Jean-Eugène Robert-Houdin à Aubusson (1829)

 La Magie devrait-elle beaucoup à Aubusson ? c’est bien possible en lisant les mémoires du plus grand des magiciens français.

Jean-Eugène Robert-Houdin, né à Blois le 7 décembre 1805 et mort à Saint-Gervais-la-Forêt le 13 juin 1871, est le plus célèbre illusionniste français du XIXème siècle.

Fondateur du Théâtre Robert-Houdin en 1845 (Méliès y fera certains de ses premiers films) et surnommé le « père de la magie moderne », Jean-Eugène Robert-Houdin est considéré comme l’un des plus grands illusionnistes et prestidigitateurs de tous les temps, à l’origine de presque tous les « grands trucs » de la magie actuelle. Son père le destinait à l’horlogerie et il s’est servi de cela pour devenir un grand constructeur d’automates, pour lesquels il déposera de nombreux brevets.

Les mémoires de Jean-Eugène Robert-Houdin (1805-1871) « Confidences et révélations : comment on devient sorcier », imprimé à Blois en 1868, recèlent quelques surprises concernant notre ville :

C’est lors de son tour de France comme apprenti horloger, entre 1828 et 1830, que Robert-Houdin passe par Aubusson, ville dont il connait les atouts puisqu’il cite une « ville célèbre par ses nombreuses manufactures de tapis ». Son arrivée en ville est pourtant fracassante puisqu’il y entre en grande difficulté comme il le décrit lui-même :

 « Ma détermination de partir était donc bien arrêtée de pénibles circonstances retardèrent encore le moment de la séparation. Nous étions sur le point d’arriver à Aubusson, ville célèbre par ses nombreuses manufactures de tapis. Torrini et son domestique étaient sur le devant de la voiture, moi j’étais à mon travail. Nous descendions une côte, et Antonio avait serré le frein puissant destiné à enrayer les roues de notre véhicule. Tout à coup, j’entends le bruit d’un objet qui se brise, puis la voiture, violemment lancée, descend avec une rapidité effrayante. Les moindres obstacles lui font faire des soubresauts à tout briser et produisent un balancement régulier qui s’accroît en nous menaçant d’une chute épouvantable. Tremblant et respirant à peine, je me cramponne à mon établi comme à une planche de salut et, les yeux fermés, j’attends avec terreur la mort qui paraît inévitable. Un instant nous sommes sur le point d’échapper à notre catastrophe. Nos vigoureux chevaux, habilement dirigés par Antonio, avaient tenu bon dans cette course effrénée nous étions enfin arrivés au bas de la côte. Déjà même nous passions devant les premières maisons d’Aubusson, quand la fatalité conduit de ce côté une énorme voiture chargée de foin qui, sortant d’une rue transversale, vient subitement nous barrer le passage. Son conducteur ne s’aperçut du danger que lorsqu’il n’était plus temps d’y parer. La rencontre était inévitable, le choc fut terrible. Lancé violemment sur la cloison de ma chambre, je fus un instant étourdi par la douleur, mais presque aussitôt revenu à moi, je pus encore descendre de voiture et m’approcher de mes compagnons de voyage. Antonio, couvert de contusions sans gravité, soutenait Torrini, qui beaucoup plus maltraité que nous, avait le bras démis et une jambe cassée. Nos deux chevaux gisaient sur la place ils avaient été tués sur le coup. Quant à la voiture, la caisse seule était à peu près intacte, le reste se trouvait complétement démembré. Un médecin, que l’on alla chercher, arriva presque en même temps que nous dans une auberge voisine où nous avions été conduits. »

 Torrini, blessé, pendant son séjour forcé à Aubusson, lui raconte son parcours et ses difficultés et Robert-Houdin, pour gagner l’argent qui leur manque pour les réparations de leur chariot et l’achat de chevaux, décide de donner quelques représentations de magie en ville :

« Quelques mots échappés à Torrini pendant son récit m’avaient confirmé dans la pensée que sa position pécuniaire était embarrassée. Je le quittai sous le prétexte de le laisser reposer, et je priai Antonio de faire une promenade avec moi. Je voulais lui rappeler qu’il était temps de mettre à exécution le plan que nous avions conçu et qui consistait à donner, sans en parler à notre cher malade, une ou plusieurs représentations à Aubusson. Antonio fut de cet avis. Mais lorsqu’il s’agit de décider qui de nous deux monterait sur la scène, il se récusa, prétendant ne connaître de l’escamotage que ce qu’il avait été forcé d’apprendre pour son service. Il savait, me dit-il, glisser au besoin une carte, un mouchoir, une pièce de monnaie dans la poche d’un spectateur sans que celui-ci s’en aperçût, mais rien au-delà. J’ai su plus tard que, sans être très adroit, Antonio en savait plus qu’il ne voulait le dire. Nous décidâmes que je serais le représentant de notre sorcier. »

 Grâce à l’argent récolté, les compères purent repartir :

 « Torrini donna satisfaction complète à ses créanciers; il acheta deux bons chevaux, fit réparer sa voiture, après quoi, n’ayant plus rien à faire à Aubusson, il décida qu’il partirait. Le moment de nous séparer était arrivé, et mon vieil ami y était préparé depuis huit jours. Les adieux furent douloureux pour tous ; un père quittant son enfant, sans espoir de le revoir jamais, n’eût pas éprouvé un plus violent chagrin que celui que ressentit Torrini en me serrant dans ses bras pour la dernière fois. De mon côté, je ne pouvais me consoler de perdre deux amis avec lesquels j’eusse si volontiers passé ma vie. Je partis pour Blois, tandis que Torrini prenait la route de l’Auvergne. »

 Pourtant, tout futur horloger qu’il était destiné à devenir, les représentations d’Aubusson restaient en tête de Robert-Houdin :

 « L’expérience que j’acquis près de Torrini, le récit de son histoire, nos conversations et ses conseils eurent une influence considérable sur mon avenir. Avant cette époque, ma vocation pour l’escamotage était encore bien vague; depuis, elle me domina impérieusement. Cependant cette vocation, il me fallait la repousser de toutes mes forces et lutter corps à corps avec elle il n’était pas supposable que mon père, qui avait déjà dû céder à ma passion pour l’horlogerie poussât la faiblesse jusqu’à me laisser tenter une voie nouvelle et surtout si étrange. J’eusse pu certainement profiter du bénéfice de mon âge, car j’étais majeur mais, outre qu’il m’eût coûté de déplaire à mon père, je réfléchissais encore que, possesseur d’une bien petite fortune, je ne pouvais l’exposer sans son consentement. Ces raisons m’engagèrent, sinon renoncer il mes projets, du moins à les ajourner. D’ailleurs, mes succès à Aubusson n’avaient pu changer une opinion bien arrêtée que j’avais sur l’escamotage, c’est que pour représenter convenablement un homme adroit et capable d’exécuter des choses incompréhensibles, il faut avoir un âge en rapport avec les longues études qu’on a dû faire pour arriver à cette supériorité. »

 C’est la peur au ventre que Robert-Houdin se lance dans le spectacle mais en se rappelant du « véritable succès de début » qu’il avait obtenu auprès des habitants d’Aubusson.

 J’avais donc déjà fait quelques répétitions partielles ; je résolus d’en faire une qui précédât la répétition générale. Comme je n’étais pas entièrement sûr de la réussite de mes expériences, je n’invitai qu’une demi-douzaine d’amis intimes, qui devaient me donner leur avis avec la plus grande sévérité. Cette séance fut fixée au 25 juin 1845.

Ce jour-là, je fis mes préparatifs avec autant de soin que si j’eusse dû, le soir même, faire mon grand et solennel début. Je dis solennel, car il faut que je confesse que, depuis un mois environ, j’étais possédé d’une panique anticipée, à laquelle je ne pouvais attribuer d’autre cause que mon tempérament excessivement nerveux et impressionnable. Je passais mes nuits dans une complète insomnie; l’appétit m’avait entièrement abandonné, et ce n’était qu’avec un serrement de cœur indéfinissable que je pensais à mes séances. Moi, qui jusqu’alors avais traité si légèrement les représentations que je donnais devant mes amis moi, qui avais obtenu près des habitants d’Aubusson un véritable succès de début, je tremblais comme un fant.

De là à dire que la vocation de Robert-Houdin pour la magie s’est ancrée grâce aux habitants d’Aubusson, il n’y a donc qu’un pas …

 

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Image : Jean-Eugène Robert-Houdin, 6 juillet 1850, source : Wikipédia

 

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