturel était le directeur de l’ensemble de la maison. Vous voyez ça, créé… et j’ai réfléchi, c’est pas sorcier mais j’ai réfléchi à ça, ça ne peut pas aller et à parler de cela sachant, parce que je connais un peu le paysage des établissements artistiques de France, je savais donc qu’Aubusson était un cas unique, que la scène nationale d’Aubusson était un cas unique puisque c’est la seule scène nationale dans une ville de moins de 10 000 habitants. Il me semblait qu’il y avait plutôt lieu de le mettre en avant et en être fier, j’espère, mais en tout cas, à bien manifester qu’il y a quelque chose de tout à fait particulier, rare, réellement unique en France, dans l’existence de cette scène nationale. Voilà, c’était la raison pour laquelle j’ai fait cela. Donc on a pas changé le nom de l’association support parce que les scènes nationales reposent toujours sur des associations donc l’association n’a pas changé son intitulé mais le conseil d’administration a décidé, sur ma proposition que l’établissement prendrait le nom de THEATRE JEAN LURCAT.
JNS : Cette association, elle gère le théâtre ?
JFH : Oui, l’association, c’est l’association de gestion, comme dans toutes les scènes nationales.
JNS : Et elle est composée de…
JFH : Elle est composé de membres de droit et de membres associés. C’est le principe des associations des scènes nationales. Là aussi, on a une particularité car il y a des statuts types qui ont été écrits par le ministère de la culture et il se trouve qu’on a pas encore appliqué ces statuts types. C’est assez proche de ça mais pas tout à fait. Dans la mesure où les statuts, on remonte dans des histoires très administratives mais les statuts type indiquent qu’il y a seulement des membres de droit et des membres associés. Ici, à Aubusson, il y des membres fondateurs, des membres associés et des membres de droit et membres adhérents. Donc c’est une association plus ouverte que les associations préconisées par le ministère pour les scènes nationales. On a une association qui associe les représentants des adhérents. Ca, c’est un cas particulier. Donc les membres de droit, c’est les puissances publiques qui subventionnent par convention l’établissement, ce sont donc des personnes physiques qui sont là en tant que personne morale, en revanche, les membres fondateurs, associés et adhérents, ce sont des personnes physiques.
JNS : Il y a plusieurs choses à partir de cela que j’aimerais ressortir : Les membres fondateurs, ça ne se fait nulle part ailleurs ?
JFH : Il y a peut-être encore une ou deux scènes nationales dans lesquelles sont présents les membres fondateurs mais c’est très rare.
JNS : Est-ce que cela veut dire que c’est cette espèce d’empreinte rurale, lier tout forcément au passé ?
JFH : Je ne sais pas, c’est lié à l’histoire de l’établissement. on peut imaginer que le caractère très exceptionnel d’avoir modifié un Centre culturel dans une ville de cette taille-là justement, marque d’une manière forte l’histoire du décideur, ceux qui ont vraiment porté sur leurs épaules, le projet. Qu’il y ait une volonté de faire trace de cette histoire, ça me paraît tout à fait solvable. Je pense aussi que c’est plus clair. C’est plus marquant dans une collectivité peu importante que dans une grande ville. Ca, ça me paraît une élucubration de bon sens, c’est vrai que l’établissement a été porté par quelqu’un comme CHANDERNAGOR, ça laisse des traces dans la région.
JNS : Justement la deuxième chose que je voulais relever, ce sont les financeurs, ils sont multiples ?
JFH : Oui, bien sûr, comme dans toutes les scènes nationales et ils sont représentés. Il y a un nombre de membres de fixé dans les statuts pour chacune des collectivités. Chez nous, les trois signataires de la convention qui a crée la scène nationale sont l’Etat, Ministère de la Culture précisément, Conseil Régional, Conseil Général qui est propriétaire des locaux. La ville d’Aubusson est représenté comme membre de droit tout en étant pas signataire de la convention…
JNS : Mais financeurs ?
JFH : Oui, Bien sûr.
JNS : Il y a une association et un directeur, mais qui décide quoi ?
JFH : L’association est une association de gestion qui a comme objectif de nommer un directeur sur projet artistique, en écoutant son projet artistique, à partir de candidatures de personnes qui présentent des projets artistiques, pour parler correctement et qui a pour mission de contrôler le budget. Grosso modo, ce sont les deux grandes missions, et vérifier que les statuts sont respectés. Donc ce sont les grandes missions, l’association n’a pas a définir le projet artistique, ça c’est très important, elle n’intervient pas sur la définition du projet artistique. En revanche, elle est très vigilante sur la manière dont le projet artistique, qu’elle a voulu puisqu’elle a nommé un directeur pour un temps donné, est mené, sur son impact sur le public, sur la population et sur la manière dont le budget lié à ce projet artistique est utilisé. Y’a une responsabilité normale d’une association loi 1901 par rapport à une gestion donc ce sont les grands axes. Il y a vraiment un suivi très attentif de cette association, de son bureau, de l’ensemble du conseil d’administration sur la gestion financière qui est imparti à l’établissement.
JNS : Et le directeur ?
JFH : Son rôle, c’est de diriger c’est-à-dire diriger un projet artistique, d’établir une programmation et un programme d’activités puisque l’activité, c’est pas uniquement la programmation de spectacles. Et en dehors de cela, c’est un travail de directeur, de gestionnaire, de relations publiques… un travail de Directeur .
JNS : Pour une scène nationale, c’est chercher ailleurs des choses que l’on veut montrer ici ou…
JFH : Il y a 36 fonctionnements. Ce qui est important là-dessus, c’est rappeler ce qui est précisé dans les statuts comme mission pour les scènes nationales. Parce que les missions pour les scènes nationales, c’est un article dans les statuts type, qui se retrouve dans toutes les scènes nationales. Elle sont au nombre de trois, première mission, la création artistique, travail de production, de création dans les domaines de la création contemporaine, dans le domaine choisi par le directeur dans son projet mais à l’intérieur de domaines contemporains. La deuxième mission, c’est une mission de diffusion d’objets artistiques, d’oeuvres artistiques, en général, il s’agit de spectacles vivants, diffusion de spectacles qui vivent dans un réseau national, voire international, donc dans une aire de création très large sur toute la France, voir plus. La troisième mission, c’est une mission que j’appelle d’action culturelle, voir mener un travail de développement culturel dans une aire donnée, dans son aire d’implantation dans la population, faire en sorte que ces activités donnent lieu à un développement de formation culturelle, de formation artistique, auprès d’un public défini ou à définir parce qu’évidemment il s’agit d’une démarche de rayonnement de plus en plus vaste, c’est l’objet d’un établissement de chercher à s’adresser à un public de plus en plus large, donc voyez, trois missions : création, diffusion de spectacles et formation culturelle, animation et formation culturelle. j’appelle ça la formation culturelle, je crois que c’est un petit peu le terme générique mais c’est peut-être du jargon. Donc évidemment, à partir de ces trois grands axes qui sont fondamentaux puisque c’est ce qu’on retrouve dans toutes les scénes nationales et c’est ce qui différencie d’un théâtre municipal par exemple qui peut se donner ces missions là mais c’est pas statutaire de tous les établissements de spectacles de France. A partir de ces missions là, le directeur fait un projet artistique qui privilégie telle ou telle discipline artistique, telle ou telle manière de travailler, donc tous les cas de figures peuvent se rencontrer là dessus. Moi, j’ai, à partir de ces axes-là que je trouve très intéressant et que je trouve suffisamment large pour donner de l’imagination pour travailler, j’ai choisi de privilégier certaines formes à partir de ça, donc la question que vous posiez, comment travaille un directeur et bien un directeur, c’est un entrepreneur de spectacle, il est impliqué comme personne privé, il a une licence d’entrepreneur de spectacle, c’est la loi, ça repose là dessus, je dois faire ça, je suis un entrepreneur de spectacle et bien évidemment je vais voir des spectacles, dans la région ou ailleurs, en France, pas tellement à Etranger puisque je n’ai pas beaucoup le temps ni le théâtre n’a pas beaucoup les moyens pour ça mais je pourrais et je compose un programme à partir des spectacles que je vois ou bien des projets qu’on me transmet, des rencontres avec des artistes que je fais en telle ou telle occasion donc je compose avec tout ça un programme ou il y ait implication dans la création et dans la diffusion de spectacles en faisant en sorte que des artistes soient suffisamment présents pour que l’on puisse mener ce travail d’action culturelle qui est très important aussi. Mais bon, il y a des tas d’exemples que l’on peut donner, il n’y a pas de règles, chaque entrepreneur de spectacle fait à sa maniére, moi, je penseque c’est pas là dessus que les règles doivent s’installer. Je pense que, comme on a pas beaucoup de moyens financiers, donc on peut pas beaucoup produire, je pense que notre rôle pour défendre la première de mes missions, c’est d’aider des spectacles à exister, c’est pas notre seule rôle mais c’en est un et ça me tient à coeur faire en sorte que des projets même si je peux pas donner des moyens importants de production faire en sorte que des projets qui sont en train de se construire et qui se construisent grâce à la tournée, puissent exister grâce à notre apport, disons, prendre le risque de la création tout en ayant pas, à chaque occasion, les moyens qui puissent construire un budget de production, ça aide déjà à ce que des spectacles existent, et je prend ça au sérieux de co-produire des spectacles et que l’on en aide à exister en payant à l’avance, ce que l’on appelle des pré-achats dans le jargon.
JNS : On entre dans les spécificités d’une scéne nationale à Aubusson, la première, c’est la spécificité de lieu, plus petite ville avec une scéne nationale, la deuxiéme, c’est peu de moyen par rapport à ailleurs
JFH : Oui, les deux étant liés, j’imagine. Comment j’ai approché cela ? Moi, je n’ai travaillé que à Paris ou en région parisienne, on ne m’a pas forcé à venir à Aubusson.
JNS : C’était sur le même type de structure ?
JFH : Bien sûr, théâtre public, donc j’avais des espérances dans des endroits où il y avait des concentrations beaucoup plus importante, on ne m’a pas forcé à venir à Aubusson, loin de là.
JNS : Et qu’est-ce qui fait choisir Aubusson ?
JFH : Justement, c’est là que c’est intéressant, on m’a proposé, en même temps que cette réflexion sur Aubusson, d’autres lieux souvent très importants, plus ou moins bien, dont une ville des plus importantes de France et c’est moi qui, ayant regardé, puisque j’ai fait cette même démarche sur les autres projets, j’ai regardé comment se présentaient les choses dans les autres cas et c’est moi qui ai choisi de mettre toutes mes forces dans la construction d’un projet ici. Tout simplement les données que j’ai vu m’ont poussé à avoir de l’imagination. Un projet qui se prépare bien, c’est un projet où on a les matières grises qui fonctionnent, où la matière grise qui fonctionne carbure. Et c’est vrai qu’ici ça m’a semblé très intéressant, situation très difficile et du fait qu’il faut dépenser encore plus d’énergie pour être en contact avec les gens, mais c’est aussi comme à Paris, c’est un challenge. Mais moi, ce qui m’intéressait là, étant donné que j’ai rencontré des gens, vu ce qui se passait, type de programmes d’avant, vision assez construite de la vie de l’établissement et ce qui m’a semblé intéressant, c’était de montrer la possibilité de faire le même théâtre en zone complètement rurale qu’à Paris, ne pas dupliquer, faire de décalcomanie, travailler avec la même énergie, la même exigence. Prouver que ce n’est pas parce qu’on est en région rurale qu’il faut passer tout au rabot, qu’il faut tout voir avec un complexe d’infériorité, au contraire. Ce qui m’intéresse ici, c’est de montrer qu’on peut présenter beaucoup de choses, démontrer que le public est très curieux, même alors que, dans d’autres villes, on se repose sur un public universitaire par exemple, ici, ce n’est pas tout à fait le même cas. démontrer qu’on peut montrer des spectacles de la même qualité, exigence artistique, de la même ambition artistique, dans des endroits comme ici où, à priori, les données sont beaucoup plus difficiles. Ceci m’intéresserait beaucoup. Etant donné qu’une oeuvre d’art est un absolu, on ne fait pas d’art adapté, il y a des artistes qui s’engagent dans une démarche de création en parlant différemment aux gens, des artistes qui sont dans un lieu donné donc qui se comportent différemment avec les gens plus proches, voir les gens, prendre le métro, un travail d’engagement artistique doit être le même, pour moi, c’est très important. Je pense que, dans des régions comme ici, si l’on arrive à mener suffisamment finement des projets artistiques, les données peuvent être plus intéressantes pour les artistes, contact plus simples avec les gens, plus humains, dans une zone moins perturbée. Ce qui ne veut pas dire de s’isoler, ne pas penser pas être en contact avec la vie d’aujourd’hui, ne pas faire de bulle de laboratoire, tente oxygéne. Etre à la fois plus en retrait et moins perturbé par la trépidation parisienne et contexte plus humain dans des régions comme ici, on peut parler plus simplement, ouverture plus grande avec moins de barrières d’à priori culturel qu’à Paris, de manière plus décontracté, plus à l’écoute. Je crois que c’est vrai, ça fait plus de deux ans que je suis ici et cela ne m’a pas fait changer de sentiment, on connaît de plus en plus les gens. On est face à des gens qui sont à l’écoute.
JNS : Ceux qui viennent ?
JFH : Les gens d’ici, ceux qui viennent ici, les adhérents.
JNS : Combien y a-t-il d’adhérents au centre ?
JFH : Un peu plus de 500, on est d’ailleurs très content, on a doublé le nombre d’adhérents en un an.
JNS : Il y a un rapport possible entre une grande scéne nationale et un petite ici ?
JFH : Ben oui, je crois justement que ça fait partie de cette réflexion, c’est un peu rejoindre le fait que le théâtre et l’art, less différences, c’est la taille des salles, la manière d’être dans le vie, la cité, vocabulaire d’aujourd’hui. D’être avec les gens, c’est différent selon les endroits, il faut que les oeuvres d’art et les artistes puissent circuler, c’est important, c’est pour cela que les réseaux comme les scènes nationales, c’est très précieux.
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