1314. Vente par Geraud Panetier d’Aubusson (Texte E. Boyron)

1314. Vente par Geraud Panetier d’Aubusson à Pierre Tieyra chanoine de Moutier-Roseille, d’une rente en grains mesure de Felletin.’, ‘vente-par-geraud-panetier-daubusson-a-pierre-tieyra-chanoine-de-moutier-roseille-dune-rente-en-grains-mesure-de-felletin’, ‘Parchemin aux archives Départementales de la Creuse (6 G 146), quelque peu déchiré et autrefois scellé sur double queue de parchemin; « Vente par Geraud Panetier d’Aubusson à Pierre Tieyra chanoine de Moutier-Roseille, d’une rente en grains mesure de Felletin, assise sur les villages de Rase paroisse dudit Roseille et sur celui du Savinier paroisse de Saint-Quentin, moyennant le prix et somme de 40 sols petits tournois ». Ce contrat n’offre pas beaucoup d’intérêt en lui-même en revanche, il est un peu plus intéressant du point de vue des juridictions gracieuses.

1314, 22 mai.

Vente par Geraud Panetier d’Aubusson à Pierre Tieyra chanoine de Moutier-Roseille, d’une rente en grains mesure de Felletin, assise sur les villages de Rase paroisse dudit Roseille et sur celui du Savinier paroisse de Saint-Quentin, moyennant le prix et somme de 40 sols petits tournois.

   A. Original parchemin, A.D. Creuse 6 G 146, quelque peu déchiré et autrefois scellé sur double queue de parchemin.

Universis presentes litteras inspecturis Johannes Celerarii clericus, custos sigilli quo utitur in castellania de Albuconio in manu illustris regis Francie existentis, salutem in Domino. Noveritis quod coram Geraldo Helie presbitero fideli jurato ac comissario nostro cui quantum ad subsequentia facienda, audienda, recipienda et nobis viva voce vel in scriptis refferenda totaliter commisimus vices nostras, in jure personaliter constitutis Geraldo Panetyer de Albuconio pro se et suis ex parte una et domino Petro Tieyra canonico Rausoliensis pro se et suis ex parte altera. Dictus Geraldus non coactus, nec deceptus, nec vi, nec dolo, sed gratis, provide ac scienter, certus de jure et facto suo, spontanea que voluntate ductus, vendidit et quittavit et titulo pro empto in perpetuum habere concessit pro se et suis predicto canonico et heredibus, successoribus que suis et ejus causam habentibus et habituris, pro quadraginta solidis turonensium parvorum nigrorum ; quos quidem venditor recognovit se habuisse et in peccunia numerata recepisse a dicto emptore ; de quibus ipsum emptorem et suos quictavit pro se et suis in perpetuum ; videlicet tres quartas silliginis renduales ad mensuram de Philitino levandas et percipiendas annis singulis in mense augusti, videlicet in villa de Rasa parrochie Rausoliensis in tenemento Martini alias dicto aus Rayniers tres quartones, et alium quartonem in tenementis Boni de Muro et Johannis de Rasa et dicti Lamaier et aliorum partionariorum dicte ville de Rasa, et unam quartam in villa deu Savinier parrochie Sancti Quintini et in et super fructibus, exitibus, proventibus et emolimentis dictarum villarum de Rasa et deu Savinier. Et devestiens se et suos dictus venditor de predicto blado vendito et de omni juri possessionis, proprietatis et deverii que habebat et habere poterat, in eodem dictum emptorem investivit, nichil sibi nec suis juris nec deverii retinens in eodem, sed totum in ipsum emptorem et suos transfferens pleno jure. Renuntians in hoc facto predictus venditor pro se et suis, omni exceptioni non numerate peccunie non habite et non recepte et spei numerationis et receptionis futurarum, et doli, mali, fori, loci, actioni in factum et omni beneficio et auxilio juris scripti et non scripti, canonici et civilis et omni privilegio crucis sumpte et sumende et juri per quod deceptis ultra dimidium justi pretii subvenitur et legi per quod generalis renuntiatio reprobatur nisi quatenus expressa fuerit, et omnibus rationibus, allegationibus, deffensionibus et cavillationibus juris et facti et omnibus aliis que sibi vel suis super premissis possent competere vel prodesse et dicto emptori vel suis in aliquo nocere et que contra premissa in posterum possent obici sive dici. Promittens sepe dictus venditor prestito ad sancta Dei evangelia corporaliter juramento, libro manu tacto et obligando omnia bona sua mobilia et immobilia quecumque sunt presentia et futura, se contra contenta vel aliqua de contentis in presentibus litteris per se vel per alium seu alios non venire, clam vel palam, nec dare alicui materiam contraveniendi et deffendere et garentire eidem emptori et suis predicta vendita quantum de jure fuerit in judicio et extra ab omnibus et contra omnes et ab omni sazina, impedimento, amparamento et pertubatore quacumque, talem legem sibi et suis imponens prefatus venditor quod si contra veniret, quod absit, quod omnis juris audientia sibi denegetur et omnis judicialis adhitus [prors]us(a) precludatur. Volens et petens predictus venditor se et heredes suos posse compelli ad observantiam premissorum [per](a) jurisdictionem et dominium domini dicte castellanie quicumque pro tempore et successorum suorum per captionem et distractionem omnium bonorum suorum predictorum. Et ad hec tenenda et complenda fuit predictus venditor per dictum juratum judicio curie dicti domini mediante dicto emptore presente et petente sententialiter condempnatus. Que omnia universa et singula prefatus juratus se loco nostri et nomine audivisse et recepisse, nobis fideliter retulit viva voce, relationi cujus fidem plenariam adhibentes et premissa approbantes grata et firma habentes ac si coram nobis specialiter acta fuissent, dictum sigillum presentibus litteris duximus apponendum in testimonium omnium premissorum, salvo jure dicti domini et quolibet alieno. Constat de interlinearis : facta. Datum testibus hiis presentibus et vocatis Johanne Deubesia presbitero et Johanne Repoto de Curte, die mercurii post ascentionem Domini anno ejusdem millesimo trecentesimo quartodecimo.

(a) parchemin déchiré.

——————————————————–

Ce contrat n’offre pas beaucoup d’intérêt en lui-même. En revanche, il est un peu plus intéressant du point de vue des juridictions gracieuses, quelques mots rapides donc (1) .

Du droit romain et germanique

La Gaule gallo-romaine comme tout l’Empire romain connaît le notariat, possède un droit solide et développé, les invasions germaniques amèneront leur propre droit, ils diffèrent notamment pour les contrats de cette façon : le contrat en droit romain nécessite un acte écrit, le contrat en droit germanique nécessite la présence de records, c’est à dire de témoins, et plus les témoins sont des personnages importants ou de confiance, plus le contrat possède force de loi. Avec l’anarchie ambiante sous les derniers carolingiens, l’absence d’autorité centralisée, le développement de la féodalité, le droit va évoluer localement en un droit particulier, favorable aux potentats locaux. Quoi qu’il en soit, au XIIe siècle, bien que le droit romain originel soit oublié au nord comme au sud, les contemporains sont conscients d’une frontière (ligne souvent dite Bordeaux – Genève), au nord les pays de coutumes, plus influencés par le droit germanique, au sud les pays de droit écrit où le droit romain se trouvait plus enraciné. La Marche (en gros la Creuse) se trouvait sur cette ligne, elle a fortement subi l’influence des deux droits, nous ignorons encore tout à fait pourquoi elle a basculé du côté des pays coutumiers, tandis que le Limousin (Haute-Vienne et Corrèze) a basculé du côté des pays de droit écrit. C’est encore plus vrai en ce qui concerne la vicomté d’Aubusson, d’abord indépendante avant d’être réunie à la Marche, qui touchait les pays de droit écrit (2) .

Développement des juridictions gracieuses

Le XIIe et XIIIe siècles sont des époques d’essor, les échanges augmentent et les contrats deviennent de plus en plus nécessaires. Tandis qu’une révolution du droit venant d’Italie (on redécouvre au XIIe le droit romain à partir des compilations de Justinien, empereur romain d’Orient, glosé à Bologne), pénètre tout au long de la première moitié du XIIIe siècle le sud de la France et avec elle le notariat public (il ne suffira plus pour authentifier un acte que d’avoir la signature d’un notaire dûment créé par une autorité) ; au nord la situation est diversifiée, les contrats se font devant des tribunaux (ou juridictions contentieuses, on simule un procès pour qu’un acte fasse autorité), devant des potentats locaux qui serviront de témoins et devant des ecclésiastiques, évêques, archidiacres, etc. ; depuis le XIe siècle est apparu le sceau (ce cachet de cire restera longtemps personnel) qui authentifie l’acte ; d’autres méthodes seront employées telles que les chirographes que notre région a connu, mais c’est une autre histoire. Au XIIe siècle, devant l’affluence des contrats, vont être créées les premières officialités (démembrement de la curie épiscopale, ce sont des cours de justice ecclésiastique avec à leur tête un official, elles s’occuperont désormais des procès – juridiction contentieuse – et des contrats – juridiction gracieuse). Elles vont avoir un succès prodigieux (c’est sans doute à modérer dans certaines régions notamment la notre, pour des raisons que je ne discerne pas très bien), le sceau de l’officialité fait désormais foi. Devant un tel succès, les officiaux finissent par désigner des jurés (3) , qui iront écouter les contrats, identifier les témoins et en rapporter la teneur à l’officialité qui enregistrera l’acte, le mettra par écrit et le scellera (on appelle cet acte l’expédition). Au 3e quart du XIIIe siècle, les princes locaux en feront autant, au grand dam des officiaux car l’enregistrement est payant ; ils permettront aux sénéchaux ou baillis (juges d’une province ou d’une partie de province) de recevoir les contrats et d’y apposer leur sceau, puis ne suffisants plus à la tâche, le travail sera confié aux châtelains (juges locaux) et eux-mêmes ne suffisants plus, seront créés des gardes du scel à qui sera confiée la juridiction gracieuse avec son « sceau aux contrats » tandis que les châtelains conserveront la juridiction contentieuse avec son « sceau aux causes ». Ces juridictions plus proches vont prendre le pas sur les officialités et vont précipiter leur déclin relatif (le nombre de contrats sera presque toujours en évolution constante).

La juridiction gracieuse dans la Marche

Un énorme mouvement de création de juridictions gracieuses va avoir lieu à partir des années 1275-1277 et le comte de la Marche suit le mouvement, nous connaissons 4 lettres de baillie (techniquement, ce sont des contrats passés devant le sénéchal de la Marche) de 1277 à 1279. En 1285 apparaît le premier garde du scel, dans la châtellenie d’Ahun (4) , 1292 à Crozant, 1307 au Dognon, etc. Le comte de la Marche n’est pas le seul, les barons principaux en créent aussi : Raynaud d’Aubusson, seigneur de la Borne, le vicomte de Brosse, le seigneur de Bridiers, etc. De 1316 à 1320, Charles de France semble avoir réformé l’organisation existante, désormais existera un garde du scel pour tout le comté avec des gardes du petit scel dans les châtellenies. Ce garde du scel disparaîtra et à partir de 1322 il existera un garde du scel pour les châtellenies d’Ahun, Aubusson et Felletin, et un autre pour les châtellenies de Guéret, Crozant et le Dognon ; Drouilles n’apparaît qu’en 1348. Vers 1346 un garde du scel pour tout le comté aussi appelé chancelier est créé, il cohabitera avec les scels en châtellenies pendant 10 ans. Enfin la charge de chancelier sera supprimée avec la mort du dernier titulaire vers 1540 après le retour à la Couronne, et le dernier garde du scel disparaîtra au début du XVIIe, mais il ne servait déjà plus à rien, la longue évolution de la juridiction gracieuse s’était unifiée en notariat au XVIe siècle dans toute la France.

L’acte d’Aubusson

Cet acte mentionne le premier garde du scel de la châtellenie d’Aubusson qui nous soit connu (5) : Jean Cellerier. Encore faut-il savoir à quelle date celui-ci fut expédié (en effet si l’acte a bien été passé le 22 mai 1314, il a pu être expédié bien plus tard, c’est arrivé (6) ), par chance l’acte indique que la châtellenie est à ce moment entre les mains du roi de France (7) , or Philippe le Bel avait mis la main sur le comté à la mort de Guy de Lusignan en 1309 et le donna à son fils – le futur Charles IV le bel – après la mort de Yolande de Lusignan usufruitière, le 30 septembre 1314. L’expédition a donc également eu lieue en 1314. Le prêtre-juré Géraud Hélie qui ne m’est pas connu par ailleurs, est déclaré relater l’acte passé de vive voix (8) , c’est possible mais souvent la formule sera utilisée alors que l’acte a bien été écrit par un clerc, ce ne sera plus qu’un ron-ron ; on ne peut discerner si l’acte est écrit de la main du garde du scel ou du juré, faute de signature (laquelle apparaîtra sur les actes marchois quelques années plus tard) et faute d’éléments de comparaison. On remarquera l’intéressante figure humaine sur le U de Universis, comme il y en a eu quelques unes à cette époque.

Les gardes du scel seront :

Jean Cellerier, clerc, garde du scel dans la châtellenie d’Aubusson 1314
Jean Gautier, clerc, garde du scel dans les châtellenies d’Aubusson et Felletin, 1318
Guillaume Deur, clerc, garde du scel dans les châtellenies d’Ahun, Aubusson et Felletin 1323
Jean L’Evêque, idem 1324-1328
Guillaume Deur, idem 1329-1331
Perrot du Mont, idem 1331-1337
Jean Aubet, idem 1340-1347 et premier chancelier de la Marche
Pierre du Péroux, idem 1351
Pierre Narmand, idem 1352-1355

Pour beaucoup, ces noms semblent originaires d’Ahun, incontestablement, la plus importante châtellenie creusoise. Nous ignorons généralement où ils résidaient ou si même ils étaient itinérants. En 1358, il n’y a semble t-il plus de garde du scel à Aubusson, le sceau aux contrats est désormais aux mains du chancelier. Peut-être, il y a t-il eu un petit scel dès cette époque (9) , mais j’ignore à quoi il était réservé.

Pour en revenir à l’acte, nous connaissons vers la même époque un autre Panetier à Aubusson. Germain Panetier (Paneteris) sergent du comte de la Marche, fut emprisonné au châtelet de Paris en 1300 pour avoir violemment refusé avec Pierre de Bechea, l’entrée du prévôt de Bellegarde à Aubusson (10) .

Eric Boyron
Société des sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse

——————————————————————————————————

Notes

1 . Les juridictions gracieuses, notamment pour le nord de la France ont peu été étudiées alors qu’il s’agit d’un sujet essentiel pour l’histoire, il touche notamment à la diffusion de l’écrit, à l’histoire du droit etc. On ne notera comme études générales, que des ouvrages de diplomatique : Le manuel d’Alain de Boüard ; Paul Fournier, « Etude diplomatique sur les actes passés devant les officialités au XIIIe siècle », B.E.C., 1879 ; enfin et surtout les articles de Robert-Henri Bautier, grand historien, archiviste de la Creuse sous l’occupation, membre de la Société des sciences de la Creuse, réunis dans Chartes, sceaux et chancelleries, 2 t., Droz-Champion, 1990. Il n’y a aucune étude à signaler pour la Creuse, le Limousin, et pratiquement rien pour le centre de la France.

2 . Le développement, la cristallisation des coutumes sont encore très mystérieux pour les historiens du droit, et le sujet offre des recherches parmi les plus passionnantes. Si la région d’Aubusson offrait suffisamment de documents du XIIIe ou antérieurs, ce serait une place de choix, ce n’est malheureusement pas le cas.

3 . Ils portent ce nom de jurés, car ils ont juré devant la juridiction de rapporter fidèlement les actes qu’il ont entendu.

4 . J’ignore si la Marche a connu l’étape des lettres de prévôtés, c’est à dire passées devant un châtelain, je n’ai pour l’instant découvert aucun acte entre 1279 et 1285.

5 . custos sigilli quo utitur in castellania de Albuconio

6 . Je connais un cas où l’acte fut expédié au moins 7 ans plus tard, cela nécessitait que les témoins soient encore en vie et le juré aussi.

7 . in manu illustris regis Francie existentis

8 . retulit viva voce

9 . Cyprien Pérathon le signale en 1686, Histoire d’Aubusson, Limoges, Ducourtieux, 1886, p. 466.

10 . Egard Boutaric, Actes du Parlement de Paris, II, 3031.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.