Rapport des Ponts et Chaussées concernant la Route Royale n°141 de Clermont à Saintes

La déviation de la route royale par le vallon du Léonardet (réalisée dans les années 1970) avait été étudiée dès 1848, avec un raccordement à la rue des Tanneurs et à l’actuelle place Jean Lurçat. Le projet est abandonné pour ne pas porter préjudice au commerce, attendu que la ville se compose pour ainsi dire d’une seule rue servant de traverse à la route royale, que « Aubusson est l’entrepôt de tout son arrondissement », et que les négociants habitent tous sur la traverse.
On apprend également dans ce texte que le « pont neuf des Récollets » est en cours de construction en 1848 : à cette date les deux ponts devaient co-exister, l’ancien pont dans le prolongement de la rue Châteaufavier, le nouveau dans l’axe de la rue Franche, à son emplacement d’aujourd’hui.

« PONTS ET CHAUSSEES
Département de la Creuse
Route Royale n°141 de Clermont à Saintes

Rectification entre Viellafonts et Aubusson.

Rapport sur une nouvelle étude de cette rectification.
Janvier 1848.

Un avant-projet de rectification de la route royale n°141 de part et d’autre d’Aubusson fut approuvé par l’ordonnance royale du 2 mai 1846 et dans l’étude du projet définitif la rectification fut scindée en deux parties séparées par le pont neuf des Récollets en cours de construction sur la Creuse, chacune d’elle présentant une importance assez grande pour faire l’objet d’une entreprise spéciale.

Le projet définitif de la partie située du côté de Clermont fut rédigé rapidement pour seconder les vues d’humanité de M. le Préfet de la Creuse, et donner de l’ouvrage à la classe indigente au moment où l’excessive cherté des céréales et le manque de débouchés des produits des fabriques de tapis pesaient sur la ville d’Aubusson. Ce projet adressé à M. l’Ingénieur en chef le 17 avril 1847 fut approuvé par décision ministérielle du 25 juin suivant avec recommandation expresse de ne procéder à l’adjudication qu’après la notification d’un crédit qui semblait devoir n’être pas très prochaine. Sur ces entrefaites M. l’Inspecteur divisionnaire nous donna l’ordre d’étudier sans entrer dans tous les détails d’un projet régulier une ligne dirigée suivant la vallée du Léonardet, et ce sont les résultats de cette étude qui font l’objet du présent rapport.

La ligne passant dans la vallée du Léonardet sous la Seiglière avait été écartée de prime abord comme antipathique aux intérêts de la ville d’Aubusson, aux intérêts du département de la Creuse et comme inférieure sous le rapport de l’art, au tracé de la vallée de l’Ouchette, infériorité que l’aspect des escarpements abruptes de cette vallée ainsi que des chutes du cours d’eau qui la traverse paraissaient suffisamment établir et que les études spéciales que nous avons faites sont venues confirmer. ( )

Disons d’abord que le tracé par la vallée du Léonardet laisse de côté presque toute la ville d’Aubusson qui, construite dans une gorge de montagnes ne consiste pour ainsi dire que dans une seule rue servant de traverse actuelle à la route royale n°141. Sans doute lorsqu’un grand intérêt général est mis en regard d’un mince intérêt particulier, nous concevons fort bien qu’il n’y ait pas à hésiter dans le choix à faire entre les deux, mais quand au contraire un faible intérêt général ne peut être acquis qu’aux dépens d’intérêts particuliers fort importants, alors, suivant nous, ceux-ci doivent l’emporter. Ainsi par exemple, si une rectification doit procurer à al fortune publique un revenu annuel de 20 000 francs mais que ce revenu ne lui soit acquis qu’au prix d’une perte annuelle de 20 000 francs subie par 100 individus évidemment il y aurait dans son adoption quelque chose d’inique réprouvé par la raison ; car combien serait insensible pour la société entière le bénéfice que lui procurerait la ruine de ces 100 personnes ? Hâtons-nous d’ajouter que nous avons pris pour point de départ une hypothèse extrême qui ne peut s’appliquer au cas considéré car nous espérons démontrer la supériorité matérielle du tracé approuvé sur la ligne étudiée par la vallée du Léonardet.

La Creuse est comme on sait un département très pauvre qui emprunte aux départements voisins les objets de première nécessité ; Aubusson est nécessairement l’entrepôt de tout son arrondissement pour le froment, les vins etc. Or les négociants à l’exception de quelques fabricants de tapis habitent tous la traverse actuelle de la route royale N°141 dont l’abandon jetterait dans le commerce une grande et fâcheuse perturbation.

Ce changement de direction s’il avait lieu, serait non seulement préjudiciable à la ville d’Aubusson, avons-nous dit, mais encore au département entier dont les charges sont déjà si peu en rapport avec les faibles ressources dont il peut disposer. La traverse actuelle est en effet commune à la route royale n°141 et à la route départementale N°1 de Tulle à La Châtre et l’entretien de la chaussée pavée sur une très grande longueur compliqué de celui d’un aqueduc d’une longueur à peu près égale, serait reporté au profit du Trésor sur le budget départemental. D’un autre côté la direction approuvée comme nous l’avons fait remarquer dans notre rapport du 17 avril 1847 servirait sur une longueur de plus de 4000 mètres à la route départementale N°2 d’Aubusson à Montaigut, dont la reconstruction se fait vivement sentir. [D 941 ?] L’économie réalisée par cette disposition au profit du département et qu’on peut évaluer à 60 000 francs sans y comprendre le capital représentant les dépenses annuelles d’entretien et qui peut être porté à 24 000 francs serait donc annulée. Les intérêts du département sont évidemment liés d’une manière intime à ceux du Trésor et cette somme devrait être ajoutée à celle du capital de construction de la route royale dans la comparaison à faire entre les deux tracés du Léonardet et de Louchette.

La rectification de la route royale N°141 par la vallée du Léonardet exigerait entre son point de départ et son point de rencontre avec la route actuelle à peu près la même dépense par mètre courant que la rectification approuvée ; mais à partir de là, les dépenses croîtraient dans une proportion très considérable. Après sa rencontre avec la route actuelle, elle devrait en effet traverser dans leur longueur les prairies de grande valeur qui font presque toute la richesse du beau domaine de la Seiglière et nécessiterait le paiement de fortes indemnités. En quittant ces prairies, la ligne étudiée vient se placer en corniche sur le versant escarpé de la vallée du Léonardet où les dépenses peuvent être comparées en raison de la similitude presque complète de ces lieux, à celles de la route royale N°142 entre Aubusson et Laubar et qui se sont élevés (non compris les indemnités de terrain) à 33 francs par mètre courant. Au sortir de la vallée, la ligne étudiée sillonne le flanc de la montagne qui domine la Creuse et vient enfin se rattacher vers la Croix Blanche à la rue des Tanneurs dont la largeur actuelle est moyennement de 4,50 m. C’est ici que se présentent les plus grandes difficultés pécuniaires du tracé. La rue des Tanneurs est bordée du côté de la Creuse sur la plus grande partie de sa longueur par des maisons puis d’intervalle en intervalle par des jardins de grande valeur, et enfin par une dérivation de la Creuse formant le bief alimentaire de plusieurs moulins. L’administration qui ne pourrait procéder par voie d’alignements partiels pour donner à la rue des Tanneurs une largeur suffisante se verrait dans l’obligation de sacrifier presque toutes les maisons situées vers la Creuse, dont les indemnités atteindraient certainement un chiffre fort élevé à cause de l’exiguïté de leurs dépendances, et d’acquérir le bief des moulins qui, situés à l’entrée de la ville d’Aubusson, suffisent presque seuls à ses besoins. A l’époque de la fonte des neiges on a vu plusieurs fois inondée par les crues de la Creuse une grande partie de la rue des Tanneurs dont l’exhaussement serait impossible à moins de se décider à de nouvelles et fortes indemnités. Enfin le point de réunion de cette rectification avec la route actuelle se ferait au nouveau pont des Récollets d’une manière si malheureuse que cette circonstance seule suffirait pour décider entre le tracé approuvé et la seconde étude qui vient d’être faite. L’axe du nouveau pont des Récollets qui sera livré à la circulation au printemps prochain se trouve en effet dans une direction perpendiculaire à celle de l’axe de la rue des Tanneurs et le raccordement ne pourrait s’y faire qu’en gravissant une rampe de 0,05 m et au moyen d’un rayon de courbure inadmissible. Il semble, d’après l’inspection du plan, qu’on puisse en quittant la vallée du Léonardet traverser la Creuse et venir joindre la route départementale N°1, mais la position de cette route est tellement élevée au-dessus de la Creuse que le passage de la route royale N°141 sur cette rivière nécessiterait la construction d’un gigantesque ouvrage d’art, ce qui devrait faire rejeter immédiatement cette idée.

En définitive les dépenses de construction de la route par la vallée du Léonardet seraient de beaucoup supérieures à celles de la rectification approuvée par la vallée de Louchette, et si le premier tracé ajouté au développement de la traverse d’Aubusson présente sur le second une augmentation de longueur réelle de 456,90 m , cette différence diminue encore d’importance après la réduction au plan horizontal par les tables de M. Favier. »

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.