Voici un petit bulletin imprimé par Charpentier et faisant compte-rendu de la journée des anciennes de l’Ecole Jeanne d’Arc, le 16 décembre 1948. De quoi imaginer la vie dans cette école.
Mesdames, Mesdemoiselles,
C’est avec un réel plaisir que je viens vous remercier de l’empressement avec lequel vous avez répondu à mon appel. Vous êtes venues nombreuses à notre journée du 16 décembre, beau jour en vérité que celui ou vous avez pu revivre un heureux passé. C’était bien revivre le passé,en effet, que de monter un beau matin les vieilles marches du Pensionnat qui donnent accés à la cour d’entrée.
Cela vous rappelait un autrefois plus ou moins lointain,où, les jours de rentrée, le cœur gros, vous montiez les mêmes marches.
Maintenant, devenues « les Anciennes », vous avez eu plaisir à vous retrouver dans la maison de votre enfance.
Ce jour-là les absentes n’ont pas été oubliées. Nombreuses étaient celles que la distance, les occupations, lesépreuves peut-être, avaient retenues loin de nous ; maisleurs si bonnes lettres, lues avec émotion, sont venuesdire leur attachement au cher Pensionnat.
J’aurais voulu pouvoir répondre à chacune en particulier : cela ne m’était pas possible ; mais, soyez toutes assurées, ici, de ma profonde affection. Mon plus cher désir est de vous voir rester attachées à votre Pensionnat.
Revenez-y souvent, chères Anciennes, vous y trouverez toujours sympathie et compréhension.
L. DEBŒUF.
Merci à toutes les Anciennes qui ont envoyé si généreusement leur cotisation. Cette cotisation versée annuellement, nous aidera à faire face à toutes les charges qui pèsent maintenant sur le Pensionnat et deviennent chaque année de plus en plus lourdes.
Nous invitons cordialement toutes les « Anciennes »à assister à notre « Fête Annuelle » qui aura lieu le VENDREDI 13 MAI, à 21 heures, dans la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville.
COMPTE RENDU DE LA JOURNEE DU 16 DECEMBRE 1948
Parmi la grisaille de nos semaines si chargées d’occupations et de soucis de toutes sortes, la journée du 16 décembre pourrait être marquée d’un caillou blanc. A la manière des gens qui avancent dans la vie et qui considèrent le passé à travers le prisme déformant de leurs souvenirs, nous regardons notre jeunesse comme une période délicieuse de douceur et de poésie que nulle ombre n’aurait jamais troublée. Que la réalité fût un peudifférente, qu’importe ? C’est tout un parfum de jadis que nous avons respiré en nous retrouvant après tant d’années dans ce vieux Pensionnat qui nous a vues grandir et qui s’est fait si accueillant pour nous recevoir.
Les « Anciennes » d’avant-guerre se rappelaient avec émotion les journées qui les réunissaient autrefois chaque été ; mais combien des plus jeunes n’avaient jamais eu l’occasion de se regrouper dans leur chère école. Ce fut donc avec joie qu’elles répondirent à l’invitation de Mademoiselle Debœuf, et la rue Châteaufavier, un peu étonnée, prit ce matin-là son air du dimanche pour guider vers l’Eglise des groupes élégants de dames et de jeunes filles qui venaient prier avec ferveur aux intentions de de toutes les anciennes élèves vivantes et défuntes.
Quel plaisir, après la messe, de rencontrer dans la cour de récréation, des compagnes de classe perdues de vue depuis dix, quinze ou vingt ans ! Beaucoup ont des filles parmi les élèves actuelles, mais, si nous nous découvrons des rides et quelques cheveux blancs, nos âmes ont-elles beaucoup vieilli ? Elles retrouvent leur fraîcheur sous les tilleuls qui abritèrent tant de joyeuses rondes et près de la grotte ou nous venions prier les soirs de mai.
Des groupes, en quête d’autres souvenirs, s’égrènentmaintenant à travers le Pensionnat : mais comment nosaînées reconnaîtraient-elles l’austérité de leurs classesdans ces salles rajeunies où les peintures claires et lebois luisant des pupitres accrochent partout la lumière ?
Une douce chaleur nous pénétre dans les couloirs quenous avons connus si froids ; et voici le dortoir rosé, ledortoir blanc, le dortoir bleu aux parquets étincelants.
LA RÉUNION DU MATIN
Vers 10 heures, nous nous réunissons en troisième —l’ancienne chapelle des Sœurs — où nous cherchons instinctivement le plafond étoile ; les étoiles ont disparu,mais le grand Christ qui protégea nos années studieuses est toujours là.
Monsieur l’Archiprêtre, qui a célébré la messe à nos intentions et qui a bien voulu nous consacrer toute la journée, préside la réunion. Madame la Directrice fait le bilan de ces dix années de silence qui ne furent pas des années de sommeil : les magnifiques résultats des examens en sont la preuve, et Dieu seul mesure tout le bien qui a été fait, pendant cette période, à tant d’âmes d’enfants et de jeunes filles.
Octobre 1939 amena au Pensionnat un groupe important de « repliées » alors que les élèves de la région s’inscrivaient en nombre croissant. Il fallut prévoir de nouveaux agrandissements : on perça des portes, on abattitdes cloisons et dès que ce fut possible. Madame la Directrice entreprit les grandes réparations du réfectoire devenu trop petit ; c’est aujourd’hui une magnifique pièce qui fait l’admiration des visiteurs.
Le Pensionnat eut ses heures sombres et nous évoquons encore avec tristesse le départ précipité de 1940 et la sortie affolée de 1944. 0 tranquilles distributions des prix des années de paix ! Le petit groupe resté fidèle au poste subit,avec tous les Aubussonnais, l’horrible angoisse du 8 juin,puis les perquisitions allemandes. Mais Notre-Dame veillait et, dans la cour, près de sa grotte, une plaque de marbre lui dit la reconnaissance pieuse des élèves et des maîtresses.
Le calme revenu, un grand deuil nous frappait ; un soir du couronnement de la Ste-Vierge — fête très aimée du Pensionnat — nous apprenions avec stupeur la mort brutale de Madame Roux. Il est inutile de rappeler ici, son geste généreux qui un jour sauva l’école ni l’intérêt passionné qu’elle apporta à cette œuvre de l’enseignement chrétienne au point d’en faire le centre de sa vie.
Madame Roux fut un grand-caractère et l’énergie inébranlable qui marqua sa vie et sa mort doit nous servir d’exemple. Sa photographie occupe dans la maison une place d’honneur et chaque génération d’élèves apprendra ce qu’elle lui doit.
La mort de deux anciens archiprêtres, qui furent tout dévoués à l’école, nous causa encore une peine profonde. Si les jeunes n’ont pas connu Monsieur Berger, aucune n’a pu oublier Monsieur Rougërie qui savait donner tant d’attrait aux cours de catéchisme et dont le sourire seul était déjà un encouragement et un réconfort. Pour eux aussi nous aurons souvent, dans nos prières, une pensée reconnaissante.
Madame la Directrice nous quitte pour veiller aux derniers préparatifs du déjeuner dont le fumet appétissant rôde déjà aux alentours de la cuisine. A la lumière commune de notre expérience, nouscherchons alors à définir le rôle d’une « Ancienne » dans sa paroisse, et Monsieur l’Archiprêtre qui fut, jadis curé de campagne, nous indique tout le bien qu’elle peut réaliser dès sa sortie de pension.
L’école chrétienne, qui l’a formée et qu’elle représente, lui a conféré une responsabilité redoutable : on la désigne couramment par ces mots « une ancienne élève de Jeanne d’Arc », en exigeant d’elle une dignité de tenue et une piété irréprochable ; elle fuira donc avec vigilance non seulement tout mal, mais tout apparence même du mal, elle aura une vertu aimable et sera toujours prête à rendre service ; elle deviendra l’auxiliaire de son curé trop souvent surchargé de travail, en nettoyant et en fleurissant l’église, en prenant soin des linges sacrés, en se faisant tour à tour organiste, bibliothécaire, organisatrice de séances récréatives. « On ne sait pas tout le bien qu’on fait, en faisant le bien » : son influence discrête transformera peut-être plus d’une âme et créera autour d’elle un climat, favorable à l’enseignement chrétien.
A plusieurs reprises pendant cette journée, Monsieur l’Archiprêtre parlera des difficultés sans nombre qui, dans la crise économique où nous nous débattons tous, surgissent à chaque instant devant un directeur de pensionnat. Nos écoles libres, nous le savons, ne peuvent compter sur aucune subvention, et c’est un devoir pour nous de les soutenir de toutes nos forces : matérielles sans doute, mais moralement aussi, et les anciennes élèves réunies ce matin en une si étroite communion de sympathie représentent une grande force. Dieu ne saurait d’ailleurs abandonner ceux qui travaillent pour lui,et notre école est en bonnes mains…
LE DÉJEUNER
La vieille cloche — soustraite aux réquisitions de naguère — et qui régla si longtemps notre travail, s’ébranlejoyeusement : sur le seuil du réfectoire tout décoré dehoux. Mademoiselle Debœuf nous attend. Nos placesn’ont pas été laissées au hasard, mais, autour de longuestables fleuries, chacune retrouve des amies d’enfanceavec qui elle est heureuse de revivre le passé. Les jeunespensionnaires emplissent le réfectoire d’une gaieté communicative, et lorsque, en termes délicats, une élève dephilosophie veut nous souhaiter la bienvenue, la clochette doit tinter deux fois pour faire cesser un instantles conversations et les rires.
Au dessert, Monsieur l’Archiprêtre dira sa joie de participer à cette fête de famille qui lui rappelle d’autres journées semblables où il aimait retrouver dans son collège des camarades très chers.
Le menu des plus soignés prend, pour des convives accoutumés aux restrictions, l’allure d’un festin : les pensionnaires, qui font gentiment le service, nous offrent successivement des hors-d’œuvre, des bouchées à la reine, du bœuf au madère, des petits pois à la française,du gigot rôti, de la salade, une crème au chocolat accompagnée de biscuits et des coupes de fruits. Un vin délicieux et un succulent café achèvent de nous réchauffer le cœur et l’esprit ; aussi nous attarderions nous volontiers dans cette ambiance agréable si un coup d’œil àl’horloge ne nous rappelait opportunément à la réalité.
A regret nous quittons le réfectoire pour nous diriger versla salle St-Jean où des plaisirs d’un autre genre nousattendent.
LA SÉANCE RÉCRÉATIVE
Un groupe d’anciennes, à qui Madame la Directrice abien voulu faire confiance, a préparé, avec le concoursdes élèves, une séance récréative qui va couronner dignement cette journée.
Des danses régionales, des chants mimés, de vieillesrondes interprétées de façon toute moderne, nous charment d’abord par leur fraîcheur et nous ne savons si nous devons applaudir davantage « le bébé qui ne mange pas sa soupe » ou l’élève de première qui rythme avec entrain une bourrée limousine.
A l’entr’acte, on nous invite à monter au buffet qui remplit l’escalier d’une bonne odeur de pâtisserie fraîche, de chocolat vanillé et de café sans mélange. Ce buffet, dû à la générosité des anciennes, mérite une mention toute particulière : les unes, ont envoyé du beurre, des œufs, de la farine ; une autre a passé une partie de lanuit à confectionner — avec l’art d’un professionnel — des montagnes de brioches, de tartelettes, de choux à la crème et de mokas. Une seule chose leur manquait puisqu’elles ont pour la plupart hélas ! dépassé l’âge heureux des catégories « J » : le chocolat. Mais elles tendirent la main à leurs petites amies les élevés qui, toutes, abandonnèrent joyeusement, au profit de leur école, un de leurs goûters. Les plateaux altéchants sont pris d’assaut et les derniers arrivants doivent redescendre les mains vides. Ils se consoleront en attendant avec impatience la seconde partie du programme.
C’est en Chine maintenant que nous allons être transportés. Mais la Chine de Franc-Nohain n’a rien de commun avec la grande république bouleversée de 1948 dont nos feuilles quotidiennes relatent les soubresauts : c’est la même que celle de Voltaire, la Chine des éventails,le pays du sourire et de la fantaisie.
En des vers pleins d’ironie, légers ef sautillants comme des moineaux parisiens, Franc-Nohain a traduit une légende chinoise qui ne manque d’ailleurs pas d’humour :
la fille d’un grand seigneur est entourée de prétendants, mais, seul, pourra l’épouser celui qui réussira à l’embrasser sans faire tinter une seule clochette du chapeau chinois dont il est coiffé ; sinon, c’est la mort. Qui osera tenter la redoutable épreuve ? Le rideau s’ouvre sur « Le chapeau chinois » et le public ne ménage pas son admiration pour les authentiques soieries orientales qui, grâce à d’aimables prêts et à l’ingéniosité des actrices, constituent de somptueux costumes.
Pendant trois quarts d’heure, cinq « Anciennes »vont jongler avec les vers capricieux de Franc-Nohaincertaines, parmi elles croyaient avoir dit depuis longtemps un adieu définitif à la scène, mais quel spectateurnon prévenu pourrait découvrir, sous les dehors primesautiers de la jeune princesse, une courageuse mamande cinq enfants ? Les applaudissements du public lesrécompensent de leurs efforts et, quand après un derniermot de Monsieur l’Archiprêtre, les seigneurs Tchong etTchang circulent dans la salle, leurs chapeaux rutillantsse remplissent de généreux billets.
La journée des Anciennes est terminée… Mais nous en garderons plus qu’un souvenir : elle nous a rendu un peu de notre jeunesse, elle nous a resserrées autour de notre école et elle a renoué une tradition très douce que nous voulons maintenir. Si la saison peu favorable nous a privées de la présence de plus d’une Ancienne très fidèle, nous aimons à penser que 1949 nous réunira plus nombreuses encore pour une journée toute semblable, dans la même atmosphère de détente confiante et joyeuse.
Une Ancienne,
E. MALPEYRE.
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