De l’Anthropogogie pour parler formation d’Adultes

Ceux qui me suivent savent que j’aime jouer avec les mots. Par contre, quand il s’agit de la sémantique de mon travail, je suis assez exigeant et certains usages professionnels m’interrogent car ils véhiculent des idées d’une autre époque. Parlons donc :

PÉDAGOGIE

Je suis formateur d’Adultes et je travaille dans un centre de formation lié à l’Éducation Nationale avec des responsables de l’EN, des inspecteurs de l’EN, des formateurs de l’EN et il arrive régulièrement que notre langage commun soit questionnant pour moi.

En effet, je suis entouré de contrats « pédagogiques », de parcours « pédagogiques », de scénarios « pédagogiques », etc.

On sait pourtant que la pédagogie est la « science de l’éducation des enfants » et qu’elle n’est que par extension, celle des adultes.

Cette « pédagogie » ou enseignement dirigé par l’enseignant, place encore aujourd’hui trop souvent l’élève dans un rôle de soumission exigeant l’obéissance aux instructions de l’enseignant. Il est basé sur l’hypothèse que les apprenants n’ont besoin de savoir que ce que l’enseignant leur enseigne. Le résultat est une situation d’enseignement et d’apprentissage qui favorise la dépendance au professeur. (Knowles, 1984)

ANDRAGOGIE

En ce qui concerne la formation d’adultes, il existe un terme courant : l’Andragogie, inventé par l’Allemand Alexander Kapp en 1833.

Ce terme est formé à partir de deux mots du grec ancien, anèr (ἀνήρ) ou andros (ἀνδρὀς), qui signifient « l’homme », dans le sens d’humain mâle ; et agogos (ἀγωγός), qui veut dire « le guide ». On désigne donc par « andragogie » l’ensemble de techniques susceptibles d’amener à la connaissance, d’éduquer, de former les hommes adultes.

Ce mot est ensuite popularisé par l’américain Malcolm Knowles dans les années 70.

Pour rappel, la théorie de Knowles liste six affirmations liées spécifiquement à la motivation des adultes en situation d’apprentissage :

  1. Besoin: les adultes ont besoin de connaître le pourquoi d’un apprentissage.
  2. Particularité: l’expérience (dont la prise en compte de l’erreur) est la base de toute activité d’apprentissage pour les adultes
  3. Investissement: les adultes doivent pouvoir être impliqués dans les décisions liées au dispositif d’éducation mis en place : organisation, modalités d’évaluation de l’enseignement proposé.
  4. Utilité : les adultes préfèrent apprendre ce qui leur servira à court terme dans leur travail ou leur vie privée.
  5. Modalité d’apprentissage: l’apprentissage par situation-problème est plus adapté pour les adultes que la simple transmission de connaissances.
  6. Motivation: les adultes réagissent mieux à une motivation intrinsèque qu’à des exhortations externes.

L’andragogie est donc par essence différente de la pédagogie en ce qu’elle met l’apprenant au centre de la formation, elle postule que tout individu possède en lui les moyens de sa réussite. L’apprenant adulte possède déjà une histoire de vie, des expériences et ambitions, il attend de nouvelles méthodes, idées, opinions et motivations et il connait déjà des situations de responsabilité contrairement à l’enfant. Cela légitime l’usage d’un mot spécifique à la formation d’Adultes.

Ce terme d’andragogie est couramment employé, si l’on en juge les usages sur les réseaux sociaux, par des formateurs de terrain qui comprennent et mettent en avant les spécificités de leur métier (Non, c’est pas mon portrait …). Il reste pourtant contestable dans son étymologie. En effet, il suppose que seuls les “hommes” (Andros) peuvent se former et l’on voit là des siècles de patriarcat imposant une vision réductrice des femmes qui n’ont pas à s’émanciper par la formation, car le mot Gynégogie est, lui, loin d’être entré dans le langage courant.

Si l’on part du principe que le terme « andragogie » est peu approprié puisqu’il renvoie à l’homme, au mâle (andros) par opposition à la femme et que le mot « pédagogie » est encore moins idéal puisqu’il fait référence à l’éducation des enfants (pais, paidos, « enfant, jeune garçon » et agein, « conduire », quel mot utiliser ?

Il y a peu, j’ai réagi à ce sujet en réponse à un post d’un groupe Andragogie sur twitter et on m’a répondu «il n’existe pas d’autre mot », preuve que cette sémantique est bien ancrée.

Spoiler : En fait, ce n’est pas tout à fait vrai.

ANTHROPOGOGIE

Dans les années 80, des éducateurs hongrois, entre autres, placent l’enseignement et l’apprentissage dans un système global appelé « anthropogogie » (Dusan Savicevic in « Systèmes d’éducation des adultes dans les pays socialistes européens : Similitudes et différences. AN Charters and Associates, Comparaison de l’éducation des adultes dans le monde. San Francisco : Jossey-Bass », 1981).

Ce système se subdivise en pédagogie (concernant l’éducation des jeunes) et en andragogie (concernant l’éducation des adultes), comme lien d’une éducation permanente.

Dans le « Grand Livre de la Formation » paru chez Dunod en 2012, on peut lire sous forme de regret : «Bien qu’il semble étymologiquement limiter la démarche au seul usage des hommes, le terme d’andragogie a finalement été préféré à celui d’anthropogogie, qui avait pourtant le mérite d’aborder l’Homme avec un H ».  (Michel Barabel, Olivier Meier, André Perret)

Si l’on veut donc parler de formation tout au long de la vie, le terme d’anthropogogie serait donc plus adéquat que n’importe quel autre terme, puisqu’il envisage à la fois tout le genre humain (anthrôpos) et la notion de continuité d’enseignement et de formation de l’enfant à l’âge adulte.

La notion d’anthropogogie peut donc créer une continuité des objectifs de formation tout au long de la vie, dont certains sont bien connus de nombre d’entre nous, comme par exemple :
  • En premier, comme base, l’éducation, 
  • Puis, la remédiation face aux problématiques de décrochage scolaire ou de manque de projet professionnel : Insertion et Réinsertion,
  • L’intégration des migrations mondiales dans un système de formation continue : Alphabétisation,
  • l’acquisition de qualifications pour ceux qui en manquent : Acquisition,
  • L’adaptation et le perfectionnement de ces compétences ou qualifications face aux évolutions de la société : Recyclage,
  • La reconversion professionnelle, nécessaire à nombre de personnes dont les emplois disparaissent à cause de mutations sociales, technologiques… : Conversion,
  • La possibilité d’évoluer dans ses connaissances et compétences pour “monter dans l’échelle sociale” : Evolution.
Cette liste peut-être affinée, la typologie est discutable (n’hésitez pas à la discuter en commentaire) mais utiliser le mot Anthropogogie, c’est donc bien la possibilité d’envisager la formation du point de vue de l’adulte, avec une vision globale de son parcours dans un contexte donné. Ce contexte, c’est notre société à l’instant T et l’on voit ici comment peut se construire une citoyenneté au delà de la préparation des individus à un emploi.
Pour un formateur ou un centre de formation, cela paraît une bonne façon de s’inscrire de façon efficace dans ces continuités d’histoires de vie.

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