Pierre, Anne, Jean, Félix LECLER est né le 30/07/1814 à AUBUSSON et décédé le 16/12/1895 à PARIS.
Ecrivain, il collabora à « l’Artiste », à la « Revue Dramatique » et au « Siècle ». en 1838. Inscrit au barreau d’Aubusson, il écrivit dans l’album de la Creuse et soutint l’Amiral Sallandrouze de la Mornay. Libéral, Opposant au Gouvernement de Louis-Philippe, il devint en 1848 Commissaire du gouvernement provisoire mais les attaques des socialistes le firent démissionner au bout de 8 jours. Elu représentant de la Creuse à l’Assemblée constituante le 23 avril 1848, il vota entre autre pour le bannissement de la famille d’Orléans et contre la peine de mort. Non réélu, il reprit sa place au barreau d’Aubusson puis fut nommé en 1850 rédacteur au contentieux du ministère des finances. Sous la présidence de Grévy, il devint directeur général de l’administration de l’enregistrement et des domaines. Aprés avoir échoué deux fois aux sénatoriales et avoir été nommé conseiller-maitre à la Cour des Comptes, il devint sénateur le 17 Mars 1889.
Voici aujourd’hui sa lettre électorale aux sénatoriales de 1889 que l’on vient de m’offrir afin que je la partage. Merci à l’anonyme contributeur.
Aubusson, le 8 Janvier 1889
MES CHERS CONCITOYENS,
Dès le début de la période électorale, plusieurs d’entre vous m’ont donné l’assurance que ma candidature au Sénat serait favorablement accueillie par les électeurs républicains de la Creuse. De nombreux et très honorables témoignages me sont encore parvenus récemment et m’autorisent à penser que je puis me présenter avec confiance à vos suffrages.
Je suis loin pourtant de me dissimuler qu’un mandat parlementaire sollicité ou accepté dans les circonstances présentes impose des devoirs d’une gravité exceptionnelle.
Il s’agit en effet de savoir si le Parlement voudra s’associer à un mouvement révi¬sionniste qui, par la force des choses, deviendra bien vite un mouvement révolutionnaire aboutissant à la dictature ou à l’anarchie.
Les partis extrêmes aujourd’hui coalisés avouent hautement les uns, que la révision a pour but de briser les obstacles qui s’opposent à leurs-tentatives plébiscitaires, les autres qu’ils veulent détruire la Constitution actuelle pour réaliser des projets de rénovation sociale dont personne n’a pu trouver encore la formule pratique.
II leur faut, pour réussir, la suppression de la Présidence de la République et du Sénat. Car, ils veulent concentrer tous les pouvoirs, soit entre les mains d’un prétendant, responsable seulement devant le peuple, c’est-à-dire justiciable seulement d’une révolution populaire, soit entre les mains d’une Assemblée unique, souveraine, ne pouvant être dis¬soute, et qui pendant toute la durée de son mandat ne pourrait être déférée au jugement du pays.
Pouvez-vous, mes chers concitoyens, favoriser ces projets? Ne serez-vous pas d’avis de maintenir la Présidence de la République, pour ne pas laisser le champ libre à toutes les ambitions ? Et, quant au Sénat, pourquoi désireriez-vous sa suppression, surtout dans les circonstances actuelles? N’est-ce pas, aujourd’hui, la seule Assemblée, qui présente une majorité unie et compacte, prête à défendre les institutions républicaines? S’est-il trouvé, au Palais du Luxembourg, beaucoup de sénateurs disposés à encourager les tentatives plébiscitaires ? Pensez-vous qu’il y ait nécessité urgente de donner à votre mandataire la mission expresse de travailler à la destruction de l’assemblée dans laquelle vous l’aurez envoyé siéger ?
En ce qui concerne l’Assemblée unique et souveraine concentrant en elle le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, nous pouvons recourir aux enseignements du passé. Certai¬nement, il n’existera jamais une Assemblée plus forte, plus puissante, que la Convention nationale, et cependant, est-ce qu’il lui fut possible d’appliquer la Constitution qu’elle avait faite ? Est-ce qu’elle ne fut pas toujours dominée par des minorités violentes? Est-ce qu’elle ne fut pas envahie et décimée par la Commune révolutionnaire de Paris? N’est-il pas facile de se figurer ce que serait aujourd’hui le pouvoir exécutif entre les mains d’un Conseil de Ministres ou de Comités sans cesse renversés et renouvelés par des coalitions parlementaires ?
Sans direction et sans autorité pourrait-il résister aux assauts continuels des adversaires de nos institutions? Pourrait-il surtout lutter un seul instant contre cette année communaliste qui devient de jour en jour plus agressive sous l’impulsion des sociétés anarchistes de Paris ?
Non, ce n’est pas par l’établissement de pareils régimes que vous voudrez célébrer le centenaire de la glorieuse et féconde année 1789. Vous suivrez les grandes traditions libérales de l’époque à laquelle fut inaugurée la véritable Démocratie. Vous ne renoncerez pas à une Constitution qui n’exclut, quoiqu’on dise, aucune réforme praticable.
Ceux mêmes d’entre vous qui désireraient qu’elle fût modifiée en ce qui touche certaines attributions du Pouvoir exécutif et du Sénat, comprendront que, dans la lutte ardente des partis, la révision dépasserait les limites dans lesquelles ils auraient tenu a la maintenir.
Il est déplorable, sans doute, que dans l’état actuel des choses, la majorité de la Chambre des Députés ait été souvent réduite à l’impuissance par des coalitions. Maïs est-ce une raison pour renoncer au système représentatif ? Ne pourrait-on trouver à celte situation fâcheuse un remède ou du moins un palliatif dans le rétablissement du scrutin uninominal ? Par cette procédure électorale, ne trouverait-on pas le moyen d’opérer, en dehors des partis intransigeants, cette concentration républicaine dont on parle si souvent et qu’on pratique si peu, les électeurs ne pourraient-ils réellement se rencontrer sur un terrain commun?
Est-ce que vous, par exemple, mes chers concitoyens, vous n’entendriez pas l’appel fait à vos sentiments patriotiques de conciliation ? Ne vous ralierez-vous pas tous à un programme qui se résumerait ainsi :
En présence de l’Europe en armes coalisée contre nous, en face des dangers que présente à l’intérieur l’attitude des partis, ce serait une faute peut-être irréparable de lancer le pays dans des aventures d’où peut sortir la guerre civile ;
Il est nécessaire d’abandonner ou du moins d’ajourner les discussions irritantes, les problèmes politiques, pour ne pas compromettre le succès de cette Exposition Universelle qui doit constater aux yeux du monde entier les progrès incessants et la prodigieuse vitalité de notre pays.
En ce qui concerne les finances, on ne doit pas oublier que les intérêts de la Dette publique absorbant près de la moitié des revenus annuels, il serait dangereux d’augmenter encore cette dépense irréductible; il faut, par de sérieuses économies, équilibrer le budget, et trouver le moyen d’alléger les charges dont l’agriculture et l’industrie sont lourdement grevées. Il est urgent de compléter les études déjà commencées pour arriver à une répartition plus équitable de l’impôt.
Enfin la République, s’inspirant des idées larges et généreuses qui ont animé les législateurs de 1789, doit respecter tous les droits qu’ils ont déclaré imprescriptibles, toutes les libertés politiques, civiles, religieuses et se maintenir dans les voies de la véritable démocratie ouverte à tous les progrès, étrangère à toutes les intransigeances.
Ces sentiments sont les vôtres ; ils sont également les miens, et j’ai la confiance que le vote du 27 Janvier confirmera notre communauté d’idées.
Agréez, mes chers Concitoyens, l’assurance de mon entier dévouement.
Félix LECLER
Membre du Conseil Général de la Creuse
Aubusson. – Imp. Bouchardeau
Poster un Commentaire