Une erreur de Pierre Mothe (suite funérailles)

J’ai passé le 11 novembre dernier des cartes postales sur les funérailles d’un soldat du 72éme RI à Aubusson. Vous me connaissez un peu maintenant et vous pouvez vous douter que je n’ai pas resisté à une recherche plus approfondie sur cet homme. Etonnante recherche qui m’a amené à découvrir une erreur de Pierre Mothe.
Il se trouve qu’en fait le seul soldat décédé suite à blessures de guerre à l’hôpital temporaire n°30 d’Aubusson deux jours avant cette date est deuxiéme classe au 74è Régiment d’Infanterie.
Le deuxième classe Emile Oscar ALEXANDRE, né à Trappes le 11 Février 1892, a été blessé sur une des batailles de la Marne (voir en fin de page, l’historique du 74éme sur la période du 5 à Fin septembre) et envoyé pour soin à l’hôpital temporaire n° 30 d’Aubusson. (étonnant mais courant à cette époque où un soldat blessé pouvait être envoyé du front jusqu’à Bordeaux ou Marseille à cause du nombre effarant de blessés !).
Il y meurt le 21 Septembre 1914 des suites de ses blessures à l’âge de 22 ans, alors que la guerre n’a débuté qu’il y a à peine deux mois.
Comme on le voit sur les cartes, ses funérailles sont suivis par le 162éme Régiment d’Infanterie, alors stationné à Aubusson depuis le 9 septembre (il en repartira le 24) et une foule considérable d’Aubussonnais.

la fiche MDH du deuxième classe ALEXANDRE, du 74éme Régiment d’Infanterie.

La première tombe du carré militaire au cimetière d’Aubusson.
Le soldat Emile Oscar ALEXANDRE est le premier nom sur le monument aux morts de TRAPPES, sa ville de naissance (et cette recherche au passage m’a permis de rectifier sa fiche sur Mémorial-Genweb qui le déclarait décédé ailleurs).

Merci à Laurent Soyer, Stéphan Agosto et François MARGOTAT pour l’aide ou la vérification de mes recherches.
Bien évidemment, si vous possédez des documents sur ce soldat et en particulier une photographie, nous serions heureux de participer au devoir de mémoire en complétant cet article.

Et afin d’imaginer ce qu’à pu vivre ce soldat les derniers jours avant sa mort, voici un extrait de l’historique du 74éme Régiment (Imprimerie L. WOLF, Sans date) avec l’aimable autorisation de Stéphan Agosto.

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LA MARNE

Courgivaux – Montmirail – Thilloy – Loivre – Courcy

L’ordre est donné de partir en avant. La division attaquera en direction d’Escardes, Aulnay, Neuvy.
Escardes est inoccupé, le 74ème progresse vers Courgivaux (village situé au fond d’une cuvette, sur la voix ferrée d’Esternay à Montmirail). Le 1er et 3ème bataillons y arrivent vers 14 heures. Aucun ennemi n’est dans le village. D’après les habitants, celui-ci est reparti dans la nuit vers le nord. Nos patrouilles, progressant au-delà de la voie ferrée, sont accueillies soudain par de nombreux coups de feu partant des bois situés sur des crêtes entourant Courgivaux en demi-cercle, au nord.
Nos éléments avancés, pris de face et de flanc, se replient sous un feu terrible sur le cimetière, suivis par les allemands qui cherchent à pénétrer dans le village.
Mais le 1er et le 3ème bataillon résistent vaillamment. Les sections de mitrailleuses Gueuzert et Jougla, installées dans les premières maisons, font de bon travail , pendant que la batterie Alger, du 43ème R.A.C., tire à 600 mètres.
L’ennemi ne s’aventure plus. A 16 heures, c’est nous qui contre-attaquons, et notre assaut a le caractère d’une vraie“ fuite en avant ”.
Le capitaine Plessis, avec quelques éléments de la 3ème compagnie, entoure un bois à l’est du village, capture l’officier et une trentaine d’allemands.
Le lieutenant Thorel, pour entraîner la ligne de tirailleurs, s’avance avec ses pièces qu’il met en batterie à 400 mètres des boches.
Le sergent Quibel, de la 4ème compagnie, après avoir tué le Colonel du 85ème d’infanterie prussienne, fait prisonniers l’officier et une vingtaine d’hommes.
La nuit se passe nez à nez avec l’adversaire. Le 7, au matin, le 74ème R.I. commandé par le colonel Viennot, en remplacement du colonel Schmidt, blessé au début de l’action, est dépassé par le 39ème R.I. qui poursuit l’attaque.
La retraite est vraiment terminée, nous avançons. Le 7, au soir, nous traversons Neuvy . Le 8, nous arrivons sur les pentes du ravin au sud de Montmirail que l’ennemi tient solidement. Il cherche, par son artillerie, à nous empêcher de déboucher des plateaux qui dominent la vallée du Petit-Morin et cause de fortes pertes au bataillon Brenot.
Le 1er bataillon réussit toutefois à passer la rivière vers Courbetaux, mais ne peut gravir le plateau plus au nord .
Dans la nuit du 8 au 9, le 1er Corps, à notre gauche, réussit à tourner Montmirail par l’ouest, et l’allemand devant la menace, bat en retraite précipitamment, laissant un important matériel entre nos mains.
Le 9, au matin, nous traversons la ville, et par Courcelles, nous arrivons à la Marne que nous franchissons à Passy-sur-Marne, près de Dormans.
En vainqueurs, nous traversons les villages de Verdon, Lagery, Lhéry, Treslon, que nous avons vus pendant la retraite. Le 12, nous arrivons à Gueux, à 7 kilomètres de Reims. L’ennemi, qui se sent talonné sans répit, tente d’ arrêter notre élan. Son arrière-garde s’est retranchée aux abords de Thillois, en avant de la route de la voie ferrée Paris – Reims. Le Régiment a l’ordre d’enlever l’obstacle de vive force dans l’après-midi.
Un officier qui a pris une part active à ce combat nous le raconte en ces termes :
« Le 74ème est forcé au déploiement au débouché de Gueux et bientôt toutes ses unités sont en ligne et fixées par l’ ennemi. Le 1er bataillon reste seul, le commandement l’engage avec mission de prolonger l’aile gauche de la 9ème brigade vers La Garenne-des-Gueux et d’attaquer ensuite entre la route nationale et la voix ferrée Paris – Reims.
Malgré les difficultés, la compagnie Libéros et la compagnie Lanquetot parviennent à passer de l’ autre côté de la voie ferrée et, de concert avec les deux autres compagnies du bataillon, attaquent franchement vers l’est. Aidés par l’artillerie nous menaçons le boche qui abandonne ses tranchées ; et le soir le bataillon, enlevé à la baïonnette par le Commandant Plessis, s’empare des bois retranchés de Thillois . Nous bivouaquons dans le village sous une pluie battante . »
C’est pendant ce combat que le capitaine Legrand tomba, frappé à mort à la tête de la 5ème compagnie.
Le 13 septembre, le Régiment franchit la Vesle et se porte vers le nord par Merfy. Il borde la route nationale n°44 entre Thil et Villers-Franqueux.
A notre droite la 10ème brigade s’est emparée de Courcy, et après avoir franchi le canal de l’Aisne, du château de Brimont. Elle essaie de prendre, mais en vain, le village et le bois.
L’ennemi s’est ressaisi ; ses éléments en déroute ont été recueillis par des divisions fraîches soutenues par une puissante artillerie lourde.
Notre infanterie qui marche sans arrêt depuis le 20 Août, arrive à la limite de ses forces . L’artillerie doit ménager ses munitions. Le général Mangin, cependant, donne l’ordre de poursuivre sans relâche.
Le 14 septembre, au matin, le 1er bataillon, appuyé par les 6ème et 7ème compagnies, occupe le village de Loivre. Il pousse des éléments sur la rive droite du canal. La 4ème compagnie occupe la station, et attaque le bois plus au nord. Mais l’ennemi en force, débouchant de ce même bois, rejette vers le canal les éléments qui l’ont passé.
Un témoin de ces combats nous fait le récit suivant :

« Le 1er bataillon, le 14 septembre, faisant partie d’un détachement composé d’éléments du 24ème R.I., du 28ème R.I., et enfin du 74ème R.I., est chargé de défendre Loivre, d’y installer coûte que coûte sur la rive nord du canal une tête de pont qui, comme celle de Courcy, sera l’amorce de la tenaille dont le général Mangin veut resserrer les branches sur le Fort de Brimont ».
« Dans Loivre, le bataillon est ainsi disposé : la 4ème compagnie (lieutenant Charlier) est envoyée le long du canal pour assurer la liaison avec Courcy. La 1ère compagnie (Libéros) met en état de défense et occupe la Verrerie. La 3ème compagnie (Bourdin) est en réserve, abritée plus mal que bien par les murs de le Verrerie, à la disposition du commandant Plessis. La 2ème compagnie (capitaine Thorel) a mission de défendre le château sur la rive droite du canal et ne doit l’ abandonner à aucun prix ».
« Après avoir passé le canal sur la frêle passerelle qui seule nous relie à la rive sud, nous nous installons au château dont nous faisons une véritable forteresse, décidés à le transformer “ en Maison des dernières cartouches ”. Toutes les issues sont barricadées, les fenêtres garnies de matelas, de meubles, ne laissant subsister que de petites meurtrières, derrière lesquelles un tireur est attentif. Toutes les munitions et les vivres sont rassemblés en dépôt ; une infirmerie est organisée par Cerné, un jeune étudiant en médecine dont le sang froid n’a d’égale que l’audace. Bref, nous attendons le boche ; dans chaque section, le chef donne un dernier coup d’œil . C’est là qu’on voit l’adjudant Desmaires sortir du château et, sous le feu des Allemands, passant l’ inspection des fenêtres, s’arrêter au garde à vous devant chaque meurtrière, pour donner à ses hommes les derniers conseils : “ Poussez un peu ce matelas à droite, agrandissez cette ouverture ”. C’ est là qu’on voit le soldat Le Boulch prendre la place d’un camarade tué à un créneau, y être blessé une fois, deux fois, se faire rapidement panser, revenir recevoir une troisième balle qui, lui brisant le bras, l’empêche de tirer ».
« C’est là qu’on voit le sergent Prenez, qui s’est installé avec deux tireurs d’élite dans un pigeonnier, descendre successivement une vingtaine de boches, dont 5 officiers qui viennent de reconnaître le terrain, et entre deux coups de fusil, traduire les « Commentaires de César » qu’il a trouvés dans la bibliothèque ».
« Mais c’est surtout Thorel qui est partout, la figure très calme, venant, communiquer à tous sa volonté de mourir s’il le faut sur les ruines du château ».
« Et les boches plusieurs fois attaquent, et à chaque fois sont repoussés avec de lourdes pertes, laissant leurs cadavres dans le parc du château. Ils amènent de l’artillerie, du gros d’abord, mais qui ne peut atteindre que le toit qui prend feu. Ils amènent alors du 77 qui fait du tir de plein fouet dans les fenêtres. Thorel est blessé, je le remplace ».
« Les obus achèvent d’incendier le château et c’est sous les plafonds croulants que je donne l’ordre d’évacuer et de s’établir 80 mètres en arrière, dans le parc. Là, j’établis ma compagnie dans les tranchées que nous creusons hâtivement et que nous améliorons toute la journée, tandis que, grâce à un agent de liaison, qui par trois fois passe et repasse le canal, je puis tenir le commandant Plessis au courant de ce qui se passe, et faire déclencher par les batteries du 43ème, grâce au croquis que j’envoie, des tirs de barrage qui causent aux boches des pertes telles que le souvenir en reste gravé dans la mémoire des prisonniers que nous faisons ultérieurement ».
« Pendant que le 1er bataillon arrêté dans sa marche en avant, se défend héroïquement dans Loivre et le château, l’ennemi lance une attaque sur tout le front de la Division. Il nous reprend le village de Brimont, franchit le canal au sud-est de Loivre, prend Courcy par surprise, et cherche à encercler Loivre par le sud ».
« La 3ème compagnie, les survivants de la 2ème et les deux compagnies du 2ème bataillon se déploient face à l’ennemi et défendent héroïquement l’accès du village. Le soir seulement, nos troupes, par ordre, se replient sur la route n° 44 ».
« Le 17, au soir, dit un témoin, les 10ème et 12ème compagnies, sous les ordres du commandant de Lesquen, arrivent à Courcy déjà occupé par l’ennemi. Par ordre, les deux compagnies se dirigent vers La Neuvillette, où bivouaque la 10ème, protégée par la 12ème, qui s’installe aux abords de Courcy défendant un pont sur le canal ».
« Le 18, à six heures, elles poussent ensemble vers le nord, jusqu’au bois Soulain ; pendant près de deux heures elles retiennent l’ennemi. Ramenées à La Neuvillette, elles repartent deux heures plus tard en chargeant à la baïonnette. Elles avancent de chaque côté du canal, s’appuyant aux petits bois qui le bordent et dénommés Cavaliers de Courcy ».
« A demi-encerclées par l’adversaire qui s’est déployé sur la droite, et en même temps s’infiltre sur les berges, elles reculent, et reviennent à leur point de départ, suivies par l’ennemi qui ne s’arrête qu’à un kilomètre de La Neuvillette ».
Dans la soirée, l’ennemi se retire vers Courcy. La 10ème compagnie ne compte plus que 50 hommes. Le commandant de Lesquen, blessé mortellement en faisant le coup de feu avec ses hommes, et resté dans les lignes allemandes, est ramené dans nos lignes par le sergent-fourrier Vétillard, aidé du maréchal des logis d’Auray-de-Saint-Pois. Le capitaine Bonnal est tué, l’adjudant Ruffert blessé mortellement.
C’est au cours de ces combats que l’adjudant Delamare, sa compagnie étant cernée, s’est frayée un chemin à travers les Allemands, à la baïonnette, et a ramené son unité. Le soldat Larue-Chataignier, mortellement blessé en chargeant, crie : « En avant les gars ! Ils se sauvent ! Vive la France ! …».
Pendant ces combats, la 5ème et la 8ème compagnie avec le commandant Brenot sont en réserve, en arrière de la route nationale. Elles y restent jusqu’au 17, sous un violent bombardement d’artillerie lourde. Le 18, au matin, ordre leur est donné de renforcer le 119ème qui attaque au nord-ouest de Loivre.
Les deux compagnies commandées par le capitaine de Beaumenil, sont engagées, 5ème en tête, et essaient, sans y parvenir, de franchir le canal.
Elles sont contre-attaquées le 19, au petit jour, et sont rejetées sur la route nationale à la ferme du Luxembourg. Vers 8 heures, sous le commandement de l’adjudant Peyrières, elles tentent, sans y parvenir, de revenir au canal que les Allemands tiennent en force. La période du 20 au 28 septembre, est marquée par de nombreux combats locaux. L’ennemi multiplie ses attaques en vue de nous refouler de la route nationale.
Le bois de Chauffour est perdu, puis repris après un violent combat. Le 3ème bataillon du 74ème exécute au bois Tardy une brillante attaque.
Devant notre résistance acharnée, l’ennemi abandonne la partie et se retranche sur la ligne générale Courcy-Loivre.

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