AUBUSSON ET CLAUDE VIGNON (1593-1670) : ORIGINES ET CIRCONSTANCES D’UNE RENCONTRE

(Texte de Jean-Louis Broilliard)

Claude Vignon, né à Tours le 19 mai 1593 et mort à Paris le 10 mai 1670 est un peintre, graveur et illustrateur français.
Il fut l’un des peintres français les plus célèbres de l’époque de Louis XIII. L’influence du Caravage est nettement identifiable dans son œuvre, surtout au début de sa carrière qui suit de peu son retour d’Italie. Ses œuvres sont présentes dans les plus grands musées du monde, dans les églises et dans les collections privées françaises et étrangères.
Sa route aurait-elle croisé Aubusson ?Les marchands tapissiers clients naturels des peintres.

Aubusson n’est nulle part mentionnée dans l’ouvrage de Paola Pacht Bassani – Claude Vignon ( 1593-1670 ) – publié en 1993 et pourtant la ville de la tapisserie est en droit de revendiquer une place de choix dans l’univers du peintre. Par la force des choses, les marchands tapissiers d’Aubusson avaient l’habitude d’acheter des gravures et des estampes destinées à être transformées par des peintres locaux en « patrons » de tapisserie.

Claude, Guillaume, Pierre, Noël et François Vignon.

Claude Vignon, le peintre, avait un frère prénommé Gullaume. Les « Documents du Minutier Central concernant les peintres, les sculpteurs et les graveurs au XVllème siècle (1600-1650) » publiés par M.A. Fleury donnent l’analyse de deux actes notariés (1) , rédigés au moment de la succession de leurs parents – Guillaume Vignon et Elisabeth Papillon -. Ces actes – du 2 avril 1631 et du 2 mai 1631 – concernent l’héritage. Le premier fait état du « transport » d’une somme de 1042 livres tournois par les deux frères à Léonard Dépens demeurant en Auvergne, au Tillet. Cette somme était due à feu Pierre Vignon, leur frère, par Guillaume de Beaulne, sieur de Monts. L’acte précise que Claude est maître peintre, bourgeois de Paris, tandis que Guillaume est docteur en théologie et médecine, demeurant à Châtillon-sur-Loing. Le second acte est une procuration des deux frères visant à régler la succession de Guillaume Vignon, valet de chambre du Roi et « fournissant son argenterie » et d’Elisabeth Papillon, leur père et mère. Dans le lot de Claude se trouvent la somme de 1042 livres due par Guillaume de Beaulne « demeurant près d’Arlenc (3) en Auvergne » et une somme de 310 livres due par les héritiers de Noël Vignon, commissaire de l’artillerie. (4) . Dans le lot de Guillaume, il y a des biens fonds – en Touraine, à Châtillon -, « une somme de 700 livres dues par les héritiers de François Vignon, secrétaire de la Reine-mère, demeurant à Arlenc en Auvergne, pour vente d’héritage à lui faite par leur mère.» Le Guillaume Vignon domicilié à Chatillon-sur-Loing qui est présenté comme docteur en thélogie et médecine ne serait-il pas le pasteur d’Aubusson dont le ministère court de 1627 à 1630 ?

Un secrétaire de la Reine mère nommé François Vignon.

Paola Pacht Bassani a relevé, de son côté, des actes qui sortent de l’oubli un personnage très proche du pouvoir : c’est, à la date du 17 novembre 1624, une « ratification par Vignon et son frère Guillaume d’un contrat de transaction entre leur mère et François Vignon, secrétaire de la Reine mère, passé le 20 septembre 1617 à Arlenc en Auvergne.»; à la date du 27 juin 1633 est mentionné un contrat par lequel « Guillaume Vignon, frère de l’artiste, se trouvant à présent à Paris chez ce dernier, transmet la créance de 700 livres qu’il a sur les enfants et héritiers du même François Vignon, désormais décédé, qui était de son vivant secrétaire de la Reine mère.» (5) Sans préciser les liens de parenté qui relient Claude et Guillaume à François ces actes confirment l’étroite parenté de tous ces Vignon.

Henriette Odry, veuve de Guillaume Vignon.

A la date du 29 octobre 1634 est mentionnée une « quittance de la somme de 1800 livres donnée par Jacques Beaujard, procureur à Châtîllon-sur-Loing, à Claude Vignon, maître peintre du Roi demeurant à Paris […] pour 3e principal de 100 livres de rente constituée à Henriette Odery, veuve de Guillaume Vignon, frère de l’artiste, demeurant dans les faubourgs de Châtillon-sur-Loing, par Marie Conseil, veuve de Jean d’Ailleboust, écuyer, le 4 octobre 1634. C’est Claude Vtgnon qui est chargé de remettre les 1800 livres à Marie Conseil.» (6) Cet acte, en désignant l’épouse de Guillaume Vignon, offre un moyen supplémentaire d’identification des plus utiles.

Le recoupement de toutes ces indications conduit à affirmer que Guillaume Vignon, le pasteur d’Aubusson, est bel et bien le frère de Claude, ie peintre. Encore faut-il apporter des preuves locales supplémentaires.

Les conditions d’exercice du ministère de Guillaume Vignon..

ïl se trouvre qu’un nouveau registre de baptêmes a été ouvert par Guillaume Vignon, pasteur à Aubusson, le 16 juillet 1627 et que le dernier acte au bas duquel figure sa signature est daté du 27 juin 1630. (7) Il s’agit donc d’un court ministère interrompu par des absences mais formellement attesté. (8) Nous savons, par ailleurs, que c’est le synode de l’Orléanais, tenu à Mer le 21 mai 1626, qui l’a affecté à Aubusson sur la demande expresse de la communauté et qu’il a été de nouveau nommé dans le même lieu l’année suivante, par le synode de l’Orléanais tenu, cette fois, à Châtillon-sur-Loing. (9) Ce dernier synode s’étant réuni le 23 avril 1627 il n’y a pas à s’étonner de voir Guillaume Vignon entrer en fonction en juillet de la même année. Il arrive déjà marié à Henriette Odry et même père de famille comme l’indique l’état civil de Châtillon-sur-Loing – date du mariage, le 22 février 1626, naissance de Guillaume le 25 avril 1627 -, Il cesse son service pastoral après le 27 juin 1630, des pasteurs des églises voisines prenant sa place. Cependant, en 1632 encore, il est titulaire du poste, le synode provincial de l’Orléanais tenu à Châtillon-sur-Loing, le 22 avril 1632, ayant décidé de le libérer de son service à Aubusson à cause de son état de santé. Son décès, dès 1634, ne fait donc que confirmer l’attitude, à son endroit, du synode provincial.

Les actes notariés qui le disent habitant de Châtîllon-sur-Loing en 1631 ne font donc que constater une réalité puisqu’il est parti d’Aubusson à la fin juin 1630. Si te doute persiste qu’il s’agit bien du Guillaume Vignon, époux d’Henriette Odry, il suffit de noter que cette dernière a été à plusieurs reprises marraine, et particulièrement d’une fille d’Yzaac Barraband en février 1630.

L’origine auvergnate des Vignon.

Claude a été baptisé en l’église Saint-Saturnin-de-Tours le 19 mai 1593. C’est le deuxième fils du couple formé par Guillaume Vignon, originaire d’Ariane en Auvergne, et Elisabeth Papillon, de Châtillon-sur-Loing dans le Gâtinais (10). Son frère, Guillaume, plus jeune, est né, vers 1600, à Paris si l’on se fie au Livre du Recteur de l’Académie de Genève qui a enregistré en 1618 un Guilelmus Vignonus Parisiensis. La fratrie est-elle si réduite ? Rien de moins sûr. Les actes de partage font surgir de l’ombre d’autres Vignon. Ainsi l’acte du 2 avril 1631 fait état d’une somme due par un écuyer demeurant près d’Arlenc à feu Pierre Vignon – un autre frère -, et le partage du 2 mai 1631 attribue à Claude Vignon, outre cette somme, une autre due par les héritiers de Noël Vignon, commissaire de l’artillerie de France – autre frère – et, à Guillaume Vignon, une dette des héritiers de François Vignon, secrétaire de la Reine mère, demeurant à Arlenc en Auvergne – un oncle ? -. Il est du plus grand intérêt de souligner l’origine auvergnate de cette famille Vignon. Le père, Guillaume, «valet de chambre du Roi, fournissant son argenterie», a, par son mariage- avant 1592 – avec Elisabeth Papillon, originaire de Châtillon-sur-Loing, préparé cette migration vers la vallée de la Loire. L’achat, le 16 octobre 1598, de l’office de contrôleur triennal des traites, impositions et trépas de la Loire est un indice de l’accroissement de l’aisance de la famille. (11) La naissance de Claude, le futur peintre, à Tours, s’explique par le fait que ses parents y sont installés et y possèdent quelques biens. Mais son mariage avec Charlotte de Leu, en 1623, le fixe à Paris. Quant à Guillaume, le pasteur médecin, c’est son mariage, en 1626, avec Henriette Odry, originaire de Gien, fille de Guillaume Odry, élu en l’élection de Gien, qui le fixe dans le Gâtinais. Châtillon-sur-Loing, lieu d’origine des Papillon, est tout proche. Là encore les biens de la mère et de l’épouse assurent à la famille de bonnes conditions d’enracinement. (12)

De quelle religion ?

La différence de religion des deux frères reste inexpliquée. Le père, Guillaume, lorsqu’il achète l’office de contrôleur a été considéré « de bonne vie, moeurs et religion catholique, apostoioque et romaine». Claude, d’après son premier biographe, Guillet de Saint-Georges, aurait, jusqu’en 1608, appartenu à la religion protestante et se serait converti au catholicisme pendant son séjour à Rome. Cette assertion est en contradiction avec son baptême dans la religion catholique. Il l’aurait abandonnée puis rejointe à l’occasion de son voyage à Rome. Pour ce qui est de Guillaume, son frère, ses études à Genève, son ministère et son mariage avec une protestante ne laissent planer aucun doute sur sa religion. (13)

L’attraction d’Aubusson.

Le plus piquant de la migration des Vignon est le fait qu’un Pierre Vignon, fils de Noël Vignon, ce commissaire de l’artillerie de France mentionné dans le partage des biens de Guillaume Vignon et d’Elisabeth Papillon, soit venu s’installer à Aubusson comme apothicaire et qu’il y ait contracté mariage en 1638. (14) . Ce mariage avec Marie Cellerier, fille de marchand tapissier, ancienne épouse de Léonard Beby, lui-même.marchand tapissier, introduit ce nouvel habitant dans le monde de la tapisserie. Ainsi un acte du 30 janvier 1647 trouvé dans les minutes du notaire Foucault, de Tours, le dit procureur spécial d’Helie Cellerier, marchand tapissier d’Aubusson, dans une affaire de remise d’un lot de tapisseries détenu par François Cellerier fils.

Guillaume Vignon, le pasteur, intermédiaire avisé ?

Les liens entre les Vignon originaires de l’Auvergne et la ville d’Aubusson une fois bien établis, il faut chercher à en tirer les conséquences pour l’histoire de la tapisserie. Il s’agit de savoir, en particulier, si Guillaume Vignon, attiré à Aubusson par la communauté protestante dont Yzaac Barraband est un membre éminent, n’a pas joué le rôle d’intermédiaire entre les marchands tapissiers, gros demandeurs de gravures, et le peintre , par ailleurs habile commerçant de tableaux et d’oeuvres d’art. Ce serait par ce canal que les tableaux de Claude Vignon auraient inspiré la tapisserie d’Aubusson.

Nouvelle piste.

La publication en 2005 de l’ouvrage qui a accompagné l’exposition consacrée à Isaac Moillon –Isaac Moillon ( 1614-1673 ) un peintre du Roi à Aubusson – nous met, incidemment, sur une piste fructueuse. La chronologie recense un banal contrat d’apprentissage de peintre daté du 9 avril 1629 par lequel le fils d’Yzaac Barraband, prénommé Jean, a été placé chez ,le beau-père d’Isaac Moîllon, François Garnier. (15) Cet acte mérite une attention particulière car le petit groupe assemblé chez le notaire parisien ce jour-là n’est pas fortuit. Du côté parisien, outre François Garnier, peintre et marchand de tableaux, il y a Claude Vignon, « un des commerçants en oeuvres d’art les plus connus de son temps ». Et c’est lui qui se porte garant du paiement de l’apprentissage. L’importance de cette présence a été soulignée par Nicole de Reyniès. « Au moment de clore », écrit-elle, elle a appris l’existence d’un Guillaume Vignon, pasteur à Aubusson, à la même époque. Faute de temps et de contacts utiles, elle n’a pas pu tirer parti de ce qu’elle a pensé être une découverte et une piste à suivre. En fait, depuis fort longtemps, Guillaume Vignon figure sur la liste des pasteurs d’Aubusson; par contre, sa proche parenté avec Claude, n’a pu être pressentie que depuis la publication en 1969 des Documents du Minutier Central . L’ouvrage de Paola Pacht Bassani, publié en 1993, en reproduisant dans sa chronologie le résumé des actes de partage de la famille Vignon, n’a, à aucun moment, pensé à Aubusson dont le nom n’apparaît nulle part. Nicole de Reyniès, par contre, a fait le rapprochement entre les deux patronymes sans pouvoir affirmer que Claude et Guillaume étaient des frères.

Nouvelles perspectives.

Ainsi l’acte d’apprentissage du 9 avril 1629 ouvre des perspectives fort intéressantes pour l’histoire de la tapisserie. La rencontre de peintres adonnés au commerce des oeuvres d’art et d’un marchand tapissier à l’occasion de la signature d’un tel contrat est, en soi, porteuse d’interrogations. Qu’en 1629 Claude Vignon, peintre dont la vogue s’amorce, soit en contact avec des marchands tapissiers d’Aubusson trafiquant à Paris et dans sa région ne fait que confirmer l’existence de contacts liés aux pratiques commerciales du temps mais en même temps ouvre de nouvelles perspectives à l’histoire de la tapisserie.

Les instigateurs de la rencontre.

Il faut tout d’abord, s’attarder sur les deux instigateurs de la rencontre : Yzaac Barraband, le père de l’apprenti, et Guillaume Vignon, le frère du peintre. Non seulement ils habitent la même cité mais aussi ils entretiennent des relations étroites qui sont, sans nul doute, à l’origine de l’envoi à Paris du futur apprenti et de la rencontre entre Jean Mercier, marchand tapissier, cousin et associé d’Yzaac et le peintre. L’intérêt commercial de cette rencontre lui donne une dimension qui dépasse largement une simple combinaison de carrière.

Liens entre les familles Vignon et Barraband.

Les familles Barraband et Vignon d’Aubusson entretiennent des relations d’amitié qui dépassent leurs affinités religieuses. Le choix d’Henriette Odry, l’épouse du pasteur, comme marraine à la naissance de la fille d’Yzaac Barraband est déjà un indice révélateur. (16) Guillaume Vignon est aussi introduit dans les intérêts matériels de la famille Barraband : n’est-il pas témoin lors de Fâchât d’une maison par la veuve de Philippe Barraband, frère d’Yzaac, le 9 mars 1628 ? (17) . Que ce pasteur ait introduit auprès de son frère peintre le fils de son ami marchand tapissier destiné à devenir peintre n’a rien de surprenant. Qu’Yzaac Barraband se soit fait représenter à Paris par son cousin et associé, Jean Mercier, relève d’une pratique commerciale des plus courantes.
Il reste maintenant à montrer l’influence des oeuvres du grand peintre sur la tapisserie marchoise…

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1 A.N., M.C, VIII, 633. Ces deux actes sont aussi analysés par Paola Bassani.

3 Ariane, département du Puy-de-Dôme, arrondissement d’Arnbert.

4 Aucune indication n’est donnée sur sa résidence mais des documents postérieurs le disent habitant d’Arlenc

5 A.N., M.C., XXXIV, 58. Paola Bassani pense que ce François Vignon est un oncle de Claude. Cf. l’arbre généalogique qu’elle a ébauché.

6 A.N., M.C., CV, 456. Le patronyme est Odry et non pas Odery.

7 Archives de la mairie d’Aubusson et archives départementales de la Creuse.

8 Alfred Leroux écrit dans son Histoire, de la Réforme dans la Marche et leLimousin « qu’il était d’une santé débile qui ralentissait son activité et amenait defréquentes interruptions dans l’exercice de ses fonctions pastorales.»

9 Le pasteur précédent a rechigné à quitter son poste pour des raisons obscures.

10 A.D. Indre-et-Loire, 5 Mi 170, Communiqué par Idelette Ardoin.

11 II s’agit d’une taxe sur les marchandises transportées au sud de la Loire. A.N., Z1 A 535.

12 L’achat de l’office d’élu a été fait le 18 novembre 1597. A. N.. Z 1 A 534.

13 En principe il y a incompatibilité de droit ecclésiastique entre l’état de pasteuret le profession de médecin.

14 A.D., Creuse, notaire Seiglière. L’acte de baptême accompagnant son contrat demariage le dit né à Chomélis en Auvergne. Le 6 avril 1639, la veuve d’YzaacBarraband lui loue une boutique. Même notaire.

15 A.N. M.C., LXXXIV, 85

16 Contrairement à l’usage l’enfant reçoit le prénom de Sara et non pas celui de la marraine. Cf. Vieilles famille d’Aubusson. La branche protestante des Barraband dans le Bulletin de la fondation Maurice Dayras, année 1984. 1 ‘ A.D., Creuse, notaire Roullet.

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