Je n’ai pas encore classé ces articles dans la rubrique des lieux disparus mais comme cela parait inéluctable, autant faire l’histoire de l’Ecole d’Art d’Aubusson.
L’Etablissement national tel que nous le connaissons aujourd’hui date de 1884 et la première distribution des prix a été un immense événement. En voici un compte-rendu tiré d’un petit fascicule imprimé à l’occasion. Que d’enthousiasme et d’envolée pour la troisième école Nationale d’Art de France…
MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE, DES BEAUX-ARTS ET DES CULTES
ÉCOLE NATIONALE D’ART DÉCORATIF D’AUBUSSON
DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX de l’année scolaire 1884-1885
La distribution solennelle des récompenses auxélèves de l’École Nationale d’Aubusson a eu lieu ledimanche 16 août, sous la présidence de M. MAZERON,député, délégué par M. le Ministre de l’InstructionPublique, des Beaux-Arts et des Cultes, au jardin dela place Villeneuve, devant l’École, à deux heuresde l’après-midi, au milieu d’une assemblée très nombreuse.
La fanfare de la ville, dirigée par M. Broquin,donnait son concours à la cérémonie.
A deux heures, M. le Président prenait place à l’estrade avec toutes les autorités, M. L. Gravier,Sous-Préfet d’Aubusson, M. Barraband, maire, MM. les Conseillers Municipaux, MM. Lecler et Sarciron, conseillers généraux, M. Labrune archiprêtre, M. Jorrand, président de la Chambre consultative des Arts et Manufactures, M. Giacobbi, Procureur de la République, MM. Bourdery et Tixier, juges, M. Hamon, receveur des finances, M. le docteur Chanseaux, M. Bournaret, délégué de Felletin, M. le Colonel Rousseau, M. l’Inspecteur de l’enseignement primaire, M le Principal du Collège,M. le Capitaine commandant la gendarmerie, M. l’abbé Dubreuil, MM, Peemans, Toty, Directeurs de fabrique, etc., etc.
A droite et à gauche de l’estrade se trouvaient MM. Grenaud et Benoist, délégués pour représenter les Écoles de Paris et de Limoges, M. le Directeur de l’École, M. Doumet, secrétaire, MM. Bernaux,Boucheron, Chassaigne, professeurs, et Mesdames Lemasson et Chatard, chargées de cours, ainsi que quatre élèves désignés pour remplir les fonctions de commissaires, MM. Molinier, Devaux, Manville et Murat, lauréats de l’École.
M. Louvrier de Lajolais, après avoir expliqué le rôle que prenait l’État dans la direction de l’École et le caractère de l’Enseignement qui doit être avant tout utile et pratique, résume les travaux et les concours de l’année et fait appel au patriotisme des élèves pour assurer, dans l’ordre de l’instruction qui leur est spéciale, le triomphe de la France dans la grande Exposition qui doit avoir lieu en 1889.
Il termine en remerciant M. le docteur Chanseaux pour les soins si intelligents et dévoués qu’il a donnés à l’École, avant qu’elle fut Nationale,et MM. Mazeron et Gravier qui ont mis tant de zèle et de persévérants efforts pour obtenir un titre et des subsides destinés à assurer sa prospérité.
Ces dernières paroles sont accueillies avec des applaudissements chaleureux.
Ensuite M. le Président se lève et prononce le discours suivant :
MESDAMES, MESSIEURS,
J’ai accepté avec joie l’honneur que m’a fait M. le Ministre de l’Instruction Publique, des Beaux-Arts et des Cultes en m’appelant à présider la première distribution des prix de l’Ecole Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson.
Cette solennité est en effet pour moi une occasion favorable de jeter un regard en arrière et de constater, avec une satisfaction que je ne cherche pas à dissimuler, qu’uneœuvre vraiment utile est fondée et que, par elle, se sont déjà accomplis de remarquables progrès.
Il ya trois ans à peine qu’assistant à la clôture des travaux de fin d’année de votre ancienne école municipale de dessin,j’eus la pensée de dire à quelle heureuse et presqu’incroyable transformation, j’avais assisté, peu de temps auparavant, dans une grande ville voisine.
Sous la direction d’un homme de haute intelligence, actif, dévoué et persévérant, l’Etat s’était chargé de l’enseignement artistique dans le plus grand centre céramique de France. Bientôt, sous cette vigoureuse impulsion, jeunes gens et jeunes filles, appartenant à toutes les conditions sociales, aux familles ouvrières, comme à la bourgeoisie, étaient venus en foule, dans les salles encore insuffisantes, pour entendre l’enseignement des professeurs les plus distingués dont je suis heureux de saluer aujourd’hui les représentants à cette fête.
L’unité de méthode, l’étude de l’art dans ce qu’elle a d’élémentaire et par conséquent d’essentiellement soumis à des règles fixes, mathématiques en quelque sorte, la substitution du raisonnement et des recherches sincères aux habitudes routinières et aux tours d’adresse de la main, l’analyse patiente et l’observation exacte de la nature eurent bientôt produit leurs fruits.
L’Ecole de Limoges était devenue en peu de temps, sous la direction du même maître, la sœur cadette, de l’Ecole d’Art Décoratif de Paris, et les travaux de ses élèves, aussi bien que leurs applications céramiques se faisaient déjà remarquer aux expositions de l’Union centrale et aux expositions étrangères, portant ainsi, au grand honneur de cette ville et au grand profit de sa belle industrie, le nom de Limoges, dans tous les pays du monde et rappelant partout aux consommateurs comme aux concurrents étrangers, que, pour ne pas déchoir de sa vieille renommée, la patrie de Pénicaud et de Léonard Limosin avait su se mettre à la hauteur de la science moderne et que pour l’intelligence, l’instruction et le goût artistique, les céramistes d’aujourd’hui n’étaient pas inférieurs à ceux d’autrefois.
La tapisserie, cette peinture en matière textile, ne tient- elle pas, elle aussi, sa place dans les annales du grand art ?
Longtemps dédaignée par les historiens de la peinture qui ne cessent de professer à son endroit la plus absolue indifférence, n’a- t-elle pas été enfin réhabilitée dans ces derniers temps et les recherches des savants et des artistes (1) n’ont-elles pas fait défiler sous nos yeux d’inimitables modèles de tapisseries pour la beauté de l’ordonnance, la vivacité de l’action, la composition des figures, depuis les compositions d’un Mantegna, d’un Raphaël, d’un Jules Romain, jusqu’à celles d’un Rubens, d’un Lebrun, d’un Boucher !
Les manufactures d’Aubusson, étaient-elles moins dignes de l’attention des Pouvoirs publics, avaient elles jeté un lustre moins grand sur notre pays ?
Cette industrie essentiellement somptuaire n’avait-elle pas au même degré quela céramique, l’impérieux besoin de s’initier aux nouvelles méthodes, de se retremper aux sources vives de l’enseignement raisonné du dessin, ne devait-on pas, à côté des vieux ouvriers passés maîtres par une sorte de génie héréditaire, former à Aubusson, d’habiles apprentis, capables de lutter un jour avec avantage contre la concurrence toujours possible et déjà tentée à l’étranger.
Telles furent les questions que vos administrateurs, vos représentants à tous les degrés,vos industriels, posèrent avec insistance au Gouvernement,lui demandant de protéger l’industrie Aubussonnaise et de réaliser enfin pour elle des promesses toujours faites mais toujours ajournées. De quelle façon il y a été répondu ; vousle savez.
Le budget de l’Etat est venu libéralement en aide au budget municipal malheureusement insuffisant, des bâtiments spacieux ont été construits, des modèles et des métiers réunis en grand nombre, enfin, il n’y a pas encore une année, rêve à peine entrevu naguère, l’Ecole Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson a été solennellement inaugurée au milieu d’un grand concours d’étrangers, sous la présidence de l’homme éminent qui, Ministre du Commerce,avait organisé l’exposition de 1878, et en présence des représentants du département tout entier.
Une année ne s’est pas écoulée et l’école compte 220 inscriptions dont 88 jeunes filles et 122 jeunes gens.
L’assiduité aux cours ne laisse rien à désirer et les registres de points tenus à l’administration des Beaux-Arts démontrent qu’à cet égard, l’Ecole d’Aubusson est au premier rang parmi les établissements nationaux.
Recevez en nos félicitations, mes jeunes amis, et vous surtout, Mesdemoiselles, qui, au témoignage de vos maîtres méritez, dans toutes les branches de l’enseignement, sur mention particulière, vous qui, non contentes, d’une rigoureuse assiduité aux cours, demandez encore comme une faveur d’employer au travail artistique, si bien approprié aux finesses et aux grâces de votre sexe, même vos heures de repos et de récréation.
Les concours de dessin jugés par l’assemblée des professeurs à laquelle était adjoint un professeur de l’Ecole de Paris ont déjà montré de brillantes qualités.
Le concours de tapisserie jugé aux Gobelins par une commission spéciale composée des hommes les plus compétents, vous a valu beaucoup d’éloges et les morceaux de ce concours ont été exposés, à votre grand honneur, aux Ecoles d’Arts Décoratifs de Paris et de Limoges. Pendant que l’École de Paris faisait recevoir à l’examen pour le brevet de professeur quatre de ses élèves, l’Ecole de Limoges célébrait le succès, au même examen, d’une de ses jeunes filles, Mademoiselle Gorceix.
Mais Aubusson ne restait pas en arrière et votre jeune maître, M. Boucheronque je suis heureux de féliciter publiquement, obtenait lui aussi ce titre et cette distinction 18° sur 51 admissibles et sur 396 candidats.
Enfin, Mesdames et Messieurs, vos représentants à Paris et celui qui vous parle en particulier, ont eu la joie d’entendre M. Henri Bouilhet, vice-président de l’Union Centrale des Arts décoratifs et M. Kaempfen, Directeur des Beaux-Arts, prenant tour à tour la parole à la distribution des prix aux élèves de l’Ecole de Paris, associer dans leurs louanges et le témoignage de leur satisfaction, l’École de Paris, sa sœur cadette de Limoges et leur jeune sœur d’Aubusson, encore au berceau, « mais qui donne déjà, ont-ils dit, d’heureuses espérances. »
A la rentrée prochaine s’ouvriront les cours de tissage,broderie et savonnerie pour les jeunes filles et si, comme il n’est pas permis d’en douter, la municipalité amène à l’école l’eau promise et nécessaire, le cours pratique de chimie tinctoriale.
Ainsi pourra-t-on dire que le programme tracé par l’Etat est entièrement rempli.
A vous, mes chers amis, de savoir profiter de tous ces biens. Pénétrez-vous de cette pensée que vous avez en dépôt l’honneur de notre cher pays.
Nous avons le droit, après que tous les moyens de vous instruire ont été mis à votre disposition, de compter sur vos qualités natives, sur votre intelligence et sur votre travail pour maintenir haut et ferme votre vieille réputation et pour faire d’Aubusson un véritable centre artistique.
Ce sera aussi le moyen de servir la grande cause de la patrie Française.
C’est en effet un point aujourd’hui démontré que l’industrie de notre pays, battue en brèche par le bon marché étranger dans les objets de consommation courante, a gardé au contraire sa supériorité dans les productions artistiques.
L’exposition des Arts du métal à Nuremberg vient d’en donner une nouvelle preuve.
« Là se trouvent nous disait, il y a 15 jours, M. Bouilhet, des compositions longuement cherchées, des pièces exécutées par fl’élite des artisans de l’Allemagne.
Mais ces travaux n’ont ni le charme, ni la souplesse des dessins et des compositions françaises, les œuvres des maîtres allemands se ressentent toujours de cette rigidité froide et de cette profusion redondante de la renaissance allemande.
Les produits des fabricants qui demandent aux professeurs des écoles d’art industriel leur inspiration et leurs modèles manquent toujours de cette sobriété élégante et de cette clarté lumineuse qui est le fond de notre art industriel français.
Aussi peut-on dire sans forfanterie et sans chauvinisme, que nous sommes en progrès et qu’il faut envisager l’avenir avec confiance. »
Si ces encourageantes paroles ont pu être prononcées par un grand industriel français doublé d’un véritable artiste, devant un public d’élite, insérées au Journal officiel, c’est qu’elles reposent sur une observation attentive des faits et il faut savoir en faire notre profit, non assurément pour nous endormir dans une dangereuse quiétude, mais, pour y puiser de. nouvelles forces et marcher plus résolument encore dans la voie de l’infini progrès.
Si la France conserve le premier rang dans les arts industriels, soyez-en surtout reconnaissants à vos maîtres si instruits et si dévoués.
Aimez votre directeur, cet initiateur et ce propagateur d’idées, comme il mérite de l’être et faites lui croire, quand il est au milieu de vous, à Aubusson, qu’il n’a pas quitté ces charmants enfants de l’école de Paris, dont les sentiments pour leur chef, nous ont, l’autre jour, profondément touchés.
Vous aurez bientôt une occasion unique de montrer que vous avez grandi et que les leçons de vos maîtres ne sont pas tombées sur un sol stérile.
La France va célébrer dans quatre ans la plus grande date de son histoire.
Pour fêter le souvenir de la Révolution, elle convie tous les peuples du monde à la lutte pacifique de l’intelligence et du travail.
Je sais que vos travaux associés à ceux de vos camarades de Paris et de Limoges vont être dirigés en vue du rôle qu’il vous convient de jouer à cette mémorable date.
Soyez dignes de ce qu’on attend de vous et cent ans après le jour où, brisant des chaînes séculaires, la France répandit sur le monde le souffle de la liberté, fils respectueux et reconnaissants, mettez à ses pieds vos plus beaux ornements, ajoutez une fleur de plus à sa couronne immortelle.
Cette allocution terminée, M. Doumet, secrétaire de l’École, donne lecture du Palmarès et les élèves viennent recevoir leurs récompenses.
Enfin, après que M. le Directeur eut fait connaître la date du lundi 19 octobre pour la rentrée des classes, M. le Président prononce la clôture de la séance.
A ce moment le Directeur, au nom de l’assemblée des professeurs de l’École et des élèves, remet, au milieu des plus vifs applaudissements, à M. Broquin, chef de la Fanfare, une médaille d’argent de l’École comme témoignage de sa gratitude pour le concours que la Fanfare a bien voulu donner à cette solennité.
Immédiatement après, M. le Président, M. le Sous-Préfet et M. le Maire, accompagnés de toutes les personnes qui les entouraient et du public nombreux qui assistait à la distribution des récompenses se dirigent vers l’École et procèdent à l’inauguration de l’exposition-qui comprend, dans la salle du cours de dessin, les travaux de dessin et de tissage exécutés par les élèves d’Aubusson, et dans la nouvelle salle des jeunes filles, les envois des écoles nationales de Paris et de Limoges.
M. Mazeron, s’adressant au Directeur, le remercie au nom de la ville d’Aubusson pour le concours que les deux Écoles sœurs ont donné en cette occasion et le charge de transmettre aux professeurs et aux élèves ses félicitations et celles de la ville.
M. le Directeur remet, au nom du Ministre, à M. le Président, à titre de souvenir de cette première cérémonie qu’il avait tant de droits à présider, un vase décoré au grand feu de four par l’atelier céramique de l’École de Limoges, et à M. le Sous-Préfet, pour le musée qu’il a su créer, les pièces de grand feu envoyées par l’École de Limoges, sur l’ordre de M. Kaempfen, Directeur des Beaux-Arts.
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