S’il est des noms liées à AUBUSSON, un va de pair avec la ville : Pierre d’Aubusson. Plus qu’un nom, c’est même une légende qui s’attache à notre ville, celle de la foi mais aussi de la chevalerie, de l’aventure lointaine… Le souci, c’est que, pour parler de lui, je ne me sentais pas de rivaliser avec les grands textes qui ont été écrits (Bouhours évidemment, Flandin, Carriat ou plus prés de nous, Gilles Rossignol).
Mais je viens de trouver un texte, visiblement inédit, de Maurice Dayras sur Pierre d’Aubusson, écrit pour l’Atelier de la Licorne en 1973. Avec la ferveur de l’écriture de Dayras, nous voici replongé dans une période trouble et sanglante…
Pierre d’AUBUSSON
I- LA CROIX ET LE CROISSANT
Dans la lutte millénaire du Croissant contre la Croix, tentative de progression vers l’Ouest de l’ISLAM, deux dates, souvent oubliées sont à retenir.
Du 15 AOUT 717 au 15 AOUT 718, sur terre et sur mer pendant un an, eut lieu la bataille de BYZANCE ( bien plus importante que celle de POITIERS (732) qui ne dura qu’un jour et ne fut qu’une fuite des troupes d ‘ ABD-ER-RAMAN devant Charles MARTEL, et n’a donc que valeur symbolique, comme VALMY en 1792.
Puis en 1395, cette même BYZANCE est attaquée par BAJAZET : hélas les armées de la Chrétienté sont écrasées à NICOPOLIS, désastre plus grave pour l’EUROPE que ceux des luttes fratricides de BOUVINES, TAILLEBOURG, CRECY ou AZINCOURT. Et l’ISLAM voit ouvertes les vallées du DANUBE et du RHIN, lorsque TAMERLAN l’arrête un temps à ANKARA (1402)
Mais en 1453, c’est la chute de CONSTANTINOPLE, la fin de L ‘EMPIRE BYZANTIN, et, là encore, la route de L’ EUROPE, semble ouverte à l’ISLAM. RHODES, à 12 kilomètres des rives de l’ASIE MINEURE, bastion des chevaliers de SAINT JEAN de JERUSALEM, en garde l’entrée, pistolet braqué sur l’ASIE, et ne peut être laissée libre sur les arrières : RHODES doit tomber, avant tout !
Mais RHODES ne tombera pas, en cette fin du XV° siècle. Pierre d’AUBUSSON veillera à mettre l’île en état de défense et, avec moins de douze mille combattants, tiendra en échec une armée de près de cent mille TURCS, réalisant ce qu’on a justement considéré comme le plus haut fait d’armes de ce XV° siècle.
Descendant des premiers vicomtes d’AUBUSSON par son père RAINAUD, des Vicomtes de COMBORN par sa mère MARGUERITE, il naît au château du MONTEIL au VICOMTE, au début de 1423. Un manque d’information total subsiste sur sa jeunesse, Son frère aîné, ANTOINE , plus âgé de dix ans , vicomte du MONTEIL et seigneur de PONTARION, prend une part active aux derniers combats de la guerre de Cent ans, à celui de GERBEROY en BEAUVAISIS, où la HIRE et XAINTRAILLES battirent les Anglais, à la prise de MONTEREAU (1437 qui précéda de quelques jours l’entrée de CHARLES VII à PARIS…
Mais Pierre, qui n’a pas encore quinze ans, a-t-il pu, comme on l’a soutenu, prendre part à des combats contre les Turcs en HONGRIE, avec Albert, duc d’AUTRICHE, puis étudier à la Cour de l’Empereur SIGISMOND, mort en juillet 1437, accompagner en FRANCE l’année suivante le Dauphin à MONTEREAU (1438 ), négocier, lors de la PRAGUERIE, la réconciliation entre le Roi et son fils (1440), participer en 1444, ce qui est plus vraisemblable, à l’expédition du Dauphin contre les Suisses, qui refusaient de reconnaître l’Empereur FREDERIC III ?
Avec Antoine THOMAS (GRANDE ENCYCLOPEDIE, IV, 589-9O), il faut juger assez douteuses ces allégations du Père BOUHOURS, principal historien du grand capitaine.
Ce qui paraît par contre certain, c’est que Pierre d’AUBUSSON fut présenté à la Cour vers 1440, par son cousin Jean d’AUBUSSON de la BORNE, chambellan de CHARLES VII, et que le Dauphin qui avait alors justement pour gouverneur CHARLES 1er, Duc de BOURBON, comte de la MARCHE, se fit son protecteur et le prit en amitié .
Ce prince, le futur LOUIS XI, dont le caractère ombrageux et dissimulé ne facilita guère la réconciliation avec son père CHARLES VII, dut avoir une influence sur la décision de Pierre d’AUBUSSON. Après les combats victorieux, la reprise de DIEPPE, d’HONFLEUR et de PONTOISE, intervint la trêve franco- anglaise de vingt deux mois signée le 20 FEVRIER 1444. L’armée nationale voyait peu à peu le jour avec les Francs-Archers ; l’artillerie naissait et progressait sous la direction des frères BUREAU. L’expédition de 1444 contre les Suisses, qui décima les indésirables Routiers, fut vite terminée, et la trêve de 1444-46 fut prolongée pour cinq ans. Aussi, beaucoup de jeunes seigneurs, enflammés par les récits de HUNYADE en HONGRIE, les cruautés des Turcs qui avaient écorché vif VLADISLAS, roi de POLOGNE, et le Légat du PAPE, CESARINI, prirent-ils la décision de combattre les Infidèles et de se rendre à RHODES pour s’y faire recevoir Chevaliers de l’ORDRE des HOSPITALIERS de SAINT JEAN de JERUSALEM.
Pierre d’AUBUSSON, dont un oncle, Louis d’AUBUSSON, avait été Commandeur de CHARROUX y arriva en 1445. L’Ordre avait alors près de quatre cents ans d’existence ; ordre religieux (voeux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance ) mais aussi militaire, il avait, depuis 1060, la lourde charge de défendre les Lieux Saints, les Monastères et les Hôpitaux qui donnaient asile aux pèlerins chrétiens. Après la prise de JERUSALEM par SALADIN (1187), les Hospitaliers durent se replier près de TRIPOLI , puis à SAINT JEAN d’ACRE, puis dans l’Ile de CHYPRE, sous le Roi Henri II de LUSIGNAN (1291), et, en 1310, dans l’Ile de RHODES, qu’ils vont garder jusqu’en 1522, sentinelle de l’EUROPE aux limites du monde musulman, pour se retrouver à MALTE que leur cède CHARLES-QUINT (1530), MALTE conquise par BONAPARTE en 1798, puis par les Anglais (1800).
RHODES, qui jouit d’un climat très favorable et d’une végétation florale luxuriante a été surnommée l’ILE des ROSES, Ses vins, ses fruits sont réputés. « Le port, principale défense de la ville … était formé par deux môles… s’approchant l’un de l’autre, ne laissant que le passage d’une galère ; l’entrée était flanquée de deux grosses tours qui avaient pour fondément deux rochers : c’est sur ces deux rochers que fut planté, autrefois, le fameux Colosse de bronze, qui passait pour une des sept merveilles du monde, statue du Soleil, haute de soixante-dix coudées (35 mètres) qui avait un pied sur un des rochers et le deuxième sur l’autre, les navires passant voiles déployées, entre les jambes du Colosse » (P.BOUHOURS).
Mais en 1445 le Colosse a été abattu et détruit depuis longtemps. RHODES est entourée d’une double enceinte de murailles fortifiées de tours et de bastions, à l’extérieur desquels court un fossé continu, large et profond, qui interdit l’accès. Et cet ensemble magnifique subsiste encore ….
Le quartier des Chevaliers , avec ses auberges des Langues (FRANCE, PROVENCE, AUVERGNE – chef-lieu : BOURGANEUF – ; ITALIE, ARAGON, ALLEMAGNE, CASTILLE, ANGLETERRE) était encore mieux défendu, par deux boulevards et neuf tours, et séparé de la basse ville par une épaisse muraille et des tours. Il était dominé par le Palais des GRANDS MAITRES, comportant trois enceintes différentes qui contenaient aussi l’Hôpital. Voilà ce que découvrit Pierre d’AUBUSSON en 1445, et que, dans l’ensemble, timbré de la croix ancrée d’AUBUSSON, on peut revoir encore.
Le GRAND MAITRE Jean de LASTIC vient alors de soutenir contre le Sultan d’EGYPTE un siège victorieux (1444). Une paix précaire est signée avec lui, et aussi avec AMURAT II, le Sultan Ottoman. Mais la mer est infestée de pirates turcs : Pierre d’AUBUSSON organise la chasse.
En 1451, à la mort d’AMURAT II, son fils, MAHOMET II, reprend la lutte : il rêve de conquérir BYZANCE et de créer un empire universel. Le 23 mai 1453, dans un bain de sang, il entre à CONSTANTINOPLE. Le monde est rempli de terreur, tous les voisins acceptent de payer tribut au vainqueur : seuls les Chevaliers de RHODES refusent le tribut annuel exigé de deux mille ducats. Devant la menace, alors que Jean de MILLY venait de succéder à Jean de LASTIC, Pierre d’AUBUSSON est envoyé en FRANCE en même temps que l’évêque d’AVIGNON l’est par le PAPE…. pour demander a CHARLES VII de venir au secours de la Chrétienté. La négociation, habilement conduite, obtint du Roi seize mille écus d’or pour la défense de RHODES, que Pierre d’AUBUSSON employa aussitôt en achats d’armes et de munitions qui furent embarqués pour RHODES. II reçoit en récompense le titre de Commandeur de SALINS (1457).
En 1461, le GRAND MAITRE ZACOSTA avait succédé à Jacques de MILLY. En raison de dissentiments internes, un Chapitre Général de l’Ordre fut tenu à ROME et présidé par le PAPE en personne. Pierre d’AUBUSSON y aurait pris la parole contre les Chevaliers dissidents, et on décida d’une réforme sévère, que ZACOSTA ne put mettre en oeuvre avant sa mort (1467). Son successeur, Jean des URSINS, s’appliqua à augmenter la qualité des fortifications de l’Ile, rappela à RHODES tous les Chevaliers, et envoya Pierre d’AUBUSSON, promu Bailli de la Langue d’AUVERGNE (1471), puis GRAND PRIEUR, enfin SURINTENDANT des fortifications de RHODES, au secours de l’Ile de NEGREPONT, mais en vain… Et MAHOMET II, irrité de voir ainsi le secours porté par ïlOrdre aux Vénitiens, affirma, dans son emportement, qu’il voudrait tuer lui-même le GRAND MAITRE et déclara la guerre à l’Ordre au moment même où mourait Jean des URSINS (1476). Un Chapitre Général, assemblé aussitôt, par un vote unanime, désigna pour lui succéder Pierre d’AUBUSSON.
II.- LE PIEGE ET LE SIEGE
« On peut dire que même avant son élection, P. d’AUBUSSON était déjà GRAND-MAITRE par les voeux des Chevaliers et même du peuple… qui fit éclater sa joie… Et on ne craignait plus MAHOMET, quant on vit d’AUBUSSON chargé du gouvernement et à la tête des affaires (VERTOT)
« C’était une nomination qui s’imposait …car aucun Chevalier n’avait « rendu » à l’Ordre tant et d’aussi sérieux services. C’était bien le chef qu’il fallait dans les circonstances graves où se trouvait la Religion » (MIGNATON).
« Dès son élection, Pierre d’AUBUSSON mit a exécution les projets qu’il avait formés pour continuer et achever la mise en état de défense de l’Ile. II fit forger une énorme chaîne destinée à barrer l’entrée du port… et ordonna de creuser autour du château Saint Pierre (situé sur la côte d’ASIE MINEURE) un fossé assez large pour permettre aux embarcations (chrétiennes) d’un faible tonnage d’y trouver refuge. .. Par son ordre on releva les murs d’enceinte (de RHODES)… on les arma des canons d’assez fort calibre et de couleuvrines ; il traça en avant du fossé un chemin couvert défendu par des palissades et des chevaux de frise…. Pour empécher un débarquement sur un point quelconque de l’île, des tours et des châteaux-forts furent construits le long des côtes » (idem).On peut encore en voir un, timbré de notre croix ancrée, dans le site extraordinaire de LINDOS, près des ruines du temple antique. « Des secoursfurent furent envoyés dans les « iles voisines ».
A COS, se retrouvent encore les fortifications ornées du blason à croix ancrée. » Les arsenaux et les magasins furent remplis de munitions et de vivres ; plusieurs maisons ou villas qui se trouvaient dans la zone du siège furent démolies, afin de n’être pas un obstacle à la défense » (Idem).
Un Chapitre Général décida le retour dans l’Ile de tous les Chevaliers, avec un équipage de guerre en rapport avec leur situation. Tous répondirent, le plus souvent vendant leurs biens à vil prix. Le Roi LOUIS XI et d’autres Princes envoyèrent des secours en armes et en argent. Parmi les Chevaliers, arrivèrent, entre autres, Bertrand de CLUYS, notre voisin du BERRY, et surtout Antoine d’AUBUSSON, vicomte du MONTEIL, frère aîné du GRAND MAITRE ; avec d’importants secours en hommes (peut-être 3 0000 hommes) et matériel ; tandis que Guy de BLANCHEFORT, neveu du GRAND MAITRE avec les chevaliers de BRIDIERS et de BEAUVAIS, étaient envoyés en FRANCE auprès de LOUIS XI pour solliciter des secours et gérer les affaires de l’Ordre.
C’est alors que MAHOMET II imagina un stratagème : il envoya à RHODES son fils DJEMZIZIM et son neveu CHELEY-BEY, accompagnés d’un aventurier très adroit, DEMETRIUS SOPHRIAN, porteur d’une lettre déférente (citée par BOUHOURS et MIGNATON), datée du 9 février de l’an de votre prophète JESUS 1478, et offrant la paix « au très généreux et très fameux prince Pierre d’AUBUSSON, GRAND MAITRE de RHODES, notre très honoré père et seigneur », contre reconnaissance de vassalité par paiement d’un tribut modéré alors que VENISE venait d’accepter celui de huit mille ducats …
Le GRAND MAITRE, fort avisé, au lieu de rejeter brutalement l’infâme proposition, sollicita un délai sous le prétexte de consulter le Pape et les Princes Chrétiens sans l’avis desquels il ne pouvait traiter, ce qui lui donna le délai nécessaire pour recevoir encore armes, vivres , munitions et Chevaliers, et aussi pour conclure des alliances avec les Sultans d’EGYPTE et de TUNIS. Le 28 Octobre 1478, après une assemblée générale P. d’AUBUSSON, qui avait évité le piège tendu par MAHOMET II, fut investi de tous les pouvoirs, civil, militaire et financier ; il nomma quatre Capitaines généraux, chacun ayant son secteur de commandement.
Antoine d’AUBUSSON fut désigné comme Général d’armes. On rasa même des églises, trop voisines, et les grains et fourrages furent coupés en entier pour éviter qu’ils servent aux assaillants. L’armée turque était commandée par MISACH PALEOLOGUE, un cousin du dernier empereur grec, passé au service de MAHOMET II, et secondé par un ingénieur allemand Georges FRAPAM ; elle quitta CONSTANTINOPLE, et après s’être dirigée par ruse vers l’ASIE MINEURE, se présenta devant RHODES le 4 DECEMBRE 1479. Avant sa concentration, une tentative de débarquement de la cavalerie turque fut repoussée. Un renégat grec, MELIGALE, l’un des favoris de MAHOMET, instigateur de l’expédition, mourut alors de la lèpre en arrivant devant RHODES, et cette mort, fut considérée comme un avertissement du ciel.
Le printemps était arrivé, avec le beau temps et les jours longs, et le 23 Mai 1480, la vigie du Mont SAINT ETIENNE annonça l’approche de la flotte Ottomane, forte de cent-soixante vaisseaux, tous mats pavoisés, musiques jouant sur les ponts.
En raison de leur petit nombre, les Chevaliers ne purent s’opposer à un débarquement au Nord-Est de l’Ile et le renégat SOPHIAN tenta une attaque contre la place. Il se trouvait en face des troupes d’Antoine d’AUBUSSON et fut tué en cherchant à rallier ses troupes qui s’enfuyaient. C’est alors que commença un siège en règle.
Il ne peut être question ici de retracer les divers épisodes de ce siège, la ruine du sommet de la Tour Saint Nicolas, qui défendait l’entrée du port, qui s’écroula sous les boulets de fonte de la grosse artillerie turque, pendant qu’Antoine et Pierre d’AUBUSSON, avec une garnison renforcée, s’enfermaient dans les ruines, résolus à tenir jusqu’à la dernière extrémité, les galères turques incendiées par des brûlots, la vaine attaque turque contre le mur des Juifs vers la basse ville, fortifiée entre temps par un renfort d’artillerie et un fossé pour la confection duquel femmes, filles et religieuses furent employées avec les soldats, la tentative d’empoisonnement du GRAND MAITRE par deux renégats dalmate et albanais, le pont volant puis le pont de bateaux des Turcs, et la vaine et nouvelle attaque de la Tour Saint Nicolas, enfin l’attaque générale contre tous les remparts avec galeries, mines et toute l’artillerie, la nouvelle tentative d’obtenir la reddition par l’entremise de l’allemand FRAPAM qui se présenta faussement comme transfuge des Turcs et fut arrêté et mis à mort.
La situation paraissait cependant désespérée « Tout était en ruines, les remparts démantelés et les forts et ravelins à moitié démolis ». Craignant cependant un nouvel échec, les Turcs firent proposer une entrevue, mais les représentants des parties ne purent s ‘accorder, le châtelain de RHODES, Antoine GAUTIER, ayant refusé toute idée de reddition. Le 27 juillet 1480, a laube, quarante mille Turcs montent à l’assaut du mur des Juifs et s’en emparent. Chevaliers, soldats, habitants de RHODES y compris de nombreuses femmes, souvent habillées en hommes, forcent finalement l’ennemi à la retraite ; un retour offensif des Turcs, dont certains Janissaires reconnaissent le GRAND MAITRE ; celui-ci est frappé de cinq blessures de cimeterre et veut cependant continuer à combattre, mais affaibli et perdant son sang, il doit être évacué. Malgré les encouragements de PALEOLOGUE , les Turcs commencent à fuir, et les Chevaliers s’emparent même de l’étendard d’un Pacha. Le GRAND MAITRE dont la vie était en danger se prépara à la mort et accomplit ses devoirs religieux, apprenant que les Turcs auraient vu dans le ciel une croix d’or entourée de lumière, nouvelle apparition du labarum et rappel de la croix ancrée des d ‘AUBUSSON.
Ses échecs successifs décidèrent PALEOLOGUE à lever lesiège. en un peu plus de deux mois, les Turcs avaient perdu 25 000 hommes , et, après unnouvel échec contre deux vaisseaux napolitains venus au secours de RHODES, le 18 Août 1480, la flotte turque gagna la haute mer. MAHOMET entra dans une colère terrible, menaça PALEOLOGUE et ses chefs de mort et finalement les dégrada et les exila. Recrutant une nouvelle armée de trois cent mille hommes , il mourut, dit-on, de chagrin, le 3 Mai 1481 .
D’après l’historien Eugène FLANDIN (HISTOIRE DES CHEVALIERS DE RHODES 2° édit., TOURS, MAME, 1867, pp. 93 et 218-19) Pierre d’AUBUSSON, pour consacrer la prise de RHODES par les Chevaliers en 1310, et le siège mémorable de 1480, commanda à ANVERS des tapisseries sur les cartons de Quintin METZYS, représentant divers épisodes de ces deux événements.
III. – » L’AFFAIRE » ZIZIM
Ainsi disparaissait ce MAHOMET II « qui avait conquis deux empires, douze royaumes et pris trois cents villes ». Il laissait deux fils, BAJAZET, l’aîné, violent et cruel, et DJEM ou ZIZIM, dont le nom voulait dire Amour, poète et lettré, pratiquant le grec et l’italien. Tous deux, gouverneurs de provinces en ANATOLIE, se connaissaient peu et prétendaient à la succession ; mais BAJAZET était né avant l’avènement de son père au trône impérial, et, par une discussion vraiment byzantine, ZIZIM prétendait l’écarter. Rivalité princière, terminée par l’arrivée de BAJAZET le premier à CONSTANTINOPLE, la proclamation de DJEM comme simple Sultan de BROUSSE, la défaite de ses troupes, sa fuite dans le TAURUS, la SYRIE et l’EGYPTE où il fut reçu en souverain, son départ du CAIRE après quatre mois, à la tête d’une nouvelle armée, sa seconde défaite, sa retraite à travers les montagnes de CILICIE, son refus de traiter avec BAJAZET, son embarquement enfin, poursuivi par les spahis de BAJAZET, tandis que deux de ses officiers étaient envoyés à RHODES solliciter un refuge pour le Prince. Le Chapitre de RHODES lui envoya le Grand Navire du Trésor avec d’autres vaisseaux, et ZIZIM et sa suite, une quarantaine de personnes montèrent à bord du Grand Navire et débarquèrent à RHODES où leur furent prodigués les plus grands honneurs (30 JUILLET 1482).
On connaît la suite : l’envoi en FRANCE sous prétexte de sécurité, sous la conduite de Guy de BLANCHEFORT, neveu du GRAND MAITRE et de ses Chevaliers (1er septembre 1482), le court séjour à NICE, puis en SAVOIE (printemps 1483), puis en DAUPHINE (passons sur sa passion pour la fille du châtelain de la ROCHE-CHINARD), enfin son arrivée dans notre province de la MARCHE à BOURGANEUF, au MONTEIL AU VICOMTE à la Commanderie de MORTEROLLES, puis au château de BOISLAMY, près de BOUSSAC, demeure des BLANCHEFORT (JUIN 1484) et, après deux ans, le transfert à BOURGANEUF, chef-lieu de la Langue d’Auvergne de 1486 à 1488, dans la tour construite pour lui et qui subsiste intacte, magnifique exemplaire de l’architecture militaire du XV° siècle. Par quatre fois donc, ZIZIM dut passer par notre ville (fin 1484, été 1484, été 1486, novembre 1488).
Mais l’EUROPE s’inquiétait de cet otage.. .. Le Pape INNOCENT VIII lui-même demanda que ZIZIM fut conduit à ROME (départ de BOURGANEUF ; 10 Novembre 1488 ; réception à ROME : 13 Mars 1489) ; mais BAJAZET avait obtenu du Pape (moyennant une pension de quarante mille ducats …) que ZIZIM pourtant reçu au VATICAN avec les honneurs dus aux Souverains, fut transféré au château SAINT ANGE où une fresque de PINTURICHIO le représente, ALEXANDRE VI BORGIA avait succédé à INNOCENT VIII (1492) et, en FRANCE, CHARLES VIII à LOUIS XI (1483).
Le Roi de FRANCE exigea, passant à ROME (début 1495), lors de la campagne d’ITALIE, que ZIZIM lui fut livré pour une éventuelle attaque contre l’Empire Turc. COMMINES a écrit que « le Prince avait été baillé empoisonné » C’est improbable ; mais en toute hypothèse, ZIZIM mourut à trente-six ans, le 25 Février 1495, à CAPOUE, près de NAPLES occupée par les Français, plus de douze ans après son arrivée à RHODES. Son corps embaumé fut remis à son frère BAJAZET et il repose à BROUSSE (ANATOLIE), sous les platanes de la Mosquée, sépulture des Sultans.
ZIZIM était-il l’hôte du GRAND MAITRE ou son prisonnier ? Deux thèses s’affrontent entre deux écrivains contemporains des faits : CAOURSIN, Vice-Chancelier de l’Ordre, affirme que ZIZIM aurait du recouvrer la liberté. JALIGNY, chevalier de la Langue d’Auvergne, secrétaire de Pierre de BOURBON, comte de la MARCHE, estime que ZIZIM, rejeté sans armée à RHODES, était bien un prisonnier de guerre !
Le GRAND MAITRE a emporté son secret dans la tombe.
IV. – LA CROISADE MANQUEE
Le 9 Mars 1489, le GRAND MAITRE, déjà surnommé « BOUCLIER de l’EGLISE », va recevoir l’honneur suprême. Le Pape INNOCENT VIII le fait cardinal et légat du SAINT SIEGE en ASIE. Et aujourd’hui encore à RHODES, dans la rue des Chevaliers, l’AUBERGE de FRANCE est timbrée de notre croix ancrée surmontée du chapeau cardinalice, aux côtés des armes de l’Ordre, comme à la Porte Saint-Jean et en de nombreux points des remparts relevés.
La tâche la plus urgente avait été en effet de relever les fortifications et de rédiger le journal du siège, adressé à l’Empereur FREDERIC III dès 1480, comme titulaire du SAINT-EMPIRE.
Mais l’ISLAM restait menaçant. Déjà, lors de l’expédition de NAPLES, en 1495, CHARLES VIII, maître de l’ITALIE, avait conçu le projet d’attaquer CONSTANTINOPLE et de délivrer les Lieux Saints ; et, dans ce but il avait alerté le GRAND MAITRE. La retraite précipitée des Français, et malgré la victoire de FORNOUE (1495), leur retour en FRANCE, fit abandonner le projet du Roi.
Par contre, en 1498, BAJAZET, au mépris des traités, attaqua les Vénitiens, et, malgré le secours de LOUIS XII leur envoya et l’appui d’une troupe envoyée de RHODES sous le commandement de Guy de BLANCHEFORT, ils s’emparèrent de LEPANTE, où en 1571, trois quarts de siècle plus tard, Don JUAN d’AUTRICHE devait remporter sur eux une victoire célèbre.
LOUIS XII, devant cette nouvelle avance de l’ISLAM, allié des Vénitiens, et établi dans le MILANAIS, fut l’instigateur d’une nouvelle ligue, dans laquelle entrèrent MAXIMILIEN, empereur d’ALLEMAGNE, VENISE, les rois de PORTUGAL, de CASTILLE, de HONGRIE, etc…. Et Pierre d’AUBUSSON, qui depuis longtemps rêvait de la reprise des LIEUX SAINTS, fut choisi comme Capitaine Général de cette nouvelle croisade.
Hélas, les secours promis n’arrivèrent pas ; VENISE et la HONGRIE dont le roi venait de mourir préférèrent la paix avec les Turcs, et, à ROME, le PAPE ALEXANDRE VI BORGIA se souciait davantage de ses bassesses et de ses favoris, plutôt que du projet des Chrétiens, qu’il fallut abandonner…
Le GRAND MAITRE, qui avait fait édifier à RHODES l’Eglise de la Victoire et une chapelle en l’Eglise du MONTEIL AU VICOMTE (clés de voûtes aux armes de l’Ordre et d’AUBUSSON), profondément peiné par les événements qui se déroulaient depuis 1495, atteint d’une maladie qui jeta la consternation dans la ville et suscita des processions et d’intenses prières, assembla les Chevaliers, leur demanda de choisir pour lui succéder un sujet plus digne que lui, et rendit l’ame le 3 juillet 1503 à quatre-vingts ans. Au milieu d’une foule venue de toute l’Ile, son corps fut inhumé dans une chapelle de l’Eglise SAINT JEAN (détruite), et un mausolée de bronze fut élevé au « BOUCLIER de L’EGLISE », défenseur de la Chrétienté et protecteur de L’EUROPE.
Son neveu, Guy de BLANCHEFORT, Grand Prieur d’AUVERGNE (1494), fils de Guy et de Souveraine d’AUBUSSON, fut élu GRAND MAITRE en 1512 mais, parti de BOURGANEUF, mourut pendant le voyage vers RHODES (24 Novembre 1513).
Maurice DAYRAS
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
La Bibliographie (Oeuvres, références, iconographie) a été donnée par Amédée CARRIAT, au mot AUBUSSON (Pierre d’) de son remarquable DICTIONNAIRE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE, 1er FASCICULE, col 32 à 34. Le travail qui précède n’est pas une oeuvre originale. Il est tiré des ouvrages déjà publiés et cités. Il a eu pour but de faire connaître l’existence extraordinaire du GRAND MAITRE sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours aux ouvrages plus complets, mais assez peu accessibles au public.
Sur ZIZIM, V. ARBELLOT (Abbé) : ZIZIM A BOURGANEUF ET A ROME, Limoges, Ducourtieux, 1891, 31 p., et plus récemment ; M. IZEDDIN ; UN PRINCE TURC EN ITALIE ET EN FRANCE, Revue ORIENT, n° 3O, (1964) pp. 79-98 ; et aussi René BOUDARD : séries d’articles sur Pierre d’AUBUSSON (février-mars 1956) et sur ZIZIM (1964) dans le POPULAIRE DU CENTRE.
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