AUBUSSON : La lutte contre l’asphyxie et l’abandon

Article de Jean Tristan, paru dans Limousin Magazine n° 125 de Février 1972, ce texte est intéressant car il fait le point sur la ville à cette époque et surtout sur ses possibilités de faire évoluer la circulation problématique.

AUBUSSON : La lutte contre l’asphyxie et l’abandon

Prononcer le nom d’Aubusson, c’est évoquer du même coup le prestige mondial et Dieu merci toujours intact d’une industrie tapissière plus de cinq fois séculaire.

C’est aussi, et cela est infiniment moins connu, évoquer le cas d’une petite cité que menacent l’asphyxie et l’abandon ; asphyxie qu’entraînent des structures urbaines pittoresques certes, mais plus du tout en rapport avec les exigences de la vie moderne ; abandon de la part des instances supérieures qui retirent à Aubusson et à sa région les moyens de vivre normalement.

Pourtant, dire d’une ville de 7.000 habitants qui n’a pas même doublé sa population en quatre siècles, qu’elle étouffe, que la paralysie la gagne, que les problèmes de circulation empoisonnent ses jours, peut apparaître a priori assez paradoxal. Il suffit cependant de découvrir le site dans lequel se niche la ville pour que très vite on se persuade du bien-fondé d’une telle assertion.

Pour décrire ce site, nous empruntons à M. Jacques Audouze, professeur stagiaire au Centre pédagogique de Clermont-Ferrand, auteur d’une excellente plaquette éditée sous l’auspice des « Amis d’Aubusson » et intitulée : « Un cri d’alarme, Aubusson en péril ».

« Ce site, écrit M. Audouze, est déterminé par un « Relief en creux » composé par des couloirs taillés par la Creuse et ses petits affluents, la Beauze et les deux ruisseaux qui confluent place d’Espagne et forment celui dit « de la ville ».

» Les habitations se sont élargies sur des mamelons ou des éperons en forte déclivité, puis se sont égrenées le long des cours d’eau. Il a même fallu, au XVIIIéme siècle, couvrir le ruisseau « de la ville » pour établir la grand’rue ; la ville a très peu d’espace, les vallées étant très resserrées… »

On peut nous croire sur parole ; cela donne un tableau fort séduisant, presque intimiste, qui s’offre comme l’antithèse de ces éprouvantes agglomérations où se marient sans joie ni grâce, béton et angles droits.

Oui, mais voilà, si Aubusson a tout pour enchanter les poètes avec ses rues étroites et tortueuses bordées de vénérables demeures, il ne peut en être de même pour ceux qui traversent la ville dans un dessein plus prosaïque au volant d’une voiture ou d’un camion.

« Le drame d’Aubusson pour ce qui touche la circulation, nous a dit M. Marmaneix, un commerçant de la route de Clermont, qui assuma dans une précédente municipalité les fonctions de premier mljoint au maire, c’est de ne posséder qu’une seule artère digne de ce nom dans le sens Est-ouest : la Grande-Rue, autrement dit la R.N. 141 Limoges-Clermont.

» En outre sur les deux ponts qui enjambent la Creuse dans notre cité, un seul, le Pont Neuf, est véritablement en mesure de livrer passage au trafic routier.

» Lorsque vous saurez que quatre routes nationales convergent vers Aubusson et que nécessairement leurs usagers doivent, d’où qu’ils viennent, emprunter l’artère en question et le Pont Neuf, vous aurez une idée plus précise de l’embouteillage quasi-permanent qui règne dans notre cité, surtout en période estivale.

» La municipalité à laquelle j’ai eu l’honneur d’appartenir ne méconnut évidemment pas ce problème. Elle tenta, sinon de le résoudre complètement,pour le moins d’en diminuer les inconvénients. Pour ce faire, elle institua à l’aide de feux de signalisation un sens interdit alterné sur les trois cents mètres qui séparent le Pont Neuf et la place Espagne… »

Cette mesure est toujours en vigueur. Jamais pour ses promoteurs elle ne constitua une fin en soi, mais elle contribua à réduire dans une mesure appréciable l’anarchie régnant.

Grâce à ces feux alternés, les automobilistes et les chauffeurs routiers risquent donc moins de froisser de tôle. I1 n’en est pas moins vrai que leur patience est mise à rude épreuve : surtout lorsque se forme, comme il est fréquent au temps des vacances, des bouchons de 3 à 400 mètres en l’attente d’un feu vert qui n’apparaît que toutes les trois minutes.

Une telle situation ne pouvant se prolonger indéfiniment sans porter préjudice à la réputation et aux intérêts économiques d’Aubusson, les édiles furent amenés à envisager ou à reprendre des projets de considérables envergures. C’est ainsi que deux possibilités s’offrent aujourd’hui aux urbanistes : une route contournant la ville, ou un tunnel passant sous l’église et le château.

Si la première de ces possibilités apparaît assez conforme aux réèles de l’urbanisme moderne, qui écartent les grandes voies de circulation des agglomérations, elle suscite l’hostilité d’une forte majorité de personnes, notamment chez les commerçants, comme nous l’a assuré M. Marmaneix.

« Je suis personnellement contre une telle éventualité. Je ne vous citerai que deux exemples, Ceux de Laon et d’Etampes. Ces deux villes ne sont plus sur le passage des routes nationales qui naguère les traversaient. Résultat : elles sont devenues d’une certaine manière méconnaissables. On pense en les voyant à un adulte débordant de vitalité qui subitement aurait basculé dans l’âge de la vieillesse ; celui où le rythme de vie se fait prudent, paisible, monotone…

» D’aucuns ont imaginé, poursuit M. Marmananeix que les feux disposés au Pont Neuf et place Espagne auraient un effet bénéfique en incitant les touristes à s’arrêter plus longuement chez nous. c’est probablement le contraire qui se produit. A moins qu’il ne s’agisse d’amateurs de tapisserie venus pour leurplaisir, les autrcs, excédés par les désagréments imprévus renoncent à chercher un hypothétique parc de stationncmcnt, et n’ont qu’une hâte, quitter au plus vite Aubusson.

Pour sa part, M. Paul Pauly, le sénateur-maire, serait favorable à la création d’une voie contournant la ville à faible distance.

« ça se fait partout sur les grands axes, et il est à prévoir àque le procédé ira en se généralisant pour toutes les voies routières, de quelque importance. Les gens qui voient loin ne doivent, ne peuvent être effrayés, car cela s’inscrit dans une perspective de progrès, de commodités.

» L’expérience prouve qu’une déviation de grande route établie hors du périmètre urbain constitue un facteur d’extension pour la ville… »

Ce projet, compte tenu de la topographie des abords immédiats cl’Aubusson, serait d’une réalisation probablement fort onéreuse. M. Pauly le sait. Il sait également que ses compatriotes ne sont pas très chauds pour jouer aussi promptement la « carte de l’avenir ». Aussi, sagement, en homme de conciliation qu’il est, se déclare-t-il d’accord avec le projet du tunnel retenu par l’administration.

Comment se présente ce dernier ? Nous devons à Me Davras, cheville ouvrière de la très active et très vigilante Association des « Amis d’Aubusson », les explications suivantes :

« Depuis la fin de la dernière guerre, il est question de percer une voie souterraine au coeur de la ville pour dégager la Grande-Rue, ainsi que la rue des Deportés-Politiques qui la prolonge. Les sommes à investir ont jusqu’ici fait hésiter, mais il semble bien que l’heure de la décision approche.

Un tracé a été piqueté et un plan établi. S’ouvrant rue Jean-Jaurès, ce tunnel passerait sous l’église et le château pour déboucher à la sortie de la ville, route de Clermont. Sa longueur serait de 200 mètres environ. En gros on chiffre le coût des travaux à un milliard d’anciens francs.

» Ce tracé a, selon moi, l’inconvénient de ne pas tenir compte de l’axe Nord-Sud, c’est-à-dire la route Ussel-Paris qui est à peine moins fréquentée que l’axe Est-Ouest : Limoges-Clermont-Ferrand.

» Si les plans initiaux ne sont pas modifiés, l’utilisation du tunnel par les routiers venant du Nord ou du Sud, impliquera pour ceux-ci de tortueuses manoeuvres, à peine moins irrationnelles que celles qu’ils ont à faire aujourd’hui… »

La solution idéale, pense Me Dayras, serait d’établir un nouveau pont à environ cent mètres en amont du Pont Neuf et de faire déboucher le tunnel place Espagne, c’est-à-dire en face de la fourche que forment les routes de Paris et de Clermont.

« Outre l’amélioration qu’il présente pour la traversée de la ville dans le sens Nord-Sud. ce second soutient l’ancien bâtonnier, aurait l’avantage de réduire la longueur du tunnel d’une vingtaine de mètres, et d’en atténuer la pente. Certes, ajoute-t-il, ma solution prévoit la construction d’un nouveau pont ; mais ne serait-ce pas le meilleur moyen d’éviter les encombrements du Pont Neuf qu’il faudrait sans cela fatalement élargir ?… »

Le Sénateur Pauly, à qui nous faisions part des suggestions de Me Dayras, considère que ce serait là en effet la meilleure formule, tant pour l’intérêt des usagers de la route, que du commerce local. Malheureusement l’opposition des techniciens quant à la sortie du tunnel place Espagne est formelle.

« Le Directeur de l’équipement, indique M. Pauly, avance des arguments qui donnent à réfléchir. Le plus sérieux me paraît être celui selon lequel de nombreux bâtiments parmi ceux qui se dressent place Espagne auraient à souffrir considérablement de l’explosion des mines. N’est pas à négliger non plus le fait que d’importants immeubles seraient fatalement frappés d’expropriation et détruits. »

Indépendamment du choix à faire entre les deux tracés possibles, du tunnel d’une part, la construction d’un nouveau pont et l’élargissement du Pont Neuf d’autre part, M. Pauly donne quant à lui la priorité des priorités à un projet connexe non moins considérable, à savoir la déviation de la Creuse dans sa traversée de la ville. Ce projet, le sénateur-maire d’Aubusson estime qu’il doit être considéré comme une première étape conduisant au percement du tunnel.

« Pour l’administration, les deux choses sont liées… Une telle déviation aurait l’avantage de rendre disponible 4 hectares (le la rive gauche, actuellement occupée par des jardins ouvriers, en face de l’avenue Jean-Jaurès. Le détournement de la rivière de son lit naturel, permettrait donc de retrouver ces 4 hectares sur la rive droite, plus à proximité du centre nerveux de la ville et d’v aménager les espaces verts et les parkings qui manquent tant à notre cité. »

Tunnel ou déviation extra-urbaine avant écarté la menace d’asphyxie, restera à lutter contre l’abandon dont la ville semble faire l’objet de la part des instances supérieures. La tâche apparait, – il serait vain de se le dissimuler -, singulièrement ardue. La volonté politique s’appuie en effet sur des données dont il est difficile de nier la réalité.

Amoureux de la ville, mais soucieux d’abord d’objectivité, M. Audouze, dans son « Aubusson en péril » rappelle ce qui a contribué à faire écarter Aubusson des grandes options économiques…

« La ville, écrit-il, est éloignée des grands axes modernes de circulation desservant le Nord et l’Ouest du Massif Central. Son site – nous l’avons vu – est malaisé, rendant l’expansion difficile. La circulation – nous l’avons vu aussi – y est un problème épineux et les solutions tardent. Par ailleurs, Aubusson s’est trouvée placée au cceur d’une zone de décroissance démographique ; trop faiblement équipée, elle n’a pu retenir la fuite des ruraux hors du département. »

De ces éléments défavorables dont on eut pu penser que la ville serait impuissante à surmonter par ses seules ressources les effets néfastes, Aubusson a souffert et souffre encore. Grâce à la ténacité de quelques industriels, au renouveau de la tapisserie, la ville n’a pas connu les affres de la décadence. Sa population a même augmenté dans des proportions appréciables. De 5.000 habitants en 1946, elle est passée à 7.000 en 1969. C’est d’autant plus remarquable qu’Aubusson n’est guère aidée. On ne prête qu’aux riches n’est pas un adage seulement observé chez les particuliers ; chez les hommes de gouvernement il est aussi en vigueur.

Loin de récompenser les efforts consentis, par une humanisation des rigueurs technocratiques, tout se passe comme si les sphères dirigeantes éprouvaient un malin plaisir a contrarier la volonté de vivre, de grandir qui se manifeste en ce lieu.

Il est ahurissant de penser par exemple que les liaisons actuelles par fer avec Paris sont beaucoup plus mauvaises qu’avant 1914. A l’ère des fusées interstellaires, il ne faut pas moins d’une journée et trois changements de trains pour accomplir les 381 kms qui séparent Aubusson de la capitale. Encore convient-il de signaler que la formule la plus rapide consiste à passer par Ussel qui est située à 60 kms au Sud de la cité tapissière… Pas mort le père Ubu !

La suppression de la ligne Busseau-Ussel serait un moyen radical pour faire cesser cette « énormité » peu flatteuse pour notre Société nationalisée… On soupçonne hélas nos dirigeants de n’y penser que de trop…

Pas gâtés par la voie ferrée, les Aubussonnais ne le sont guère davantage par la route. Eloignés des Nationales à grande circulation, ils pouvaient conserver l’espoir de voir la transversale Clermont-Limoges-Angouleme retrouver son importance historique en devenant l’axe Lyon-Océan. Le creux topographique d’Aubusson a paru un obstacle trop sérieux, et c’est finalement les routes Montlucon-Guéret-La Souterraine au Nord et Ussel-Tulle-Brive au Sud qui bénéficieront des améliorations envisagées.

Que penser aussi de la suppression du Tribunal, et des bruits alarmants qui courent sur la Banque de France, la Recette des Finances, la Conservation des Hypothèques, l’Enregistrement et… la Sous-Préfecture… Mais que ne raconte-t-on pas…

C’est égal, si ces bruits sont dénués de fondement qu’on le dise bien vite et à haute et intelligible voix afin que chacun sache à quoi s’en tenir dans cette bonne ville d’Aubusson. Certes nous n’ignorons pas les propos de M. le Préfet Chartron lors d’une de ses récentes visites dans la cité tapissière ; ils méritent d’être rappelés : « On a parfois prophétisé un avenir sombre pour la Creuse alors que les raisons d’espérer ne manquent pas… »

Comme dirait l’autre, nous on veut bien, mais force est bien de constater qu’entre l’optimisme officiel et la réalité il v a souvent un abîme.

Jean TRISTAN.

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