Distribuer des “cartes Joker” en formation ?
Ma fille vient de valider son Master en Ingénierie pédagogique (Papa fier ici –> <– ) avec un mémoire dont le sujet, les biais inconscients des formateurs experts, m’a interpellé dans mes postures personnelles : Est-ce que je fais assez pour balayer ces biais qui parasitent mes formations ? Je suis depuis des années une sorte d’expert en inclusion, sociale, numérique, etc. Un collègue dit même que j’ai sauvé un paquet de vies (Oui, c’était exagéré, je ne me souviens réellement que de deux…) mais il y a toujours au fond de ma salle celui qui n’ose pas s’exprimer et que je ne sollicite pas assez, par facilité souvent. La remise en question est fondamentale dans nos métiers, cherchons des outils.
Il y a quelques temps, nous avons travaillé sur un Jeu de cartes pédagogique sur le fonctionnement d’un ordinateur. La ludification des apprentissages est un de mes thèmes de prédilection (vous l’aurez compris en me suivant) . Cette idée de cartes de jeu a cheminé et je me suis posé la question de comment faire pour l’intégrer au sein même du quotidien de la formation. C’est en jouant à des jeux basiques qu’une solution m’est venue : Utiliser une carte Joker.
Ah ben oui, dit comme ça, c’est pas très explicite mais imaginez un moment de tension au sein d’un groupe, une difficulté personnelle devant un apprentissage et cette habituelle envie de réagir en sachant que cela va remettre en question le moment de formation. Dans ce cas, une sorte d'”objet transitionnel” créant “une aire d’expérience neutre qui ne sera pas contestée” (D.Winnicott) , serait bien utile. Des dispositifs similaires existent dans des jeux de société ou des activités de développement psychosocial : la carte Joker y permet de contourner une difficulté ou de “passer son tour” sans sanction, et favorise l’expression de soi et le respect des limites personnelles. En l’adaptant au contexte de formation d’adultes, cette démarche accentue la reconnaissance du participant comme acteur lucide de son propre apprentissage.
La carte Joker devient un outil pédagogique adaptable qui offre aux apprenants la possibilité de prendre l’initiative lorsqu’ils se sentent en difficulté ou face à un moment de tension, alors même qu’il serait réservé, timide, avec des difficultés d’expression, etc. Distribuée en début de formation, elle matérialise un droit à l’ajustement du cadre ou du rythme selon les besoins réels du participant, et s’intègre parfaitement à une démarche andragogique centrée sur l’autonomie et le respect des rythmes d’apprentissage, en plus d’être un outil au service de l’inclusion de tous.
Objectifs de la carte Joker
- Responsabiliser l’apprenant sur sa participation : il peut demander un ajustement adapté à son besoin du moment.
- Dédramatiser les moments de blocage ou de fatigue, en offrant un recours structuré mais souple.
- Favoriser l’inclusion et l’écoute, en reconnaissant la diversité des besoins au sein du groupe.
- Renforcer l’engagement en faisant du cadre de formation un espace co-construit, ouvert à la négociation ponctuelle.
Fonctionnement de la carte Joker
À la remise :
- Chaque apprenant reçoit une carte à usage unique (ou limitée si vous le souhaitez) en début de session de formation.
À l’utilisation :
- L’apprenant peut, à tout moment, “jouer” sa carte Joker et demander l’un des droits suivants (à adapter selon vos propositions et le contexte du groupe) :
- Faire une pause courte (individuelle ou collective) pour respirer et se recentrer.
- Changer de place ou s’isoler un instant, si la situation ou l’environnement devient inconfortable.
- Demander à reformuler ou ralentir l’explication, si le rythme ou le jargon est source de blocage.
- Proposer un changement de modalité : passer d’un apport théorique à un exercice pratique (ou l’inverse).
- Solliciter un temps d’échange informel : poser une question “hors sujet” brièvement ou exprimer un ressenti.
- S’abstenir d’une activité donnée qui le mettrait en inconfort, avec possibilité de rejoindre le groupe pour la suivante.
- Cette liste est non exhaustive.
Exemple de carte à personnaliser
Exemples concrets de modes d’utilisation
- Un stagiaire se sent dépassé par un exercice collectif : il joue sa carte Joker pour demander une pause, ou pour effectuer l’exercice avec un binôme au lieu du groupe entier.
- Un autre préférerait, lors d’une séquence assise, pouvoir se lever et marcher quelques minutes : il utilise son Joker pour “négocier” ce droit informel.
- Lors d’un point théorique dense, un participant joue sa carte pour solliciter un exemple pratique, ce qui profite souvent au groupe entier.
Points d’attention et variantes
- Cadre clair: Précise bien en début de formation les règles d’usage du Joker, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas (ex : protéger le bon déroulement global, ne pas nuire à l’avancement collectif).
- Valorisation de l’autonomie: Insiste sur le fait qu’utiliser ou non sa carte n’est pas un échec, mais un acte responsable.
- Réflexion de groupe: Un débriefing en fin de formation peut permettre de discuter collectivement de l’apport du Joker et des ajustements qu’il a permis.
En résumé : La carte Joker constitue un levier simple, ludique et respectueux pour favoriser l’auto-régulation, la sécurité psychologique et l’inclusion en formation d’adultes -au cœur d’une démarche andragogique bienveillante – mais encore faut-il être en capacité, en tant que formateur, de prendre le risque que les apprenants rebattent les cartes.
Bonus : Si votre formation fait appel à la créativité de vos apprenants, vous pouvez faire un atelier de personnalisation de cartes joker où chacun crée sa carte à son image avec des éléments parlants. Cela peut générer un travail sur l’identité, la différence, les divers centres d’intérêt du groupe, etc. selon vos orientations.
Commentaires récents