LA MADELEINE DES BOIS

Tiré de la Mosaïque du Midi, publication mensuelle de 1841 (J-B PAYA, Propriétaire éditeur), ce texte d’Etienne BOULGON, titré « la Madeleine des Bois » reprend les légendes autour de la création de la chapelle Sainte Madeleine.

Le département de la Creuse, comme ceux du Midi et du Nord, a ses chapelles, ses grottes, ses calvaires, ses fontaines, ses rochers, ses arbres, consacrés par la vénération des peuples, et poétisés par plus d’un souvenir.

C’est que là, comme ailleurs, des hommes ont voulu s’inspirer dans la solitude, et chercher dans le silence des bois les ailes de la contemplation; puis le peuple est venu, avec un saint respect, visiter les lieux où de grands personnages avaient mûri leur sagesse, où des Numas s’étaient entretenus avec la déesse Egérie.

Telle est, selon nous, l’origine du culte que l’on rend à ces mille sites pittoresques éparpillés dans nos provinces; nous pourrions aussi citer une autre cause, et sans aucun doute, toutes les deux y ont contribué.
Notre belle France, comme on sait, n’a pas toujours tenu parmi les nations le rang qui la distingue ; il fut un temps où elle fut flétrie du titre de barbare, et les peuples voisins ne venaient pas encore la prendre pour arbitre ni pour modèle. Livrée, comme le reste du monde, à de honteuses superstitions, plus d’une fois elle fit couler le sang humain dans ses infâmes sacrifiées; pour ces orgies du culte il fallait la nuit, ou les ombres épaisses des forêts, comme si le sacrificateur eût craint de souiller la face du soleil. Aussi les Druïdes cherchaient-ils pour leurs cérémonies reiligieuses des retraites presque inaccessibles, des lieux déserts dont le silence et l’obscurité frappaient de terreur, et produisaient une impression magique sur les esprits grossiers des Gaulois.
L’homme renonce difficilement à ses habitudes. Lorsque, de l’Orient, nous vint une nouvelle lumière, et que le gibet du Golgotha eut signalé la liberté du monde et l’affranchissement de la pensée, nos pères cédèrent à la vue des miracles, à la voix puissante des envoyés du Christ; mais un instinct secret les portait toujours dans leurs forêts caverneuses, dans leurs grottes sauvages, et ils plaçaient une croix ou une madone sur l’ancien autel de Teutatés, sur ces pierres informes et gigantesques, où le guerrier venait jadis déposer son serment.
Quelle que soit leur véritable origine, respectons ces lieux : souvent il plaît à Dieu d’y faire éclater plus particulièrement sa bonté; se dérobant aux regards des heureux du monde, le malheureux vient y chercher une consolation, et l’amante affligée vient y verser des pleurs ; c’est un lieu saint, un lieu bénit.

Si vous venez passer quelques jours a Aubusson, cette ville longtemps resserrée entre ses montagnes, mais qui s’échappe aujourd’hui, svelte et gracieuse dans le vert bassin du sud, seule issue que la nature lui ait donnée, on ne manquera pas de vous proposer la promenade de Sainte-Madeleine. Si vous m’en croyez ne refusez pas : prenez le baton de voyage et votre album, et vous serez satisfait du paysage qui va se dérouler devant vous.

Vous voilà dans la rue de Vaveix. A votre droite, des maisons adossées à des rochers, puis ces rochers taillés a pic, qui s’élèvent presque à perte de vue, et qui sont surmontés d’un petit, bois et d’un pavillon. A votre gauche, la Creuse, étonnée de lécher un quai depuis quelques jours, elle qui n’avait baigné que des rochers. Vous sortez de la ville; vous jetez un coup-d’œil à gauche, sur les abattoirs et sur une manufacture de draps que l’on construit ; puis, à droite, vous saluez les croix du cimetière, couché sur le versant de la montagne. Après vingt minutes de chemin, en suivant toujours les méandres de la Creuse , vous arrivez au pied d’une roche énorme, qui se pose géante devant vous, et qui n’offre d’autre passage qu’à sa crête :
gravissez le roc, et, parvenu au sommet, plongez l’œil dans les flots qui battent sa base, mais prenez garde de vous troubler.

Pour descendre la pente est moins rapide. A peine avez-vous fait deux pas que vous apercevez le but de votre promenade : sous un bouquet d’arbres, une croix ; une allée qui vous conduit sur une belle plate-forme, couverte de tilleuls et de platanes; à droite, la montagne, avec ses pierres et son bois-taillis; à gauche, une haie d’aubépine et des peupliers plantés sur le mur qui soutient la terrasse; au fond du tableau la chapelle de Sainte-Madeleine , qu’un arbre séculaire ombrage, fier de dominer le clocher.
De quelle époque date cette chapelle ? C’est ce qu’il serait difficile de dire, aussi bien que le style auquel elle appartient : voici ce que je sais sur sa fondation.

Une vieille légende rapporte, qu’à l’endroit même où s’élève l’église de Sainte-Madeleine, des bergers trouvèrent une statue de cette sainte. Grande fut la surprise des habitants de la contrée : qui l’avait mise la, et depuis quel temps, y était-elle ? c’est ce que personne ne put dire ou ne voulut. Cependant, on crût,voir en cela une manifestation de la volonté du ciel,et ceux d’Aubusson résolurent défaire bâtir une chapelle en l’honneur de la grande pénitente. On fit l’acquisition d’un terrain situé entre la ville d’Aubusson et le lieu où la statue avait été trouvée. Mais, ô prodige ! si cette statue était transportée ailleurs, elle disparaissait aussitôt, puis on la retrouvait à l’endroit où elle avait été vue la première fois. Dès lors il ne fut plus question de choisir un autre emplacement que celui désigné par la sainte : quelques traits aussi miraculeux se mêlent à l’histoire de cette chapelle.
Si nous ajoutons foi à une autre légende moins ancienne, un homme se trouvait à l’heure solennelle de minuit sur la terrasse dont j’ai fait mention; puis il vit défiler devant lui une procession de morts. Ils étaient enveloppés de leur suaire, et portaient un flambeau à la main : l’un d’eux présenta son cierge à notre homme, qui tremblait de frayeur, et ce cierge se trouva être un doigt du squelette. II n’y a pas dix ans encore, une multitude crédule se précipitait, vers la Madeleine-des-Bois, parce qu’on avait entendu, ou cru entendre, une musique divine dans cette chapelle solitaire.

Le 22 juillet, pour célébrer la fête de la patronne de cette église, le concours est immense; ce jour-là les rues d’Aubusson sont désertes, les ateliers où se tissent nos beaux tapis sont fermés, et les habitants des campagnes, dans un rayon de six à huit lieues, viennent, joyeux d’avoir terminé la moisson, rendre des actions de grâces à la sainte grotte, et se livrer aux plaisirs de la fête. Ce vallon, d’ordinaire si tranquille, a pris l’aspect d’une ville, et comme si les Hébreux venaient, à la voix de Moyse, d’y faise une halte, il se trouve couvert de mille tentes, où s’établissent des vendeurs de comestibles, des jeux, des orchestres, des danses.

Une confrérie fort ancienne, dont les membres portent le nom de Bailes, veille à l’entretien de la chapelle; c’est elle qui, en 1809, fit réparer l’égiise, et construire la terrasse en 1814. Un grand nombre de personnes, toutes fort honorables, et de charmantes Bailesses, font partie de celle association pieuse et en même temps bien agréable par ses fêtes champêtres.
Pour que rien n’y manquât, la confrérie a fait bâtir une cuisine et un four, et un abri contre les orages de juillet, qui seuls pourraient déranger la fête. |
Mais pour goûter tous les charmes de la délicieuse promenade de Sainte-Madeleine , ce n’est point le jour de la ballade qu’il faut la faire; car vous entendez le chemin bruire comme nos rues, et, vous le savez, ce n’est pas dans le tumulte que naissent les douces émotions de l’âme : aussi bien la foule ne vous aurait pas permis de pénétrer dans la chapelle. Entrez ; au dessus de l’autel on a pratiqué une grotte, dans laquelle est placée une grossière statue de la Juive pénitente; je ne sais si c’est la statue miraculeuse. Prosternée au pied d’un calvaire, les cheveux épars et larmoyans, tenant dans ses mains une tête de mort, Madeleine est absorbée dans sa douleur. Quelques tableaux décorent cette modeste chapelle; mais son plus bel ornement est la simplicité qui convient si bien à l’esprit de celle qui renonça avec tant de courage à toutes les pompes du monde.

Au dessous de la terrasse, une fontaine , sur laquelle est placée une madone, est aussi l’objet de la vénération des fidèles. Toutes les maladies viennent chercher un reméde dans son eau; et les bras, les pieds, les jambes de cire, appendus en ex voto dans le sanctuaire de la chapelle, attestent des guérisons miraculeuses.
En vous promenant sur la place, autour de l’église, vous verrez sur l’écorce des arbres des lettres initiales, des caractères mystérieux, gravés d’une main tremblante, et renfermant bien des secrets du cœur.
Il est un âge où les jeunes gens sentent dans l’esprit une inquiétude secrète; leurs idées reçoivent une teinte de sensibilité inconnue; leur cœur est agité d’un sentiment de douleur et de plaisir tendre. Alors ils se plongent dans les rêveries de félicité; leur tête est pleine d’illusions, et leurs occupations ordinaires leur deviennent indifférentes ou même à charge. Bientôt la société humaine les fatigue; une douce et triste mélancolie s’insinue dans leur cœur et les attire dans les solitudes, a l’ombre des bois, et leurs désirs errent dans toute la nature sans pouvoir se fixer. Les filles surtout éprouvent ces secrètes inquiétudes ; elles aspirent après les rêveries de la solitude, après la paix des déserts.

Le petit ermitage de Sainte-Madeleine convient parfaitement à celte disposition du cœur, à ces sentiments juvéniles. Puis, la jeune fille se sent une religieuse sympathie pour celle qui avait beaucoup aimé. Oh ! quelle est fervente la prière qui part d’un cœur aimant ! car, pauvres faibles créatures que nous sommes, nous avons besoin de l’amour terrestre pour nous élever jusqu’à l’amour de Dieu. Mais pourquoi ce mot terrestre ? « Le ciel lui-même, dit lord Byron, descend dans nos âmes avec l’amour; c’est un sentiment qui vient de la divinité pour détruire toutes nos grossières pensées. » Cette jeune fille , qui était venue tout occupée d’un seul objet, celui de son amour, pour confier sa plainte à l’écho de la montagne, à la brise des bois, au murmure de la Creuse, s’en retourne pleine de foi, et le cœur embrasé de l’amour divin. « Madeleine, dit Klopstock dans sa Messiade, suivait Jésus le Nazaréen, parce qu’elle était éprise des charmes de sa personne; puis cet amour charnel l’éleva au plus sublime amour, à cet amour qui la fit renoncer à tout. »

Une jeune demoiselle, que j’appellerai Etiennette, et qui a laissé bien des regrets, venait fréquemment vérifier la grotte de Madeleine; elle venait prier pour Louis, Louis qu’elle aimait d’amour, auquel elle avait;dit comme la fille de Véronne : Je serai à toi ou à la tombe. Tendre fleur de la vallée, pourquoi devais-tu sitôt te flétrir ? Les parents d’Etiennette, fiers de leur naissance et de leur fortune, n’auraient jamais consenti à prendre Louis pour gendre; Louis l’homme du peuple, Louis qui n’avait d’autre richesse que lui-même, avec son amour et sa poésie. La mère, peut-être, aurait pu ne pas contrarier les inclinations de sa fille; mais on ne devait rien attendre de l’orgueil inflexible du père. Hélas ! la jeune victime ne le savait que trop…. Jamais elle n’osa avouer son amour : elle gémissait. Je l’ai dit, elle aimait à venir prier a la Madeleine-des-Bois , et c’était sa seule consolation. Dans un endroit secret de la chapelle, Etiennette trouvait des lettres, qu’elle lisait à l’insu de sa suivante; quand bien même celle-ci l’aurait vu : Jeanne aimait tant Etiennette !
On devine aisément de qui elles étaient ;Louis lui disait tout son amour, tous ses ennuis,, tous ses désirs, puis finissait toujours en la suppliant de hâter le jour du bonheur, en obtenant l’agrément de son père. Il ne connaissait pas, lui, toute l’opiniâtreté du vieillard; pour Etiennette, elle ne s’aveuglait point.

Elle n’avait pu se défendre de l’amour, mais elle avait compris, dès le premier jour, qu’elle aimait sans espérance et que cet amour lui coûterait la vie. La pauvre enfant, elle devait s’éteindre de langueur. Depuis longtemps, son père était atteint d’une affection au cœur; cette pieuse fille craignait qu’en lui ouvrant son âme il n’entrât dans un emportement qui pourrait le précipiterau tombeau ; elle pensa cela, puis elle résolut de garder le silence.

A deux ans de cette époque, dans une matinée du mois de mai, les jeunes filles d’Aubusson avaient pris leur robe blanche : mais ce n’était point pour une fête, car un long voile noir couvrait leur visage attristé.
Et dans le cimetière, une tombe était ouverte, et des fleurs y furent déposées.
Dans une boîte d’ébène appartenant à Etiennette, à Etiennette qui venait de mourir en cherchant quelqu’un que ses yeux ne purent rencontrer, en prononçant des mots que personne ne comprit, il fut trouvé l’épithalame suivant. Ce petit manuscrit fit connaître l’amour mystérieux de la jeune fille, morte comme tant d’autres, incomprises ou victimes de leur cœur :on dit que le père, en le lisant, pleura des larmes stériles.

« Quand donc, ô ma bien-aimée, serons-nous unispar les doux liens de l’hymen ? Quand pourrai-je, tout brûlant d’amour, te recevoir dans ma demeure, et m’écrier, en te pressant sur mon cœur : elle est à moi, ma bien-aimée.
» Sur un rocher que la mer baigne de ses ondes, la jeune épouse attend avec impatience le retour de son bien-aimé, qui, dès l’aube du jour, est parti sur une frêle barque : plus grande encore est mon impatience, ô ma bien-aimée !
» Et lorsque le pécheur est descendu sur la grève, la jeune épouse vient avec empressement se jeter dans ses bras : avec plus d’empressement encore je t’entraînerai sur mon sein, ô ma bien-aimée !
» Sais-tu avec quels transports d’amour et de joie la veuve revoit, après une longue absence, le fils, seul fruit de ses amours, et qui est la parfaite image de son père ? Plus grande encore sera l’effusion de mon amour le jour où je te donnerai le doux titre d’épouse, ô ma bien-aimée !
» Tu seras pour moi ce qu’est la source limpide pou rle voyageur altéré, le feuillage frais pour le moissonneur au front pâle, le port pour le naufragé, la richesse pour le pauvre, la patrie pour l’exilé, la lumière pour l’habitant du cachot, la mort pour le malheureux,l’espérance pour l’infortuné, la vie pour l’amant heureux, les larmes pour le cœur chagrin : tu me seras plus que cela encore, ô ma bien-aimée !
» Le soir d’un beau jour d’été, lorsque déjà la lune argenté la verdure, n’es-tu jamais venue dans le vallon solitaire respirer la fraîcheur de la brise parfumée ? Tu as sans doute, dans une délicieuse rêverie, écouté les sons mélodieux que le chantre de la nature confiait aux échos d’alentour ? S’il t’avait été donné d’approcher de l’hôte mystérieux du bocage, tu aurais vu sa fidèle compagne bercée dans son doux nid, tandis que lui, sur la branche au dessus, soupire ses chants d’amour,ses hymnes de bonheur : ainsi de nous, ô ma bien-aimée !
» Et lorsque le sommeil fermera tes paupières, je me tiendrai là pour veiller sur ton repos, et enlaçant mes bras dans tes bras divins, je respirerai ton haleine embaumée, et je remercierai Dieu de mon bonheur, et tu seras mon ange, ô ma bien-aimée !
» La belle Galalée était fiancée au berger Lycoris;leur mariage devait se célébrer lorsqu’on dépouille le tendre agneau de sa douce toison. Mais Lycoris, ennuyé de l’attente, vint trouver un jour sa chère Galatée et lui dit : demain je veux être ton époux, ô ma bien-aimée ! et la bergère répondit : demain je serai ton épouse : ainsi de nous, ô ma bien-aimée !
» Et le lendemain, les bergers et les jeunes filles du village enviaient le bonheur de Lycoris et de Galatée ;ainsi de nous, ô ma bien-aimée !
» Ma bien-aimée est gracieuse comme la liane qui embrasse le palmier, riante comme le bleuet au milieu des moissons dorées, gaie comme la tendre agnelle qui bondit vers sa mère, légère comme la gazelle ou la jeune biche; elle a la sensibilité de la sensitive, la douceur du lait et du miel, la blancheur du lys, le coloris de la rosé : elle est toute belle, ma bien-aimée !
» Si parfois ma bien-aimée penche la tête sous la tristesse et la mélancolie, comme le pavot et la tulipe sous la pluie, j’essuierai de ma main ses larmes, et je lui dirai : ne pleure plus, ô ma bien-aimée !
» Quand la nature sera riante et le jardin fleuri, je conduirai ma bien-aimée, dans de gracieuses vallées,où serpente le clair ruisseau ; puis, sous le hêtre ou l’églantine, je ferais un lit de mousse, et je reposerai à côté de ma bien-aimée !
» Et les oiseaux dans la feuillée chanteront leurs chants d’amour, et je dirai à ma bien-aimée : vois, les oiseaux se livrent à l’allégresse et à l’amour : ainsi de nous, ô ma bien-aimée !
» Et comme je ne goûterai le plaisir que lorsque tu seras à moi, je soupire vers le jour que tu peux hâter pour mon bonheur, ô ma bien-aimée ! »

Pauvre Louis ! pauvre Etiennette ! vos noces devaient se faire dans le ciel.

Etienne BOULGON,
Professeur au collège de Magnac-Laval (Haute-Vienne).

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