Haine du Granit : Granitophobie

J’ai trouvé cet article de Maurice Dayras dans un exemplaire de « La Montagne » daté de Juin 1969. C’est, paradoxalement, une pierre de plus dans le champ des regrets pour cette ville. Le titre en est évocateur, le contenu pour le moins incisif… Passerait-il aujourd’hui comme cela dans un quotidien ? J’en doute.
En tout cas, il permet d’éclairer sur la vision qu’avait cet illustre historien de l’évolution de sa ville. Notez au passage les titres de l’auteur.

A Aubusson, on continue de détruire.

Il semble que nos gouvernants, d’en haut et d’en bas, ne soient pas encore satisfaits des destructions sans nombre commises dans Aubusson depuis un peu plus d’un siècle.

Après l’église romane avec nef, bas-côtés, absides et absidioles Notre Dame du Mont du Château, sur le Chapitre, après une autre église romane, Saint-Nicolas, en face de l’hôpital, la chapelle Notre Dame de la ville sur la place sainte-Catherine, celle de la Terrade, après tant de maisons de XV et XVIe Siècles, l’hôtel des Laboreys de Chateaufavier, remplacé par l’école primaire, l’inestimable châtelet rive droite du Pont de la Terrade, de trop nombreuses tours ou tourelles, des toits à lanternon en bardeaux ou tuiles plates remplacés par des terrasses de béton, des portes et des fenêtres moulurées sans nombre, des niches charmantes, dont une du XIVe siècle impitoyablement massacrée ; le Quai des îles en granit qui, après les inondations de 1960 alors que les pierres taillées étaient restées dans la rivière au lieu de leur chute, a té remplacé par le stupide béton inévitable et peu solide de notre climat ; et on continue, et on se met en tête de donner à notre pauvre ville un aspect dépourvu de tout caractère qui, inévitablement, en éloignera les visiteurs…

Bientôt sans doute, on s’en prendra à notre Pont de granit, le Pont-Neuf, si bien appareillé, et, à l’occasion de son élargissement, sans doute nécessaire, les parapets de granit seront remplacés par une ignoble fonte ajourée.

Le classement du Pont de la Terrade évitera, on veut l’espérer, qu’il soit modifié ; mais les hydrologues s’en prennent à nos écluses… en croyant naïvement qu’elles ont été la cause des inondations… parce qu’elles freinent les écoulements, alors que l’on oublie le rôle bien plus important des barrages et le danger réel qu’ils entraînent. Ainsi, à Aubusson, a été supprimée la première écluse en amont du Pont-Neuf… Alors notre population sait-elle avec quoi, en partie, ce bief a été comblé ?Avec du granit, et du granit taillé et mouluré… Avec la belle façade du tribunal, du Palais de justice démoli dans des conditions qu’il faut absolument préciser tandis qu’à Paris on ne démolit pas la Madeleine.
Saccage et mensonges ont présidé à cette démolition. Et nous tenons à ces deux mots, parce qu’ils sont l’expression de la stricte vérité.

Nous avons été à la source de la reconstruction de l’Ecole Nationale d’Art Décoratif, qui a tant fait, depuis 1920 pour la rénovation de la Tapisserie. Mais sans nul doute, cette nouvelle école, magnifique instrument culturel pour Aubusson, aurait dû, comme nous l’avions demandé, être implantée ailleurs que sur l’emplacement de la précédente. Très réussie d’un point de vue fonctionnel, son architecture aurait dû s’inspirer, pour l’extérieur de celle de la ville, et aussi de l’environnement, garage inesthétique d’un hôtel, atelier de réparation auto… et Palais de Justice qu’il a fallu démolir.

Mais une chose en entraîne une autre et le fait de pouvoir disposer des déblais de cette démolition, de ceux du terrassement d’un chemin et de l’important terrassement du lycée a permis d’envisager leur utilisation, en en venant à l’exécution d’un projet souvent avancé mais toujours repoussé : le comblement du vieux bief de la rue Jean Jaurès.

Or, il a été affirmé et publié que les pierres de taille des deux façades, à tout le moins les grandes colonnes cannelées classiques de granit et leur fronton seraient conservées par la ville . Cependant, au scandale de toute la population, tout a été saccagé et détruit, et employé en grande partie pour combler le bief dont nous parlons plus haut… Les jeunes ouvriers aubussonnais, tapissiers en majorité, en étaient écœurés…

Voila, à Aubusson, ce que l’on fait du granit, surtout s’il est sculpté. Tandis que dans une ville voisine, à Saint-Léonard, on s’est attaché, depuis vingt ans, avec quel succès, à restituer à toute la ville son aspect qui attire les touristes, tandis que nous cherchons à les éloigner. Comprenne qui pourra.

Maurice Dayras

Inspecteur départemental de la Société française d’Archéologie, délégué du Touring-club de France, Vice-président de la fédération des sociétés savantes du centre, délégué de l’association nationale des villes d’art et de la société pour l’esthétique de la France.

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