A l’affiche en ce moment au Cinéma Colbert à Aubusson, « Le temps des porte plumes » de Daniel Duval.
on en discutait il y a peu avec François, autre rédacteur du site, qui m’a « obligé » à ouvrir cette rubrique cinéma.
Daniel Duval a tourné en 1990 un film de télévision à Aubusson : « Les lendemains qui tuent »
Daniel Duval a raconté un bout de son enfance en Creuse, au Lycée des Métiers du Bâtiment, sans concession, dans un article de Libération du jeudi 09 mars 2006 :
«A 17 ans, je suis tombé pour cambriolage, j’ai fait un an de taule. Tant mieux en fait : à l’époque, j’étais complètement barré, je traînais en bande, j’avais une mitraillette, un revolver, des chargeurs, des grenades… Et puis j’ai vu ce que c’était vraiment, la taule : les principes, le code de l’honneur, tout ça c’est des conneries, en fait les mecs, tout ce à quoi ils aspirent, c’est se faire du blé… Des caricatures de bourgeois.» Daniel Duval vivait alors à Paris, qu’il avait rallié après l’enfance placée, ponctuée de clashs. Dans le film, seule est évoquée une tricherie sanctionnée par maître et camarades de classe, mais la suite est à l’avenant : le certificat d’études en poche, le gamin de Vitry-sur-Seine déraciné dans l’Allier intègre l’Ecole des métiers des bâtiments, dans la Creuse. Son envie : devenir peintre. «Déjà, dès que je suis arrivé, on m’a dit : »Y a plus de place pour peintre, tu vas faire maçon », un métier qui me faisait chier d’avance. Ensuite, on vivait en dortoirs de quatre-vingts, et nous, les gosses de la Ddass, on était parqués d’un côté, avec l’étiquette AP (assistance publique) sur nos lits, t’imagines l’ambiance… Et le surveillant général était un amiral à la retraite qui était bourré du matin au soir, nous faisait mettre au garde à vous, ce genre de trucs…» Souvenirs de pension au parfum d’époque. Quand il dit : «Je fuguais, je partais pêcher à la main dans la Creuse», ou quand il raconte que, furieux, il passait de classe en classe pour faire sauter les plombs, on entrevoit soudain, effectivement, blouses grises et porte-plumes. On saisit alors le chemin parcouru, et l’âge, qu’il ne fait pas. En tout cas, au vu de ce qu’on savait de lui, dope et picole à plein régime, qui l’ont fait disparaître des écrans entre 1985 et 1990. »
Le réalisateur était revenu sur les traces de son enfance, à Aubusson, pour tourner un film pour TF1, diffusé en 1990.
Comme quelques Aubussonnais, j’ai eu la chance de travailler sur « Les lendemains qui tuent », sur le décor en particulier (certaines personnes d’ici apparaissent dans le film).
Je me rappelle avoir investi, avec l’équipe, une des maisons de la Vedrenne, sous le Chapitre, avec des meubles de brocanteur du coin. Certaines scénes ont été filmées à la maison de retraite aussi et dans un café de Fourneaux…
Par contre, quelle déception de voir ce film, noir, centré sur les personnages et où Aubusson n’apparait que pour les gens d’ici, programmé à l’époque à une heure plus que tardive .
Les critiques, par exemple, de l’Humanité de l’époque n’ont pas été plus tendres :
UNE ERREUR DE PARCOURS
DANIEL DUVAL, interprète, privilégie, lorsqu’il se trouve aussi derrière la caméra comme réalisateur, les thèmes de la mémoire et de la mort. « Lorfou » narrait l’histoire d’un père sur les traces de son fils. Dans « Les lendemains qui tuent », (adapté du roman de Patrick Pesnot) un fils traque le passé de son père, résistant fusillé par les nazis, par la suite accusé de collaboration. Venant d’enterrer sa mère et retrouvant la maison de son enfance, Vincent découvre une lettre glissée sous la porte. Un ancien du groupe des résistants, moribond dans une clinique, lui apprend que son père n’a jamais trahi la cause. A l’aide des quelques éléments donnés par le mourant, le jeune homme décide d’en avoir le coeur net. Cette quête de la vérité l’entraînera dans une sombre histoire, où chaque témoin disparaît de mort violente, lui-même se transformant en cible pour le mystérieux tueur qui opère.
Daniel Duval a, de toute évidence, construit son film sur une ambiance sordide, où tout, des décors aux protagonistes, est glauque à souhait. Nature ou jeunes femmes, rien n’échappe à une vision d’une noirceur totale, ne laissant aucune place à l’espoir, ceci faisant souvent la saveur des bons romans policiers… Mais voilà. Trop c’est trop. Hormis le dénouement réussi, c’est-à-dire la révélation de l’identité du tueur, l’histoire s’enlise dans une écriture trop caricaturale. On ne peut s’empêcher de penser à un mauvais Melville (il y en a !), Duval forçant trop, quant à lui, sur le côté « poor alone cow boy », homme seul et traqué. A trop jouer de la corde du solitaire lâché par tous, elle finit par craquer et nous avec. On ne peut, durant une heure et demi, se satisfaire du regard noir et de la mâchoire serrée du ténébreux Vincent… L’envie nous prend, parfois, de secouer le « héros » pour qu’il daigne s’expliquer un tant soit peu, ce qui aurait l’avantage de lui faire gagner du temps et de l’efficacité. Certes, le flic du coin (l’excellent Roland Blanche) est quelque peu borné, mais on se dit que Vincent ne l’aide guère : deux ou trois mots d’explication, sans nuire à l’intrigue, l’aurait peut-être aidé à éviter de s’acharner sur l’innocent pourchassé qui n’en peut mais.
On comprend d’autant moins ce « loupé » que Daniel Duval sait s’entourer d’une excellente distribution. L’excès, dans un jeu tragique qui alourdit l’ensemble, finit par créer le sentiment de l’invraisemblance. Par exemple, la haine exprimée par Bertrand (Georges Staquet) qui ne souhaite pas que l’on remue le passé, apparaît comme disproportionnée. De la même manière, on supporte mal le personnage trop chargée de Marianne (Fanny Bastien). Etait-il besoin de la voir boire son kil de gros rouge au goulot pour donner à comprendre son désarroi ? Une ambiance, pour être réussie, se doit d’être composée par touches, non par gros traits appuyés. Le « non dit » est un ressort dramatique intéressant pour peu qu’il soit consommé avec modération…
Pour réussir un tel sujet, dont le thème n’est pas nouveau, il fallait trouver une approche originale, en renouveler l’écriture et la mise en scène, afin d’échapper à l’impression de déjà vu. Malgré le crédit que l’on accorde à priori à Daniel Duval, – ou à cause de lui – compte tenu de son travail passé comme acteur et comme réalisateur, on est ici déçu. Déception également, car de toute évidence, il n’a pas bâclé son travail. Plus bêtement, il s’est trompé quant à son parti-pris esthétique, ne nous offrant qu’une ébauche de ce qui aurait pu être un bon polar. Cette erreur de parcours, dont aucun réalisateur n’est à l’abri, nous fait attendre avec d’autant plus d’impatience la prochaine réalisation de Daniel Duval.
Sylvie Steinebach, L’Humanité 12.12.1990
Quand on voit comment aujourd’hui Daniel Duval surfe sur la vague des films intimistes, qui racontent l’enfance, on se dit que ce passage-retour en Creuse aurait pu être plus flamboyant, dommage.
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