Gaucelm Faidit, troubadour amoureux de Marguerite d’Aubusson

Restons dans le Printemps des poètes : Dans « Les Vies des Troubadours, écrites en roman par des auteurs du XIIIe siècle et traduites en français par un indigène« , écrit en 1866 par Pierre d’en Sagnos, on lit la vie de Gaucelm Faidit, un des troubadours les plus prolixes de son temps, né à Uzerche vers 1150 et maniant autant la langue d’oc que la langue d’Oil . Cette vie croise celle, pour le moins tumultueuse, de la plus célèbre des aubussonnaises : Marguerite d’Aubusson.

Gaulcem Faidit, Wikipédia Commons, BNF

« Gaucelm Faidit était d’un bourg qu’on nomme Uzerches et qui est dans l’évêché de Limoges. Il était fils d’un bourgeois : il chantait plus mal qu’homme du monde mais il faisait beaucoup de beaux airs et de bonnes chansons. Il se fit jongleur par occasion après avoir perdu tout ce qu’il possédait au jeu des dés. C’était un homme très libéral : il buvait et mangeait gloutonnement et il devint gros outre mesure. Il fut très longtemps infortuné sans argent et sans honneurs car, pendant plus de vingt ans, il alla par le monde sans que ni lui ni ses chansons fussent agréés ni qu’on s’en souciât. Il prit pour femme une prostituée qu’on nommait Guillelma la Moinesse et qu’il mena longtemps avec lui dans les cours. Elle était fort belle et bien élevée et elle devint aussi grosse et aussi grasse que lui. Elle était d’un riche bourg de la marche de Provence qu’on nomme Alais dans la seigneurie de Bernard d’Anduze.
Messire Boniface, marquis de Montferrat, le mit en bel équipage et fit sa réputation avec celle de ses chansons.

Vous avez entendu qui fut G. Faidit, d’où il vint et où il demeura. Il eut tant de cœur qu’il s’énamoura de Madame Marie de Ventadour, la meilleure dame et la plus avenante qu’il y eût dans ce temps là et il en faisait le sujet de ses chansons. C’était en chantant qu’il la sollicitait, c’était en chantant qu’il la louait, la vantait et faisait valoir son grand mérite et elle le souffrait à cause du renom qu’il lui donnait. Et ainsi leurs amours durèrent bien sept années sans qu’il eût jamais du plaisir en droit d’amour. Et un jour, Gaucelm vint devant sa dame et lui dit qu’elle lui ferait plaisir en droit d’amour ou qu’elle le perdrait et qu’il chercherait une dame de qui lui viendrait grand bien d’amour et il prit congé d’elle avec humeur.

Et Madame Marie manda une noble et belle dame qui se nommait Madame Edouard de Malamort et elle lui dit tout ce qui se passait entre elle et Gaucelm et elle lui demanda conseil sur ce qu’elle devait répondre à Gaucelm et comment elle pourrait le retenir sans faire l’amour avec lui. Elle dit qu’elle ne lui conseillerait ni de le congédier ni de le retenir mais qu’elle le ferait renoncer à son amour sans qu’il en gardât rancune ni malveillance. Madame Marie fut très joyeuse quand elle entendit cela et la pria beaucoup de l’accomplir. Madame Edouard s’en alla. Elle prit un messager courtois et envoya dire à Gaucelm de préférer un petit oiseau sur le poing à une grue volant dans le ciel. Quand Gaucelm eut entendu ce qu’on lui mandait il monta à cheval et s’en alla auprès de Madame Edouard qui le reçut fort amoureusement. Et il lui demanda pourquoi elle lui avait fait parler du petit oiseau et de la grue.
Et elle lui dit qu’elle avait grande pitié de lui parce qu’elle savait qu’il aimait et n’était point aimé : « car, dit-elle, vous l’avez trop élevée en réputation et sachez que c’est elle qui est la grue et moi je suis le petit oiseau que vous tenez sur le poing prêt à faire et à dire tout ce que vous commanderez. Et vous savez bien que je suis noble haute par la richesse et jeune d’années et l’on dit aussi que je suis fort belle. Et jamais je ne donnai ni ne promis ni ne trompai ni ne fus trompée. Et j ai grande envie de valoir et d’être aimée afin d’acquérir de l’estime et des louanges. Et je sais que vous êtes celui par qui je peux avoir tout cela et moi je suis celle qui peux récompenser tout cela. Et je vous veux pour amant et je vous fais don de moi et de mon amour à condition que vous preniez congé de Madame Marie et que vous fassiez une chanson dans laquelle vous vous plaindrez d’elle courtoisement et vous direz que puisqu’elle ne veut pas suivre une autre voie, vous avez trouvé une autre dame libre et noble qui vous aimera. »

Quand Gaucelm entendit les choses gracieuses et plaisantes et les prières qu’elle lui adressait quand il vit les façons amoureuses qu’elle lui montrait et combien elle était belle, il fut tellement saisi d’amour qu’il ne savait où il en était. Et quand il eut repris connaissance il lui rendit grâces autant qu’il le put et lui dit qu’il ferait tout ce qu’elle lui commanderait qu’il mettrait tout son cœur en elle et renoncerait à son amour pour Madame Marie. Et ils se firent cette promesse l’un à l’autre. Gaucelm s’en alla plein de joie et il s’occupa de composer la chanson où il devait faire entendre qu’il s’était séparé de Madame Marie et qu’il en avait trouvé une autre qu’il avait retenu et la chanson dit :
Tant ai souffert …
Na Maria connut cette chanson et s’en réjouit beaucoup et Madame Edouard également car elle comprit qu’il avait éloigné son cœur et ses chants de Madame Marie et qu’il avait cru aux fausses promesses qu’elle lui avait faites pour obtenir cette chanson. Au bout de quelques temps, G. Faidit alla voir Madame Edouard en grande gaîté comme celui qui espérait entrer tout de suite dans sa chambre et elle le reçut fort bien. Gaucelm se mit à ses pieds et lui dit qu’il avait fait ce qu’elle lui avait commandé qu’il avait transmué son cœur en elle et qu’elle devait lui accorder les plaisirs qu’elle lui avait promis et qu’il méritait après ce qu’il avait fait pour elle. Madame Edouard lui dit : « Vous avez tant de mérite et tant de réputation qu’il n y a pas une femme au monde qui ne doive se tenir pour récompensée de l’amour qu’ elle aurait pour vous car vous êtes le père du mérite mais ce que je vous ai promis, je ne l’ai point fait dans l’intention de vous aimer d’amour mais pour vous tirer de la prison où vous étiez et de cette folle espérance qui vous a tenu plus de sept ans car je connaissais les volontés de Madame Marie et je savais qu’ elle ne vous accorderait rien de ce que vous désiriez au lieu que moi je serai votre amie prête à faire tout ce que vous me commanderez pourvu qu’il n’y ait rien de déshonnête. »
Gaucelm, entendant cela, fut triste et affligé et il commença à crier merci à la dame, la suppliant de ne pas le faire mourir, de ne point le trahir ni l’enjôler. Elle lui dit qu’elle ne le tuerait ni ne le tromperait et qu’au contraire elle l’avait sauvé de la tromperie et de la mort. Quand il vit qu’il était inutile de crier merci, il s’en alla fort mécontent croyant qu’il avait été joué car il s’était séparé de Madame Marie et ce qu’on lui avait promis n’avait été que pour le tromper. Il songea à revenir demander merci à Madame Marie et il fit cette chanson qui dit :
No m’alegra …
Mais ni chanson ni rien au monde ne lui fit trouver miséricorde et ses prières ne furent point entendues. Quand Gaucelm fut éloigné de Madame Marie par Madame Edouard comme vous l’avez vu il demeura longtemps chagrin à cause du piège où il s’était pris. Mais Madame Marguerite d’Aubusson, femme de Raymond Vicomte d’Aubusson, l’égaya et le fit chanter. Elle lui dit tant de choses plaisantes et lui montra tant de semblants amoureux qu’il s’énamoura d’elle et la pria d’amour. Et elle afin qu’il la fît valoir et la mît en réputation reçut ses prières et lui promit de lui accorder le plaisir d’amour. Les prières de Gaucelm durèrent longuement et il la vantait tant qu’il pouvait et elle comme si elle ne s’était pas réjouie de ses louanges n avait point d’amour pour lui et n’en faisait aucun semblant. Mais une fois qu’il prenait congé d’elle il la baisa au col et elle le souffrit amoureusement ce qu’i le fit vivre en grande joie tant il en éprouva de plaisir. Mais elle aimait Hugues de la Signe qui était fils d’Hugues le Brun, Comte de la Marche, et qui était grand ami de Gaucelm.
La dame demeurait au château d’Aubusson où elle ne pouvait voir Hugues de la Signe ni se donner aucun plaisir, c’est pourquoi elle fit semblant d’être malade mortellement et fit vœu d’aller à ND de Rocamadour. Elle envoya dire à Hugues de la Signe de venir à Uzerche dans un faubourg où demeurait G. Faidit, de venir furtivement et de descendre chez Gaucelm où elle viendrait elle-même et lui ferait le plaisir d’amour et elle lui assigna le jour où il devait venir. Quand Hugues entendit cela il fut très joyeux et il vint là au jour indiqué et descendit dans la maison de Gaucelm et lorsque la femme de Gaucelm le vit, elle le reçut avec beaucoup de joie. Et la dame arriva descendit dans la maison et trouva Hugues caché dans la chambre où elle devait passer la nuit. Et quand elle l’eut trouvé, elle fut fort joyeuse et resta là deux jours et puis elle s’en alla à Rocamadour. Et lui l’attendit là jusqu’ à son retour et quand elle fut revenue, ils y restèrent encore deux jours et chaque nuit, ils couchaient ensemble avec une grande joie. Lorsqu’ils furent partis, Gaucelm ne tarda guère à venir et sa femme lui conta toute l’affaire. Gaucelm en l’apprenant fut sur le point de mourir de chagrin car il avait cru qu’elle n’en aimait pas d’autre que lui et ce qui lui fit encore plus de peine, c’est qu’ils avaient couché dans son propre lit. Il fit sur ce sujet une chanson pleine de malice qui dit :
S anc. négus hom …
et ce fut la dernière qu’il fit. »

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