Je crois que je suis atteint de Pédagobésité
Depuis quelques mois, je suis le travail de Nicolas Roland, concepteur d’expériences d’apprentissage et auteur d’une newsletter bimensuelle autour de l’avenir de l’apprentissage. Au fil des réseaux, j’ai vu passer sa proposition de participer à une communauté, via un Circle, dédié à l’écriture de son futur livre lié à l’innovation en terme de conception d’expériences d’apprentissage et ça m’a immédiatement parlé.
Le fait de suivre son cheminement de pensée, ses questionnements, de lire les échanges à ce sujet, réinterroge souvent mon fonctionnement propre. Au fil d’un échange, j’ai commencé une réponse communautaire et puis je me suis dit que cela ferait un note de blog intéressante :
Dernièrement, Nicolas a posé comme principe l’idée d’adopter une approche pédagonumérique minimaliste. C’est un des thèmes qu’il a déjà développé sur son blog ici : Minimalisme pédagonumérique : et si on faisait mieux avec moins ?
J’ai d’abord réagi à ces termes en partant du principe qu’il y avait une forte connotation négative dans l’idée de chercher absolument à adopter une approche minimaliste avec le numérique pédagogique. Ce côté critique, voire techno-septique, m’angoisse car il éloigne profondément des réalités du monde actuel. En effet, interdire ou refuser de transmettre ou d’apprendre aux plus en difficultés ce que l’on a posé comme base d’échanges de notre société (Quoi ? vous ne faites pas vos démarches administratives, professionnelles en ligne ? vous ne prenez pas de nouvelles de vos amis, famille, etc. avec un smartphone ?) est pour moi purement discriminatoire.
Nicolas Roland n’en est pas là, il étudie et propose à la fois des principes dans le cadre de l’apprentissage :
- Arrêter de croire qu’il est nécessaire d’utiliser des outils numériques,
- Se méfier des outils qui résolvent un problème qui n’existait pas avant l’outil,
- Accumuler les (nouveaux) outils coûte cher,
- Éviter le syndrome de l’objet brillant et n’utiliser “que le meilleur”,
- Utiliser le numérique pour améliorer votre vie pédagogique non numérique,
- Choisir est important, il s’agit de faire mieux avec moins.
Vous trouverez le détail de chaque item sur le lien ci-dessus et chacun m’a évidemment envoyé vers ma posture de formateur : Je suis totalement techno-addict, utilisateur depuis l’existence de l’informatique personnelle et testeur de tout ce qui me passe par la main (Oui, vous savez le DIGITAL ! 😉 ), J’ai un compte sur presque tous les réseaux sociaux existants (Oui, même ceux qui ne sont pas accessibles en France), je teste des tas d’IA (Voir ici, là ou là, entre autres au fil de ces pages) et je m’interroge sur les usages personnels et professionnels de chaque nouveau logiciel, application et site testés.
Je suis loin d’être le seul dans ce cas : Un baromètre dédié au développement professionnel continu des enseignants et réalisé en mars 2023 auprès d’un vaste panel de plus 1000 enseignants a montré que :
- Les enseignants sont des « débrouillards de la formation continue : 80 % de la formation continue des enseignants relève de l’autoformation (contre 20 % de formations institutionnelles proposées ou imposées).
- Le digital est devenu le premier lieu de formation continue des enseignants : plus d’un enseignant sur deux se forme via internet (59%) ou les réseaux sociaux (60%). L’analyse personnelle de ses pratiques (57%) et les discussions avec les collègues (41%) n’arrivent qu’en troisième et cinquième position.
- L’engagement des enseignants dans leur développement professionnel continu est solitaire, invisible et non valorisé : une forte majorité des enseignants se forme en dehors de leur temps de travail pendant leurs week-ends (55 %) ou le soir (45%).
- Le développement professionnel continu est un levier d’amélioration des pratiques pédagogiques et un pilier de la réussite des élèves : un enseignant sur deux rapporte que leur engagement dans une dynamique de développement professionnel continu a eu un impact positif sur leur désir d’approfondir leurs connaissances (52%), d’utiliser un nouveau matériel pédagogique (49%) et améliorer leurs pratiques pédagogiques.
Au delà même de la notion de numérique, qui reste le premier vecteur de formation des enseignants, j’en suis à me demander si on ne pourrait inventer la notion de pédagobésité, sur le modèle d’infobésité, pour nommer cette propension à s’intéresser perpétuellement à tout ce qui est nouveau et à se demander comment l’intégrer dans nos cours. Qui n’a pas un blog comme moi, un Padlet, un Pearltrees ou autre moyen de stockage de méthodes, d’outils et de tas de bazar que l’on utilisera – peut-être – un jour dans nos cours ?
Pédagobésité : Excès d’informations liées à la pédagogie, qu’une personne ne peut traiter ou supporter sans nuire à elle-même ou à son activité.
Est-ce que l’on peut lutter contre ? Je ne suis pas sûr. On est tous des formateurs-trices qui passons notre temps à nous nourrir de nouveaux concepts, idées, moyens pour être toujours en capacité de nous adapter : à un nouveau public, un financeur, un objectif, etc.
Minimaliste, c’est donc difficilement dans mon vocabulaire. Je suis une sorte d’éponge qui se gorge de tout ce qu’elle peut pour n’en transmettre parfois qu’une infime partie (et je parle de ça avec 35 ans d’ancienneté, ça veut un peu dire que ça ne cesse jamais).
J’ai longtemps pensé que le formateur était un traducteur, qu’il prenait une langue, étrangère pour son apprenant, et donnait la capacité de la comprendre. Face à l’afflux constant d’informations de tous sens (Tiens, l’infobésité ?), il ne suffit plus de traduire mais bien d’abord de choisir : LA méthode adaptée à tel cadre de formation, LE bon outil pour faire passer un message à un apprenant et lui donner la capacité de le retenir, etc.
Plus facile à dire qu’à faire. Cette attitude, cette boulimie d’attente du truc qui va réinventer notre pédagogie (et réenchanter notre métier ?), accentuée par les réseaux, lieu de partage et donc formation des enseignants devient vite une posture : Je suis un bon formateur, j’ai des tonnes de ficelles dans ma valise.
En fait, plutôt qu’adopter une attitude tendant dès le début vers le minimalisme, si j’en juge ma façon de faire, il vaut mieux penser clarification. Ce terme est intéressant car il comporte deux sens utiles pour ma démonstration : C’est à la fois, l’action de rendre plus pur une substance, dans notre cas la pédagogie au travers de ses méthodes, ses outils, ses moyens mais aussi de permettre de mieux comprendre nos desseins formatifs en explicitant nos choix.
Se réclamer d’une multitude de méthodes, utiliser des tas d’outils pédagogiques, numériques ou non, n’est évidemment jamais productif. Ce sont nos choix pédagogiques, en contexte, qui les valident. La pédagobésité n’est un travers que si nos choix pédagogiques ne sont pas explicites, clarifiés et permettent la remise en question, en puisant dans ce large panel à notre disposition.
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