Du marché du travail à un marché de compétences
Je travaille sur des actions de formation dont l’objectif est la redynamisation et/ou la détermination de projet professionnel afin de s’insérer sur un territoire donné. Je tente de combler certains manques de compétences clés afin d’intégrer plus facilement le marché du Travail… Sauf que j’ai toujours trouvé bizarre cette appellation de “marché du travail”. Je sais bien que c’est un lieu théorique de rencontre de l’offre de force de travail, de savoir-faire et de compétences (par la population inactive) et de la demande solvable de travail mais j’ai toujours eu dans la tête l’image de gros patrons qui venaient chercher des ouvriers sur l’étal d’hypothétiques marchands.
Un peu problématique quand on tente de faire comprendre ces notions à des jeunes chercheurs d’emploi qui essaient de déterminer ce qu’ils pourraient bien faire de leur vie. Je me disais ça il y a peu pendant que j’étais en train de griffonner (oui, je griffonne, c’est même devenu un gimmick avec mes apprenants) un plan de l’évolution de cette demande de travail au tableau :
Je pars d’un marché du travail traditionnel : une formation = un diplôme = un métier et j’éclate cela rapidement en centaines de compétences individuelles professionnelles et personnelles, qui créent soit quelque chose de très structuré, soit des potentiels et des manques. Idéal pour faire le compte de ses atouts et de ses faiblesses au delà même de la phase recherche d’emploi.
Mon tableau avec la fameuse © “métaphore de la tarte aux pommes” explicative de la transférabilité des compétences personnelles
Et c’est là qu’une des activités du groupe enseignant P@tchW0rk m’est revenue : le marché de connaissances : Sur le Slack du groupe, C4PT41N a proposé un fil consacré au partage de connaissances à partir de deux messages personnels : un #Je Partage et un #Je Cherche. De quoi déclencher nombre d’échanges et d’apports positifs.
Ce marché est très proche d’un marché de compétences. C’est pas franchement une idée nouvelle, elle s’exploite même en maternelle au cours d’ ateliers où des enfants apprennent à d’autres des choses qu’ils savent faire. Le principe d’un marché de Compétences a pu être théorisé par CHARLES CATELIN sur Les ECHOS le 4 Juin “Le Marché des Compétences, ou un autre engagement paritaire” notamment en ce qu’il pourrait tendre à apaiser les conflits du marché du travail (Ah tiens, il est conflictuel ?) et rendre les échanges plus horizontaux.
Dans certains métiers, ce marché des compétences serait même la seule évolution possible. En informatique par exemple, et notamment dans le cadre des formations que je coordonne, on voit bien que des compétences précises trouvent une plus-value professionnelle immédiate, même si elles sont particulièrement morcelés : on a pu comme cela embaucher une jeune fille sur un module de formation dédié au cyber-harcèlement. On voit bien que cela ne mène pas à un emploi au sens du marché du travail mais bien à un usage précis de compétences essentielles à un instant T.
Yannick Fondeur et Catherine Sauviat, économistes à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales, ont publié en 2003 dans un numéro thématique de Formation/Emploi un article titré “Les services informatiques aux entreprises : un « marché de compétences »” qui tend, face à l’acquisition d’un grand nombre de compétences transférables numériques dans divers domaines, à montrer que le marché de compétences peut devenir un nouveau mode de régulation.
“Maurice et Patapon” par Charb
C’est une nouvelle flexibilité, illustrée par Charb ci-dessus, qui s’installe. Plus seulement liée aux temps de travail mais aussi aux besoins en compétences précises détenues parfois, sur un territoire, par un nombre très limitées de personnes.
Face à un manque de compétences flagrant dans certains domaines, les dispositifs de formation professionnelle sont le plus souvent conçus sur la base d’une ingénierie de formation se référant au « modèle de la compétence » (Zarifian, 2001) ou à « l’approche par les compétences » (Coudray & Gay, 2009). La notion de compétences s’inscrit dans le paysage de la formation comme LA solution.
Il reste à ce que ces compétences, parfois uniques, parfois morcelées, puisse profiter à la fois aux individus apporteurs mais aussi aux acteurs économiques d’un territoire et pour cela, la mise en place de réels marchés de compétences, via des outils numériques dédiés par exemple, serait une belle proposition.
On pourrait par exemple s’appuyer sur des outils tels que le diagramme de Venn afin de construire des ensembles qui iraient au delà d’un individu et pourrait prendre en compte des ensembles-réseaux de compétences. J’ai toujours en tête l’Homo Gestalt décrit dans “les plus qu’humains” de Théodore Sturgeon, qui dépasse en capacités les individus qui le composent et développe de véritables pouvoirs en commun.
Les diagrammes de Venn représentent généralement deux ou trois ensembles mais il est possible d’en représenter un plus grand nombre. Wikipédia montre le schéma ci-dessous : quatre sphères forment le diagramme de Venn d’ordre supérieur qui a la symétrie d’un simplexe et qui peut être représenté visuellement. Les 16 intersections correspondent aux sommets d’un tesseract (Spécial dédicace aux fans de Marvel : oui, je sais, j’en ai écrit du texte pour en arriver là mais du coup, vous comprendrez mieux le sens du pouvoir de ce truc…). De quoi formaliser des ensembles-compétences complexes, multi-individus et les valoriser via des structures adaptées (Tiers-lieux ?).
Certains vont me répondre que la formation n’est pas là pour penser marché de l’emploi, encore moins l’école et l’éducation évidemment, mais dans mon boulot ce que l’on recherche avant tout, c’est former pour insérer et, du coup, théoriser ce type de possibilités me parait un point intéressant même s’il dépasse largement le formateur que je suis pour plutôt s’inscrire dans une échelle territoriale avec un nombre d’acteurs le plus important possible.
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[…] parlé il y a peu, dans cet article, de la conception de marchés territoriaux de compétences, ensemble de compétences liées à des […]