Vous connaissez maintenant mon attachement à Maurice Dayras, attachement familial puisque mon père a longtemps suivi ce grand aubussonnais dans ces idées et projets.En voici un qui, aujourd’hui encore, aura été une belle occasion manquée pour Aubusson : je vous fais copie d’une lettre de Dayras au Ministre de l’Education Nationale exposant la possibilité d’acheter les tapisseries d’Anglards de Salers afin de les exposer à demeure à Aubusson. Merveilleux projet qui restera, malheureusement pour Aubusson, en l’état.
Et puis au passage, dans cette lettre, quelques détails intéressants sur la ville en 1937.
Aubusson, le 14 juin 1937
Maurice Dayras, avocat au barreau de la Creuse, secrétaire des « Amis d’Aubusson » et de la société des sciences Archéologiques de la Creuse, correspondant du ministère
A monsieur le Ministre de l’Education Nationale, Service des documents historiques,
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur d’attirer tout particulièrement votre attention sur la double requête que je me permets de vous présenter.
L’association des Amis d’Aubusson, qui est présidée par M. Etienne de NALECHE, directeur du journal des Débats, et dont je suis secrétaire et fondateur a placé au premier rang de ses buts la conservation et la rénovation de la tapisserie d’Aubusson, industrie d’art qui fait partie du patrimoine national.
C’est pour servir cette industrie d’art et pour venir en aide à toute une population réduite depuis des années au chômage forcé, que notre association avait organisé, d’accord avec l’Union Centrale des Arts Décoratifs, une exposition de CINQ SIECLES DE TAPISSERIE D’AUBUSSON, qui s’est tenue en Novembre et Décembre 1935 au pavillon de Marsan.
Parmi les pièces exposées, se trouvait notamment l’une des onze tapisseries représentant des villes, des forêts, des animaux, avec des bordures à rinceaux et personnages, qui ont été trouvées au presbytère d’Anglard de Salers (Cantal).
Devant l’intérêt considérable de cette pièce et au vu de l’étude faite de ces tapisseries par M. Mayeux dans le bulletin de la société Nationale des antiquaires, année 1927, p. 230, j’ai voulu connaître les autres. Je me suis donc rendu à Anglard de Salers où j’ai appris que les autres tapisseries avaient été transportées du presbytère à la mairie du village. Grâce à la complaisance de l’Instituteurs M. martin et du maire, M. le docteur J. Mathieu, j’ai pu examiner ces pièces quoi qu’elles ne soient pas exposées, mais seulement pliées ou roulées.
J’ai depuis correspondu avec M. le Docteur Mathieu, maire d’Anglard, et comme je déplorais que cette collection unique pour l’histoire de la tapisserie aubussonnaise ne soit pas exposée, M. le Maire m’a indiqué que sa commune se trouvait devant un problème insoluble et qu’il n’était pas possible d’envisager l’exposition de ces pièces. M. le Maire ajoutait que la commune envisagerait donc la vente de ses tapisseries.
En accord avec les « Amis d’Aubusson » et avec la municipalité de cette ville, si douloureusement éprouvée par la crise actuelle, je viens donc vous prier, Monsieur le Ministre, de bien vouloir donner les autorisations nécessaires à la réalisation du premier projet que voici :
Les tapisseries d’Anglard de Salers, en accord avec les deux municipalités d’Anglard et d’Aubusson, seraient exposées du 14 juillet au 15 octobre 1937 à Aubusson, leur patrie d’origine, dans un local construit en pierres et couvert en dur appartenant à la ville d’Aubusson, dit « Anciennes fabriques d’Aubusson ». Elles seraient assurés contre l’incendie et le vol moyennant un chiffre que vous voudrez bien fixer, depuis leur départ de la mairie d’Anglard jusqu’à leur retour. Les deux voyages s’effectueraient en automobile et je m’en chargerais personnellement. L’exposition ainsi réalisée serait ouverte au public moyennant un minime droit d’entrée fixé vraisemblablement à deux francs. Un gardiennage de jour et de nuit serait assuré par la présence dans les locaux du concierge qui est au service de la Ville.
Une pareille exposition aurait un double résultat : d’une part, du point de vue touristique, elle attirerait dans notre ville de très nombreux visiteurs ; d’autre part, elle permettrait de montrer aux artisans et ouvriers aubussonnais, qui pour la plupart n’en ont jamais vu, une série unique de tapisseries d’Aubusson du XVIéme Siècle.
Je me permet donc d’espérer, monsieur le Ministre, que sur ce premier point, ma demande recevra satisfaction et que vous voudrez bien me faire aviser par les services compétents de l’autorisation qui sera donné ainsi que la somme à prévoir comme valeur d’assurance. Je vous prie très respectueusement de bien vouloir prier vos services de ne pas mettre de retard à donner une solution à cette première question, l’exposition envisagée n’ayant d’intérêt que si elle est organisée dans le plus court délai.
Un deuxième aspect de la question est relatif à la vente éventuelle de ces tapisseries.
En 1886, une société dite SOCIETE DU MUSEE s’était créé à Aubusson ? Elle a malheureusement dès sa création été vouée à un échec, parce que ses administrateurs décidèrent à tort de construire le local du musée (qui devaient avant tout être consacré à la tapisserie) en l’adossant aux ruines du château féodal d’Aubusson, ce qui aboutit à défigurer ces ruines.
Aujourd’hui la société du Musée est dissoute et l’Association des Amis d’Aubusson a recueilli son héritage, avec cette réserve que les quelques objets intéressants qui se trouvaient au musée appartiennent à la ville et soient conservés par elle à la Mairie. Il faut noter en effet que, en accord avec la municipalité d’Aubusson, notre association des Amis d’Aubusson fait actuellement démolir les constructions de l’ancien musée qui défiguraient les ruines du Château pour redonner à celles-ci leur aspect ancien.
Enfin les « Amis d’Aubusson » envisagent de créer à Aubusson un musée destiné surtout à instruire les artisans et les ouvriers tapissiers et à leur laisser constamment sous les yeux des spécimens de tapisserie depuis le XVème siècle jusqu’à nos jours. La ville possède déjà deux très belles tapisseries du XVIIIème siècle, l’une à l’église, l’autre provenant de l’ancien musée.
Les tapisseries d’Anglard de Salers représenteraient la plus précieuse documentation pour le XVIème siècle. Leur procédé de tissage et leurs conceptions décoratives sont extrêmement proches de la technique remise en honneur à Aubusson depuis la Guerre et du sentiment décoratif moderne. La présence de ces tapisseries à demeure à Aubusson pourrait donc donner à notre industrie d’art une orientation décisive.
C’est pourquoi je viens vous demander, Monsieur le Ministre, de bien vouloir, en deuxième ligne, faire étudier par vos services dans quelles conditions une subvention importante pourrait être allouée soit à la municipalité d’Aubusson, soit à toute personne morale qui déciderait d’acheter ces tapisseries dans le seul but de les exposer à demeure à Aubusson.
Veuillez trouver ici, Monsieur le Ministre, l’expression de mon plus profond respect.
Vous aurez remarqué diverses informations, entre autres :
– Le chômage extréme de la tapisserie de l’époque,
– La volonté d’instruire les tapissiers sur l’histoire de leur art,
– La vision de la SOCIETE DU MUSEE par Maurice Dayras,
– Une nouvelle fois, la raison de la destruction du musée sur le Chapitre,
– Le dépôt des oeuvres intéressantes à la Mairie…
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