Quelques questions à Sylvain Buthaud, As du Numérique

Sylvain Buthaud, tu es gérant de NTech Conseil et co-fondateur de la solution “Les As du Numérique”, une plateforme de mise en relation entre tous ceux qui ont des problèmes numériques au quotidien et une communauté “d’As”, intervenants en ligne, amateurs ou professionnels du numérique, que vous avez sélectionné. Tu fais partie de cette “tech” qui nous interroge mais aussi de ceux qui portent des solutions pour les plus en difficulté avec le numérique, la technologie et les compétences associées.

Sur ce site, nous avons une catégorie “Défricheurs” liée à nos origines rurales et parce que, quand ça devient trop difficile d’avancer, de cultiver, il faut des gens pour éclaircir le terrain et tu nous parait faire partie de ceux-là. Du coup, on a quelques questions pour toi :

Ça te vient d’où cette envie d’aider, de pallier le manque de compétences de certains ?

Cette idée vient de loin, je la déterminerai en trois actes :

  • Premièrement mon expérience d’une dizaine d’années en boutique de téléphonie mobile du rôle de vendeur à celui d’entrepreneur m’a fait prendre conscience de la différence entre la faculté d’invention des sociétés dite de “la nouvelle technologie” et de la compréhension voire de l’acceptation de ces technologies par la population. En effet j’ai passé plus de temps à conseiller, à apprendre à mes clients à s’en servir et à comprendre l’intérêt et la logique d’utilisation, qu’à vendre des abonnements et des téléphones qui sont vite devenus des smartphones. Je me suis également souvent opposé à ma hiérarchie quand j’étais salarié sur le fait que notre rôle était vraiment d’accompagner ce changement majeur sociétal quand les discours il y a 15 ans  étaient “il faut vendre et puis c’est tout”. Petit à petit, les grandes entreprises de la téléphonie mobile ont pris conscience de l’importance de mettre le client au centre de leurs intérêts commerciaux. Et les valeurs pour lesquelles je me battais  depuis des années ont enfin été reconnues.
  • Le deuxième événement marquant est quand j’ai dû former ma propre grand-mère de 84 ans à l’usage du smartphone car, étant loin géographiquement,je tenais à ce que l’on puisse avoir un lien régulier notamment par visioconférence. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’il était tout à fait possible de former des personnes très éloignées du numérique. Une fois qu’on avait trouvé le point d’entrée, il était beaucoup plus facile de les convaincre, de leur apporter les compétences nécessaires à l’utilisation de ses outils. Grâce à cela, elle a pu voir grandir ses petits-enfants malgré les 400 km qui nous séparaient. Puis s’initier à Youtube pour voir de l’opéra, ou bien encore consulter ses horaires de bus, ou envoyer et recevoir des photos…
  • Enfin l’idée de créer l’application “As Du Numérique” s’est structurée un jour de déplacement pour mon activité professionnelle de dépannage à domicile: Une cliente m’appelle très embêtée en me disant qu’elle n’avait plus Internet, qu’elle avait contacté son opérateur que pour lui tout marchait bien mais elle était sûre que comme elle définissait elle-même son problème Internet ne marchait pas. Je fais donc le déplacement à 45 minutes de voiture pour au final m’apercevoir que son problème venait du fait qu’elle avait enfermé sa box dans un placard et donc que évidemment les ondes wi-fi ne passaient pas dans le reste de la maison. En rentrant de cette Intervention, pendant les 45 minutes retour, j’ai eu la révélation : il fallait faire cette application d’entraide numérique où, pour régler ce genre de problème, il n’y a pas forcément besoin de faire venir un technicien et que la communauté des gens formés, compétents sur des petits soucis numériques, pouvait dépanner l’autre partie de la population confrontée à cette fracture numérique.

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Pour toi, le mot « compétence » a-t-il une signification particulière ?

Pour moi, le mot compétence se réfère à la faculté de savoir-faire telle ou telle chose, d’être à l’aise ou du moins avoir les armes pour le devenir et, quand on parle de compétences numériques, c’est la faculté à savoir prendre en main l’outil à ne plus en avoir peur. Ce mot résonne en moi plus sur sa notion d’expérience, que de diplôme censé, dans un monde très cadré, valider la compétence. Je suis personnellement convaincu que lorsqu’on obtient un diplôme, c’est plus grâce à notre faculté de s’adapter à ce que l’on nous demande pour obtenir ce diplôme plutôt qu’à développer ses compétences transversales qui nous aident à nous débrouiller dans la vie. Je suis un fervent partisan de l’adage “c’est en forgeant qu’on devient forgeron” les compétences s’acquièrent en pratiquant, c’est évident.

As-tu un parcours classique dans l’acquisition des compétences ?

Classique, oui et non : j’ai suivi au départ un cursus classique, en effet je sors d’une école de commerce (IDRAC de Lyon) où j’ai obtenu un BTS diplôme minimum “me disait-on à l’époque” pour commencer sa vie professionnelle. Puis je me suis écarté de ce cursus tout d’abord en choisissant un métier qui sortait du cadre, en effet je suis devenu directeur de centre de vacances ce qui m’a amené à voyager et notamment passer un an en Guyane. A vivre des aventures, à faire mon expérience, à appréhender l’autre. Ne dit-on pas “les voyages forment la jeunesse”.

Depuis, toutes les compétences que j’ai développées ont été le résultat de la volonté d’augmenter mes capacités et de l’expérience accumulée au cours de mes années de pratique. Je cherche également à m’entourer de gens compétents enfin de m’imprégner de leurs savoirs et de progresser à leurs contacts. Je suis curieux par nature et dès que je trouve de la connaissance, je tente d’en récupérer un maximum.

Peux-tu nous citer un outil technologique ou numérique, matériel, site, MOOC, qui t’a marqué dans l’apprentissage de tes compétences et pourquoi ?

Il y a évidemment plusieurs outils, sites qui m’ont marqué et qui m’ont permis de progresser. En premier évidemment, je citerai le smartphone qui a été une vraie révolution pour moi car il permet de regrouper énormément d’outils dans un objet compact que l’on a toujours sur soi. Ensuite je citerai le livre audio qui a été une aubaine dans mon cas, car étant atteint de troubles visuels m’empêchant de lire autant que j’aurais aimé le faire, cette technologie m’a permis d’accéder à une culture, une philosophie, des connaissances que je n’aurais pu lire de mes yeux.

J’entretiens ma veille technologique grâce aux réseaux sociaux, et notamment twitter qui me donne les différentes sources sur lesquelles je peux m’appuyer pour augmenter mes compétences.

De plus, je ne dénigre pas les fameux tuto de YouTube qui permettent de prendre en main tel ou tel outil à son rythme.

Enfin, j’avoue être fan de l’histoire de la naissance d’une application comme Coursera qui permet de mettre du contenu autrefois réservée à des élites au vu et au su de tous. En effet, vous pouvez par exemple si un sujet vous intéresse avoir accès aux travaux universitaires les plus poussés grâce à internet, là où ces thèses et  recherche n’était jusqu’à un passé pas si lointain accessible qu’à une certaine élite. Enfin, je résumerai toutes ces notions par un mot : manipulation, en effet c’est en faisant, en se trompant, en recommençant que l’on progresse. L’outil est une chose la volonté en est une autre il faut passer du temps faire, défaire, refaire puis passer à autre chose…

Par exemple, en ce moment, n’ayant pas une culture du code, je me forme via une application : Solo Learn, qui permet de progresser à mon rythme dans l’apprentissage de différents langages de programmation. Ce qui me permettra de mieux comprendre les développeurs qui travaillent avec moi sur le projet As Du Numérique. Et d’augmenter ma palette de formateur.

Si je te dis « technologies », ça a quel écho en toi ? Des outils, des méthodes ?

On ne peut décorréler ce mot technologie de l’histoire de l’humanité. En effet, où commence la technologie ?  Pour moi, elle commence quand l’homme invente ses premiers outils, ses premières techniques, du silex, à la roue, en passant par le feu, la poudre à canon, ou tout autre inventions ayant révolutionné l’humanité, tout est technologique.

Ce mot renvoie également à l’acceptation ou au rejet de ses nouvelles techniques : Il n’y a pas une seule innovation qui n’a pas suscité le débat : du chemin de fer à la 5G en passant par les ondes radio ou l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie, chaque technologie a apporté son lot de débat contradictoire, d’infox et de vérité qui se contredisent avec le temps.

Je cite souvent Platon dans Phèdre qui faisait parler Socrate, qui faisait une saillie contre l’écriture censée “détruire la mémoire de l’homme”. On se rend compte à travers ces récits, que chaque invention qui bouleverse notre quotidien est toujours difficile à accepter et que seul l’histoire et le temps juge de la pertinence de l’invention.

Les outils changent, les méthodes aussi, chaque technologie est remise en cause par la suivante.

Je citerai Schumpeter qui disait que chaque révolution (y compris technologique) passait par 3 phases : ridicule, dangereux, évident. Je suis d’accord avec ce constat, des aqueducs romains, aux métiers à tisser de Jacquard, du premier programme d’Ada Lovelace au smartphone ou l’internet et demain l’imprimante 3D. toutes ces technos sont ou vont passer par ces 3 phases.

Penses-tu que la technologie peut apporter une réponse aux problèmes de société ?

La question est vaste et, comme souvent, elle ne peut pas être tranchée radicalement. Comme je viens de le décrire, la technologie fait partie de la société depuis toujours, elle a été développée pour répondre à ses besoins et ses enjeux. En fait elle ne doit être là que pour nous faciliter la vie, on invente la roue car elle nous aide à déplacer des charges lourdes on invente le vaccin pour répondre à des problèmes médicaux et sanitaire, on invente l’ordinateur car on est plus capable avec notre cerveau d’humains de faire des calculs de plus en plus complexe, etc. en fait je dirais qu’elle ne peut pas apporter de réponse aux problèmes de la société mais qu’elle doit apporter des réponses !!

Les NBIC par exemple doivent nous aider à répondre aux enjeux de demain comme jadis à la Renaissance, les nouvelles sciences (humaines, scientifiques, de la terre, etc…) nous ont permis d’affronter les enjeux d’alors.

Cependant la technologie ne peut pas tout, c’est avant tout ce que l’homme en fait qui définit leurs utilités. Ainsi, quand Einstein détermine ses théories sur les relativités, il ne se doute sûrement pas que cela servira à la fois à apporter des solutions énergétiques indispensables en même temps qu’une arme de destruction massive.

Quel est pour toi la priorité dans le développement des compétences numériques ou technologiques ?

La priorité est pour moi de faire prendre conscience à tout le monde que l’on peut s’approprier n’importe quelle technologie, qu’il ne faut pas en avoir peur, et qu’avec du travail, de la volonté, on arrive à développer des compétences. Comme jadis, les agriculteurs ont vu arriver le premier tracteur “engin de malheur” qui devait réduire les futures générations à l’état de fainéants.

Les objets numériques que nous voyons arriver aujourd’hui subissent les mêmes reproches. On ne peut ignorer comme le disait Michel Serres que l’invention de ses outils technologiques du XXIe siècle est aussi importante dans l’histoire que l’invention de l’écriture ou que de l’imprimerie, car il change le paradigme de la société.

Il y a cependant une différence notable, c’est le temps de déploiement et d’acceptation de ces différentes technologies : En effet, en moins de 15 ans, la moitié de la population mondiale et 90 % de la population des pays développés s’est équipé, alors qu’il a fallu beaucoup plus de temps à la technologie de Gutenberg pour s’imposer à tous.

Pour résumer, l’enjeu est donc de former la population à répondre à l’injonction numérique qu’impose les gouvernants (administratif en ligne, télédéclaration, images numérique, etc.), et donner à chacun les armes pour développer ses propres compétences.

Mais si le développement de ces compétences est indispensable pour tout le monde, il s’agit de ne pas oublier de rester Humain au sens Sapiens du terme. Il faut de l’empathie pour transmettre. Les apprenants sont invités à définir et à parfaire leurs propres objectifs d’apprentissage. Le contenu de la formation est basé sur des problèmes pratiques que les participants affrontent souvent. La formation est faite dans un cadre participatif où les méthodes sont variées Le but n’est pas de devenir comme le détermine Harari, Homo Deus. Mais simplement de se servir des outils de son époque pour ne pas rester de l’autre côté de cette fameuse fracture numérique... et se simplifier la vie.

Dans ta stratégie, sur quels outils est-ce que tu t’appuies ?

Il faut savoir faire un mix entre les outils les plus utilisés qui sont, pour la plupart, gérés par ce que l’on appelle les GAFAM car on peut difficilement s’en passer, mais il faut toujours s’atteler à créer une ouverture d’esprit pour donner l’envie d’utiliser aussi des solutions alternatives comme l’open source les solutions et écoresponsable, souveraine aux niveau des donnés, etc.

Il faut savoir utiliser la suite Google et aussi la Framasuite, Powerpoint autant que Genially, Limesurvey ainsi que Google forms, etc.

Les MOOC sont également de supers outils de partage et de développement. Tout comme les blogs spécialisés ou les portails comme Eduscol ou Canopé par exemple.

Une image valant mille mots je m’appuie également sur beaucoup de contenu vidéo (merci YouTube).

Et enfin des outils comme la taxonomie de Bloom ou le mindmapping  m’aident au quotidien à structurer mes idées afin de mieux transmettre mon expérience et mon savoir.

Dans ce contexte de développement des compétences technologiques, as-tu une citation préférée et quelle est pour toi sa signification ?

J’en citerai deux, de la même personne le philosophe Michel Serres pour lequel j’ai une admiration sans bornes, je suis en effet fasciné par la faculté qu’a eu cet homme notamment sur la fin de sa vie à s’approprier ces nouvelles technologies en comprendre le sens profond, et à ne pas tomber dans le “c’était mieux avant” en essayant de toujours positiver et de trouver des ouvertures là où tout le monde voyait des portes se fermer.

« Chaque fois qu’il y a un changement de support, il y a un Socrate qui engueule un Platon »

Et enfin je suis un inconditionnel de sa métaphore sur le pain :

 « Si vous avez du pain et que j’ai un euro, si je vous achète le pain j’aurai le pain et vous aurez l’euro. Mais si vous avez un sonnet de Verlaine ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, si vous me les enseignez à la fin de cet échange, j’aurai le sonnet et le théorème et vous n’aurez rien perdu. Dans le premier cas, il y a équilibre c’est la marchandise. Dans le second il y a accroissement, c’est de la culture »

Ces deux citations réveillent en moi des sentiments différents. Le premier est qu’il faut toujours savoir revenir dans l’histoire pour comprendre le futur, ne jamais hurler avec les loups et savoir remettre en question même ses convictions profondes.

La deuxième reflète ce que je pense et espère être au plus profond de moi : essayer d’être au quotidien un partageur, un fournisseur de connaissances, qui cherche à faire monter l’autre en compétence afin que chacun puisse s’épanouir dans l’ère que nous vivons, celle de la connaissance. Et qui garde toujours éveillé son esprit critique. En sachant se remettre en question.

Sylvain, Troisième place de la Start-up battle d’Aliptic en 2019

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Sylvain vous propose d’utiliser POCKET, l’application ou par le site, si vous préférez écouter l’article plutôt que le lire.

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