En ce jour de commémoration de l’appel du 18 Juin, un petit texte sur notre ville en 1940.
Le Journal L‘EFFORT, tiré à moins de 10 000 exemplaires et fondé par Charles Spinasse, ancien ministre du Front populaire et Paul Rives, député socialiste de l’Allier est , en 1940, le journal des socialistes ralliés à Vichy. Il est imprimé un temps à Clermont-Ferrand puis à Lyon.
C’est dans ce journal que le ministère des affaires étrangères de Vichy puise ce texte, écrit par André Botta qui sera plus tard déporté. L’article est repris dans les « informations générales » de sa semaine du 14 au 20 Octobre 1940, le fascicule de propagande de Vichy. Petit article mise au point sur notre artisanat en crise en 1940, ce texte cache un lourd futur : dans le même fascicule, on trouve le texte sur le statut des juifs de nationalité française qui date du 3 Octobre de la même année…
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AUBUSSON SUBIT DUREMENT LA CRISE
Aubusson 13 octobre.
Aubusson, le nom de cette petite ville de 6.000 habitants, admirablement située au confluent de trois vallées pittoresques, est connu dans le monde entier pour ses tapisseries d’art et ses tapis. Sa renommée, on peut le dire, égale celle de Beauvais et des Gobelins.
Mais hélas! l’époque de la prospérité est finie, du moins momentanément, pour Aubusson. La cité, autrefois bourdonnante du bruit des métiers, a sombré dans une léthargie presque absolue, comme la Belle attendant la venue d’un Prince charmant. La crise économique, aggravée par les événements que nous vivons, a eu, en effet, une profonde répercussion sur l’activité artistique et économique de cette sous-préfecture de la Creuse. Les 2.500 personnes que l’industrie des tapis et de la tapisserie occupait il y a quelques années, sont maintenant réduites à l’inactivité.
Mais, avant d’examiner la situation présente, revenons un peu sur le passé. Les historiens ne sont pas d’accord sur l’origine de la fabrication de la tapisserie à Aubusson. Les uns prétendent qu’elle remonterait aux invasions des Sarrasins. D’après eux, certains des envahisseurs se seraient installés aux bords de la Creuse dont les eaux, paraît-il, possédaient des propriétés exceptionnelles pour le tannage des peaux. Comme leur groupe comprenait également des teinturiers et des tapisseries, ils auraient été les premiers à tisser les tapisseries qui devaient plus tard consacrer la renommée de la ville. Pour d’autres, l’origine de l’industrie remonterait aux environs de 1327. A cette époque, le comte de la Marche (dont dépendait Aubusson), Louis de France, petit-fils de Saint-Louis, avait pris pour épouse Marie d’Avenes, fille du comte de Hainaut. Or, dans les Flandres, on fabriquait déjà de la tapisserie et l’on pense que la comtesse dut appeler auprès d’elle des ouvriers qualifiés de son pays. A Aubusson, où existaient des tisserands et des drapiers, ils purent aisément former des élèves.
Ajoutons d’ailleurs, à l’appui de cette thèse, qu’en 1650, plusieurs tapissiers émigrés des Flandres vinrent s’établir dans la ville où ils continuèrent leur métier.
Il semble donc que ce soit des Flandres qu’est venue l’industriede la tapisserie, qui devait faire la célébrité d’Aubusson.
Nous passerons sur les détails de fabrication. Disons simplement qu’on tisse à Aubusson des tapis, tapis de Savonnerie faits à la main et tapis plus ordinaires tissés mécaniquement. Mais la véritable gloire d’Aubusson ce sont ses tapisseries d’art.
La tapisserie est « un ouvrage homogène dans lequel des fils de couleurs tissés sur une chaîne de coton, de laine ou de lin étendue horizontalement dans le métier de basse lice forment corps avec elle pour engendrer un tissu produisant des combinaisons de lignes et de tons.
Les motifs qui y sont représentés font donc partie intégrante du tissu et ne sont pas superposés sur un tissu déjà existant, comme dans la broderie ou la tapisserie au point de canevas ».
L’ouvrier tapissier exécute son œuvre d’après un modèle, le carton, grandeur d’exécution, peint par un artiste. Mais selon sa personnalité et son tempérament, il interprète le modèle, apportant ainsi une note d’originalité dans l’exécution et dans les coloris. On ne naît pas tapissier. Bien que, par une sorte d’hérédité, les enfants d’Aubusson montrent très rapidement des prédispositions pour cet art, il faut de très nombreuses années pour former un ouvrier. Encore ce dernier apprend-il toujours et se perfectionne-t-il sans cesse.
Après avoir subi des fortunes diverses au cours des siècles passés, Aubusson a connu la prospérité jusqu’en 1928. On fabriquait alors beaucoup de petites tapisseries pour sacs de dames; d’autre part, les Etats-Unis étaient de gros clients pour les tentures et tapisseries d’ameublement. Mais la mode passa et les sacs à main d’Aubusson furent délaissés. En outre, les Etats-Unis connurent, eux aussi, la crise économique et les achats diminuèrent pour autant. Cependant, on continuait encore à exporter, lorsqu’intervint la politique douanière nouvelle instaurée par les Etats-Unis, imposant un droit de 40 à 60 ad valorem sur les tapisseries d’Aubusson. C’était l’hallali.
En France, les tapisseries d’Aubusson étaient écartées des ameublements modernes, on trouvait qu’elles ne « cadraient » pas avec un ensemble aux lignes droites, nettes, aux surfaces lisses. Aubusson faisait rococo. Alors, ce fut d’abord le marasme, puis les usines fermèrent, les artisans arrêtèrent leurs métiers et le chômage est venu avec son cortège de misères.
Nous avons 800 chômeurs inscrits, nous dit M. Laudillon, maire-adjoint; de plus, depuis l’arrêt total de l’industrie de la tapisserie, beaucoup d’Aubussonnais sont allés à Montluçon chercher du travail. Laudillon nous exprime ses craintes pour l’avenir.
— Depuis dix ans, il ne s’est plus fait d’apprentis. Aussi, si cela continue, lorsque les artistes actuels auront disparu, l’ industrie elle- même disparaîtra. Seul, ou à peu près seul, subsiste encore une sorte d’atelier d’Etat. Il est dirigé par des représentants des Beaux-Arts, du Syndicat des tapissiers et des artisans. Il occupe annuellement une trentaine d’ouvriers, utilisant les meilleurs par roulement. On l’appelle, d’ailleurs, « l’atelier unique ».
— Mais, demandons-nous, pourquoi ne pas abandonner les sujets classiques pour faire du « moderne »? Peut-être les tapissiers d’Aubusson trouveraient-ils alors des débouchés nouveaux?
— De gros efforts ont été tentés dans ce sens, nous répond le maire. Malheureusement, il y a eu la guerre. D’ailleurs, ajoute-t-il, je vais vous montrer un spécimen.
Nous sommes dans la salle du Conseil municipal de l’hôtel de ville bâti en 1937 dans un style moderne. Il y a là, en effet, un panneau de 3 m. 50 sur 2 m. 50 environ, représentant une fête champêtre de nos jours, dont les tons chauds et la facture ne détonnent aucunement à côté du mobilier aux lignes sobres et nettes. Les fauteuils, recouverts d’Aubusson, représentant des gerbes de fleurs aux couleurs vives, sont aussi parfaitement dans le goût de l’ensemble. Nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer notre admiration pour cette décoration qui fait honneur aux tapissiers d’Aubusson, tout en s’harmonisant admirablement avec la conception moderne qui a présidé à la construction de la mairie.
— Nos artistes ont fait également une série de panneaux pour l’Ecole professionnelle de Metz, qui sont de véritables merveilles.
Ainsi, si on le veut, Aubusson peut revivre. Mais il faut se hâter. Un souffle nouveau pourrait faire retrouver son activité à ce centre, aujourd’hui délaissé. La tapisserie d’Aubusson est un des plus beaux fleurons de notre art.
Floret inter spinas, dit la devise de la ville: « Elle fleurit parmi les épines». Il ne faut pas laisser cette fleur s’étioler et mourir.
André BOTTA. (L’Effort 14 octobre 1940).
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