3 Giga et un Mars …

On vient d’entendre une proposition étonnante sur l’usage du Numérique de l’ancienne ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem  : Elle propose de limiter le volume de données accessibles à 3 Go, partant du principe que «Si nous savons que nous n’avons que trois gigas à utiliser sur une semaine, nous n’allons sans doute pas les passer à mettre des commentaires haineux ou fabriquer des fakes. Peut-être cesserons-nous de considérer comme normal de passer plusieurs heures sur des sites pornographiques à regarder des vidéos en ultra HD»

En tant qu’important usager de datas, notamment parce que je crée de la valeur sur le net (Ce site et d’autres avec plus de volume, car plus d’images par exemple), il y a de quoi se demander pourquoi les solutions à la montée des usages du numérique semblent presque systématiquement être des sanctions. Cette dernière est emblématique et déclenche en moi l’envie d’analyser cet état de fait.

Evidemment c’est complexe et multifactoriel et je ne penserais pas à tout (au besoin, vos ajouts en commentaire), d’autant que mon but est de construire une typologie de mauvaises solutions sans aborder de notion politique, mais voici quelques raisons possibles :

Un manque de régulation adéquate :

La plupart du temps, les lois et réglementations entourant l’utilisation du numérique dans la vie quotidienne sont en retard, voire très en retard, par rapport à l’évolution rapide de la technologie et à son appropriation par la population. On a pris l’habitude de courir après le train en marche. En conséquence, lorsque des problèmes émergent, les autorités se tournent vers des mesures répressives, cherchant des effets rapides, plutôt que de développer des réglementations plus souples et qui seraient sûrement plus efficaces.

En France, par exemple, on sait tous que la réglementation entourant l’utilisation des données personnelles a été renforcée avec l’adoption du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) de l’Union européenne en 2018. Pourtant il reste des lacunes dans la réglementation concernant d’autres aspects de l’utilisation du numérique et surtout le cadre ne fait pas la sanction de terrain : De nombreuses entreprises ne sont pas totalement en conformité malgré un nombre de contrôle grandissant.

Des problèmes de confidentialité et de sécurité :

La montée en puissance des usages numériques a entraîné des préoccupations croissantes en matière de protection de la vie privée et de sécurité des données. En 2019, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a infligé une amende record de 50 millions d’euros à Google pour non-respect du RGPD, illustrant les préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité des données en France. Leçon comprise ? En 2020, le Conseil d’État confirme deux amendes d’un montant total de 100 millions d’euros infligées par la CNIL toujours à l’encontre de Google. Dans ce domaine, nous ne sommes pourtant plus dans le détail mais, comme on a pu le voir avec le piratage des données de France Travail, sur des risques de masse. Une fois de plus, la réaction, plutôt que de former aux risques, adapter des infrastructures ou faire des choix plus responsables, c’est d’imposer des sanctions, pour dissuader les entreprises de ne pas respecter des réglementations en matière de confidentialité et de sécurité des données dont on sait qu’elles n’empêchent pas le risque.

Des préoccupations liées à la désinformation et à la cybercriminalité :

Le constat : Avec l’augmentation de l’utilisation d’Internet et des médias sociaux, il y a une prolifération de désinformation et de cybercriminalité. Divers intervenants, plus ou moins légitimes, plus ou moins formés, proposent tout un arsenal de solutions comme cette limitation de datas à 3 Go, afin de contrer ces risques. Nous avons déjà un arsenal : En réponse à la montée de la désinformation en ligne, notamment pendant les élections, la France a adopté la loi contre la manipulation de l’information en 2018, qui autorise le juge des référés à ordonner le retrait de contenus en ligne faux ou trompeurs pendant les périodes électorales. Pourtant une étude de l’Ifop affirme que 35% des Français déclarent croire aux théories du complot. Une fois de plus, l’interdiction et la sanction sont-elles efficace ?

Des pressions politiques et sociales :

Dans les facteurs qui créent de l’immédiateté de réponses à un problème de fond,  il y a la pression exercée sur certains décideurs politiques pour prendre des mesures rapides et visibles face à des problèmes liés à l’utilisation du numérique. Plus ces problèmes font l’objet d’une attention médiatique importante ou suscitent l’indignation publique, plus cela entraîne des réponses certes rapides mais avec des effets souvent très limités.

Suite à la prise de conscience médiatique du niveau de harcèlement en ligne et de cyber intimidation, il y a eu des appels à renforcer les lois pour punir ces comportements. En 2020, la France a adopté une loi contre les contenus haineux en ligne, imposant des amendes importantes aux plateformes qui ne suppriment pas rapidement les contenus haineux signalés. Personnellement, j’ai déjà signalé de nombreux cas d’insultes en ligne sur des réseaux sociaux comme X ou Facebook, ces signalements sont restés lettres mortes puisque la plateforme est à la fois juge et partie : Ce sont elles qui décident du niveau de haine en ligne à sanctionner. Donc malgré ces obligations, on se retrouve encore avec des statistiques de confrontations à des propos punissables telles que celles ci-dessous :

Un manque de sensibilisation et de formation :

On en arrive au cœur du problème : Dans de nombreux cas, les problèmes liés à l’utilisation du numérique résultent d’un manque de sensibilisation ou de compétences chez les utilisateurs.

Pour lutter contre ce manque de compétences numériques, on ne compte plus les accompagnements, les aidants, les conseillers et les lieux qui proposent des formations gratuites pour aider les citoyens à acquérir les compétences de base en informatique et en Internet. Pourtant les chiffres du nombre de personnes en difficulté face à ces outils évoluent peu : 15 % de la population en 2021 d’après l’INSEE, le même organisme donnait 17% en 2019, et ne tiennent pas compte de difficultés ou risques temporaires.

Ces réponses sont le plus souvent réponse à une incapacité technique : “Apprendre à utiliser un ordinateur” alors que le numérique aujourd’hui, c’est une culture à construire : De l’éducation aux médias à la détection de fakenews, du bon usage des réseaux sociaux à de l’empathie numérique, de la capacité à protéger individuellement, et collectivement, nos données, etc.

Acquérir une culture ne se fait pas simplement par des conseils et/ou un accompagnement, c’est un changement de vision qu’il faut impulser auprès de nombreux usagers. Il est donc essentiel de proposer des formations conscientes et efficientes, basée sur une approche plus équilibrée, combinant, s’il le faut, des mesures répressives avec des politiques éducatives, des réglementations plus agiles et une collaboration entre les différents acteurs, face à cette culture qui emporte tout sur son passage au rythme d’un train sans conducteur.

 

 

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