Patrimoine culturel, conservation & transmission.

Ce week-end, je me sens particulièrement concerné par les Journées du Patrimoine.

Pas seulement pour les visites, je commence à bien connaître le territoire qui m’entoure, mais pour l’évolution de cette notion que l’on qualifie parfois de fiction juridique. Le patrimoine est propre à un individu, c’est ce qu’il possède. Quand il est collectif, on arrive rapidement à la notion de patrimoine culturel ou historique qui peut être soit matériel (mobilier ou immobilier), soit immatériel (savoir-faire, histoire ..) : tant de “créations anonymes, surgies de l’âme populaire “.
Je suis formateur sur un Brevet des métiers d’Art local autour de la tapisserie d’Aubusson, labellisée Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco . J’y transmet l’histoire locale de cet Art  pour une raison simple : je suis issu de cette histoire, concerné au premier chef. Ma famille s’est greffée à Aubusson en 1771 et cette branche de mon arbre généalogique ne compte que de tapissiers en ouvrières en tapisserie, jusqu’à mon père l’enseigne toute sa vie professionnelle pour le Ministère de la Culture à l’Ecole Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson.

Je n’ai pourtant pas suivi cette voie naturelle : le tissage, car ma génération a vu péricliter l’intérêt pour cet art, jusqu’à voir la fermeture des formations que l’Etat lui consacrait depuis 1884 à l’Ecole des Arts. J’ai fait le choix de transmettre d’autres savoirs mais cette connaissance accumulée sur l’attachement de ma famille à la Tapisserie et à sa capitale m’a poussé un temps à partager ce que je savais ou possédais comme documents via un site Internet. De documents familiaux en recherches personnelles, je me suis forgé une culture du domaine qui dépasse la recherche formelle et je conserve précieusement le moindre bout de papier qui pourrait parler de cela.

Jusqu’à ma génération, le patrimoine familial, documents, savoirs, etc, était à l’abri, conservé et transmis de générations en générations. Le lieu d’habitation était stable et on avait toujours un membre de la famille pour conserver et transmettre son histoire.

Aujourd’hui, notre société nous pousse à la mobilité, vivre à la campagne n’est plus la norme, y faire des études encore moins. Pour la plupart, nous ne vivons plus avec les “anciens” qui nous apprennent la vie. Ce patrimoine devient un poids, une attache dont on tente de rompre les liens au plus vite. A la mort des parents, les enfants vendent les maisons avec tous les biens à l’intérieur, c’est courant. Ces biens, morceaux d’histoire, se dispersent aux vents de brocantes dans le meilleur des cas et finissent en déchetterie dans le pire …

L’individu n’est plus le garant de son histoire, de ce qui fait sa propre identité.

L’institution peut-elle le remplacer ? Elle en a souvent compris l’intérêt : préserver l’identité d’un lieu au travers de la conservation de son passé et des l’histoire de ses habitants, c’est s’assurer une spécificité qui peut devenir source de richesses : touristique, économique … C’est par ce fait que l’on assiste à une collectivisation du patrimoine. Le système de la Dation, donation d’un patrimoine culturel important en paiement d’impôt, qui date de 1968, en est une parfaite démonstration.

En choisissant de vivre comme actuellement, nous faisons donc le choix collectif de la conservation de notre patrimoine culturel. Le point d’orgue pourrait en être “La grande collecte” de documents familiaux sur la Première Guerre mondiale, organisée à grande échelle par l’Etat et qui pousse chacun à prendre conscience de la richesse de son patrimoine familial. Une belle idée car ses documents sont partagés sur un site Internet et, en partie, à la disposition de tous. Cette configuration se développe : partager ce qui fait notre patrimoine commun sur internet. Nous sommes pourtant seuls face à ce développement.

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Mais des lieux s’organisent. Aujourd’hui, en ce qui concerne Aubusson et la Tapisserie, (grâce à une volonté locale, départementale, régionale) une institution, la Cité Internationale de la Tapisserie, a pris le relais de l’initiative individuelle et est chargé de la monstration, promotion, conservation, transmission, développement … et ils font ça bien : les relais sont nombreux, le monde de l’Art redécouvre ce patrimoine et les visiteurs, enchantés de retrouver un peu de cette identité propre, se bousculent.

Ailleurs, ce chemin a déjà été suivi avec plus ou moins de bonheur, au gré des institutions qui financent : réductions de budgets ou fermetures de Musées qui coûtent trop, Obligation pour ces conservateurs de vendre des œuvres … On a vu dernièrement tant d’exemples du plus prestigieux au plus anecdotique : la Pinacothèque, Musée des Tissus et des Arts Décoratifs de LyonDupuytrenMusée Louis de Funès, etc. au point que le “Quotidien de l’Art” puisse titrer “De plus en plus de musées menacés de fermeture en France“. . D’autres, ici-même, accompagnent la monstration d’œuvres locales rares d’une dilapidation commerciale de pâle augure. Aussi riches qu’ils soient, les musées ont de toute façon leurs limites et voient filer des pièces essentielles d’un patrimoine local. Ils ont aussi cette fâcheuse propension à vivre au fil des élections et à réécrire l’histoire au gré d’élus plus ou moins éclairés.

De quoi générer des craintes pour le futur.

Dans la sphère privée, la conscience de perdre son identité a un effet sur le patrimoine : nombreux sont ceux qui achètent un pan de culture, loin de leurs propres racines, en achetant un bâtiment patrimonial. Ils rénovent en pensant s’approprier l’âme du lieu alors qu’ils n’en font que nettoyer les traces, tel le coucou qui n’apprendra jamais à faire un nid. Il existe heureusement de belles réussites quand la volonté de compréhension dépasse celle de spéculer sur un patrimoine. On voit des collections de cartes postales qui flambent, la moindre facture ancienne à prix exorbitant sur les sites d’enchères. Par manque de temps ou fainéantise dans la recherche, on s’invente un passé qui n’est pas le sien à coup de dépenses, on tente un bouturage pendant que l’UNESCO labellise l’immatériel, ce qui ne s’achète pas, ce qui ne se saisit pas.

D’autres seraient plus proches de la compréhension de cet immatériel. De par le monde, même s’ils se réduisent, il reste de nombreux lieux où la tradition demeure : transmission familiale d’un art et d’une histoire. Une femme turque qui a grandit avec l’apprentissage naturel du tissage me parait par exemple particulièrement proche de ma grand-mère. Un mineur chilien aurait sûrement le même esprit que mon arrière grand-père.

Comment donc transmettre sans risque ce qui fait la richesse d’une famille : ce savoir passé de générations en générations, cette connaissance et ses documents qui parfois l’accompagnent ? Comment conserver l’expertise d’un professionnel rare : cet œil qui voit ce que la plupart ne voient pas, cette main qui sait faire ce que d’autres ne savent pas ? Comment sauvegarder ce qui ne se met pas en fiche : l’humain dans le patrimoine ?

Les japonais ont un terme populaire pour désigner les personnes certifiées conservateurs des biens culturels immatériels importants : “trésor national vivant“. Cette certification dans la maîtrise d’un bien culturel immatériel comporte 3 degrés : individuel, collectif (petit groupe) et en grand groupe. Elle est accompagné d’un financement pour celui qui l’obtient afin d’aider à cette conservation.

Cette mise en phase parfaite entre celui qui a reçu, ceux qui veulent conserver et ceux qui veulent entendre est une belle leçon à la fois de conservation et de transmission avec l’humain au cœur.

Des interrogations qui seront balayés par le temps ? Je pose ça là et on en discute …

 

 

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2 réponses

  1. Sourioux dit :

    Bonjour,

    Qui pourrait recenser, et sous quelle forme, ces petits morceaux d’histoires personnelles qui font notre histoire commune ?
    Comment en limiter le flow ?

    Peut-être si cela se passait il n’y a pas trop, trop longtemps, pas trop trop loin du pont de la terrade…
    FX Sourioux

  2. Jean-Noël SAINTRAPT dit :

    Recenser, c’est très à la mode. On filme beaucoup, on fait des documentaires, des enregistrements. J’ai fait ça en 1996, mon père l’a fait vers 1980. Ce sont des traces de l’existant à un instant T, pas des certitudes de transmission … en fait je crois que, pour poursuivre, on est obligé de balayer et réécrire une partie de l’histoire, de Disneyiser une partie du Patrimoine. Les Indiens d’Amérique auraient des leçons à nous donner là-dessus et le pont de la Terrade est bien loin de leurs préoccupations.