J’ai déjà dit que je n’étais pas le seul à penser qu’Aubusson n’avait pas toujours fait les meilleurs choix en matière d’urbanisme. Un de ces choix a fait l’objet de beaucoup de controverses : L’Hôtel de Ville. Dans le deuxième bulletin annuel de l’Association des Amis d’Aubusson, en 1935, on trouve un article à la fois documenté et trés critique sur la construction de cet établissement.
« Notre protestation au sujet de la façade de l’Hôtel de Ville » (Février – Mars – Avril 1935)
L’urbanisme, doctrine impliquant une suprématie du général sur le particulier, rencontre, chez nous comme ailleurs, des résistances forcenées.
L’urbanisme s’applique, avant tout, à garder à une ville son visage, son caractère.
« L’art de l’urbanisme dépasse celui de l’architecture.Il est une manière de composition du pays dans lequel s’insèrent les monuments humains…. A la base de cette composition, il y a l’étude attentive du site, qui est une espèce de monument naturel.La compréhension du site entraîne celle de la mesure des édifices et de leur relation réciproque. »
C’est pour avoir totalement enfreint ces règles, cependant si lumineuses, que les auteurs du projet de l’Hôtel de Ville d’Aubusson, réalisé depuis de façon plus défectueuse encore, ont encouru la légitime protestation de notre Association.
Tel qu’il était conçu, mais surtout tel qu’il est réalisé, l’édifice n’est pas défendable à Aubusson.
Sans parler des erreurs qui ne se voient pas, telle le vraiment inacceptable logement du concierge, il y a, hélas, celles qui se voient déjà : la pierre blanche, le campanile, et, par dessus tout, l’alignement.
Notre Association, fondée le 29 juillet 1933, était née trop tardivement pour protester avec utilité sur les deux premiers points.
L’exemple des constructions de la Caisse d’Epargne aurait du suffire pour faire écarter la pierre blanche, friable, salissante, et qui ne convient ni à notre pays de beau et solide granit, ni à notre climat.
Quant au campanile, il a été l’objet, en juillet dernier seulement, d’une remarque défavorable des architectes eux-mêmes qui, seulement alors, venaient de s’apercevoir que l’effet n’en serait vraiment pas heureux… Et, pour conclure, on l’a maintenu…
C’est donc au sujet de l’alignement de l’édifice que notre Association a déployé ses efforts, en dehors de toute idée politique, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit sur ce point. Ces efforts sont malheureusement restés vains.
Bien qu’il n’ait jamais été fait à l’Association, ni par la Préfecture, ni par la Mairie, une réponse directe, nous tenons à réfuter le lamentable plaidoyer pro domo que constitue le « rapport » des architectes.
Deux remarques préalables :
1° Le public n’a pu juger le projet que par maquette ou perspective qui en été publiée dans la presse, perspective qui s’éloigne considérablement de la réalité.2° Les plans qu’on a pu consulter à la Mairie avant l’adjudication des travaux indiquent une implantation toute différente de celle qui a été réalisée.
Pour que nos lecteurs puissent contrôler la légitimité de notre protestation, nous publions, à notre tour, deux plans :
Sur le plan n°1, nous avons ramené à la même échelle et superposé :
a) le plan général d’alignement ;
b) le plan de masse suivant le projet et les plans approuvés
c) le plan donné par le Mémorial et accompagnant le rapport des architectes.
Aucun de ces deux derniers ne coïncide avec le plan général.
En est-il un seul d’exact ? Nous n’avons pas le moyen de résoudre cette énigme.
En tous cas, ces inexactitudes sont certaines. Elles sont, sans nul doute, à la base de ce fait que la façade n’a plus, par rapport à la rue, l’inclinaison projetée, déjà disgracieuse, mais une inclinaison beaucoup plus grave encore ; que, de plus, cette façade se trouve raccourcie de plus d’un mètre ( elle aura 25 m 50 dit le rapport des architectes ; elle aurait du avoir 26 m 70 si l’on avait suivi les plans approuvés).
Sur le plan n° 2, tracé d’après le plan cadastral, nous avons reporté :
a) L’alignement projeté suivant les plans approuvés ;
b) L’alignement exécuté suivant le rapport des architectes.
Ces deux plans sous les yeux, nous invitons les Amis d’Aubusson à relire ce rapport.
Ils se rendront compte, tout d’abord, que les auteurs du projet émettent une prétention inconcevable, celle d’avoir fait la seule chose qu’il était possible de faire.Tout le raisonnement du rapport suppose une obligation qui n’existait pas :
Celle de faire l’œuvre comme ils l’ont conçue. On croirait, à les lire, que même les côtes de hauteur (16 mètres à la première corniche, 20 mètres à la seconde) leur étaient imposées.
Bien plus, la liaison de l’Hôtel de Ville et de la Salle des Fêtes leur paraît indissoluble :
« L’axe de l’Hôtel de Ville se prolonge par l’axe du vestibule de la Salle des Fêtes ».
Le parti est-il donc si heureux ?
Et si c’est lui et lui seul qui commandait l’implantation oblique de la façade, devait-on hésiter à l’abandonner ?
Il y a, nous dira-t-on, la servitude de l’immeuble Caillat.
Une autre implantation n’empêchait en rien de la respecter ; et nous pourrons cependant faire observer que notre Association était déjà intervenue pour demander l’achat de cet immeuble.
Nous ne prétendons pas que, pour résoudre la question, il suffit de faire pivoter le plan projeté pour l’amener en retrait parallèle à la rue, nous n’avons jamais demandé surtout, comme le laisse supposer le rapport des architectes, que la façade soit implantée à la limite de la rue.
Nous trouvons tellement louable la préoccupation de proportionner l’édifice à la largeur du dégagement qui le précède, que nous aurions préféré, quant à nous, que ce souci soit moins explicitement exprimé dans le rapport et plus apparent dans l’œuvre.
Il y a, dans ce rapport des architectes, quelques affirmations pour le moins osées :
« Si même l’on avait pu « adopter le principe d’une façade d’Hôtel de Ville sensiblement parallèle à l’axe de la rue… en venant de la direction de Montluçon, pas plus la moitié de la façade de l’Hôtel de Ville ne serait visible ».
Or, le passant qui descend tout bonnement de la Place Espagne, tant qu’il n’est pas arrivé en face, ne voit pas l’édifice.
Et nous croyons bien sincèrement que si l’angle du sud, qui est à plus de 14 mètres en retrait, n’avait été qu’à 8 ou 9 mètres on l’apercevrait davantage…« Nous ne pensons pas que personne ait pu songer à construire suivant la forme parallélogramique du terrain ».
Nous supprimerons le qualificatif injustifié accordé à la forme du terrain, et nous nous étonnerons, au contraire, qu’on ait pu songer à se libérer de la forme du terrain dans la conception de l’édifice : l’Opéra, que personne ne peut confondre avec une maison de rapport, est construit sur un terrain de formes irrégulières…
Devons-nous dire encore qu’une façade symétrique et rectiligne ne s’imposait pas, que la pénétration en pointe dans l’immeuble Caillat d’une telle façade implantée parallèlement à la rue, pouvait être supprimée par une habileté architecturale ?
Si l’emplacement était déjà restreint, pourquoi avoir logé si grandement la police et la justice de paix, pourquoi avoir consacré aux dégagements la moitié de la surface du rez-de-chaussée ? Toutes questions qui restent sans réponse.
La conclusion du rapport surtout est magnifique. Elle fait appel au jugement des siècles, mais surtout à un temps plus proche de nous, à la réalisation d’un alignement prochain de la Grande Rue sur l’Hôtel de Ville lui-même.
Croit-on vraiment que le temps n’est pas éloigné où l’on va exproprier tout un côté de la Grande Rue pour que ce qui choque « quelque peu » aujourd’hui disparaisse? Nous ne ferons pas à nos lecteurs l’injure d’insister : qu’ils s’exercent à l’aide de notre plan à tracer l’alignement idéal qui touchera le moins possible de maisons et dégagera l’Hôtel de Ville, sans le dégager ; car nous ne pensons pas que les murs latéraux aient été prévus pour être vus !
Et notre conclusion, à nous, Amis d’Aubusson, c’est que notre ville a été dotée d’une maison commune qui, au moins par sa façade, ne correspond ni au caractère de notre cité, ni à l’alignement de sa rue principale.
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