Continuité Andragogique

Face à la nouvelle ère, de distanciation sociale, qui s’ouvre, il va falloir inventer de nouvelles façons d’échanger, de transmettre, d’apprendre. Le cours présentiel, l’atelier, sont des modalités que l’on peut presque considérer actuellement comme dangereuses au vu des événements. Dans nos formations adultes transitent nombre d’apprenants en situation difficile, socialement, économiquement, face au handicap ou à la santé. La bienveillance nationale, comme dans le cas des plus jeunes, nous pousse à les préserver.

Dans ce cadre, faire des propositions d’apprentissage à distance parait essentiel. C’est ce qui est préconisé par le Ministère de l’Education même si nos problématiques sont plus individuelles de par les parcours différenciés de nos apprenants. En effet, on pourrait difficilement inscrire tous nos apprenants sur la même plateforme et les mêmes parcours de formation.

Dans cet article, je vais tenter d’expliquer ma façon de voir cette possible continuité andragogique, adaptée à des apprenants souvent en recherche d’emploi, en proposant quelques pistes et outils que j’utilise déjà ou bien que j’ai adapté pour un nouvel usage.

A. Les moyens de contact à distance

En ce qui concerne les formations numériques dont je m’occupe, une grande part est consacrée à la création d’une communauté apprenante. Cela veut dire que l’on crée un lien permanent entre tous les acteurs de la formation : apprenants, formateurs, intervenants professionnels …

Ce lien fonctionne en premier lieu grâce aux mails de chacun mais aussi et surtout grâce à un serveur Discord dédié qui reprend les divers canaux de formation sur le modèle décrit ici : http://www.saintrapt.com/utiliser-discord-en-pedagogie/

Le principe est simple : chacun se connecte à ce serveur via web ou l’application sur son téléphone et l’ensemble des inscrits accède à ce que chacun dépose : commentaire, fichiers, photos … Le coordonnateur de formation ou l’un des membres de l’équipe (parfois un apprenant) est nécessairement animateur de communauté.

On peut ici noter que Discord a réagit à la crise en proposant une extension des possibilités vidéo de sa plateforme. C’est une solution que l’on utilise peu : le fait de voir ma tête n’aide pas particulièrement aux apprentissages … maintenant si vous êtes plutôt du genre à faire un cours à distance comme en présentiel, il y a aussi pleins d’outils vidéo pour ça.

Le choix de Discord est fonction du public de mes formations. Mes apprenants sont souvent joueurs et utilisent déjà Discord comme canal d’échanges, ce qui facilite l’appropriation. Avec des plus jeunes, c’est encore plus intéressant donc mais il existe des alternatives comme Slack ou Teams de Microsoft qui vont fonctionner sur le même modèle pour ceux qui n’auraient pas compris le RGPD (en même temps, préconiser un outil Microsoft comme meilleur usage qu’un outil où l’on maîtrise nos données, j’ai pas de dessin à faire..).

Une petite marge d’apprenants n’a pas d’accès à internet à son domicile. Dans ce cas, le SMS est de rigueur (Oui, avec mon téléphone personnel …).

B. Structurer la formation à distance

Bien évidemment, les formations sont organisés et négociés en amont de la crise actuelle et donc les parcours des apprenants sont déjà définis. Ce sont des données auxquelles ils ont accès au préalable : outil de suivi de parcours, référentiel de formation avec modules et séquences.

Nous sommes bien dans une continuité de parcours qui bascule temporairement au tout à distance. Cela veut d’abord dire que l’on doit définir ce qu’il est possible de faire en tout à distance et réserver les parties de parcours qui nécessitent du présentiel pour des jours meilleurs.

Je vous laisse juge de vos parcours et de l’aisance avec laquelle vous pouvez transférer certaines parties en FOAD, de mon côté, avec une spécialisation de plus en plus poussée vers les usages du numérique, c’est la majeure partie de mes formations qui sont susceptibles de basculer (quand ce n’était pas déjà le cas avant).

C. Gérer l’incertitude

Pour décider des modules à basculer en FOAD, il est essentiel de préciser quel temps sera consacré à ces apprentissages. Et là …

Combien va durer cette crise ? Combien de temps chaque apprenant va-t-il réserver à ses cours ? A quel rythme vont-ils avancer dans leurs parcours individuellement ? Le cadre nous manque, l’habitude nous fait défaut, nous entrons dans la gestion de l’incertitude (C’est pas faute d’avoir été prévenu, vous vous souvenez de l’acronyme VUCA ? Une société volatile, incertaine, complexe et ambiguë dont je parlais déjà en 2018).

J’avoue que là-dessus ma première réaction est le lâcher-prise. On peut proposer à distance, on ne pourra pas imposer.

Malgré cela, en formation adultes, nous sommes des spécialistes du timing, les rois du “Mon concours est dans 2 semaines, j’ai deux heures de libre alors je voudrais apprendre à rédiger une synthèse“. Concevoir un parcours idéal en un temps rêvé fait partie de nos compétences, adapter ce parcours ensuite aux cas individuels, aux impondérables, est aussi dans nos possibilités : c’est souvent notre quotidien, on adaptera au fil de l’eau.

D. Compter sur ce qui existe

Ceux qui ont lu Michel Serres savent de quoi je parle. Tout est déjà sur Internet. Pourquoi donc ne pas renvoyer directement nos apprenants sur internet en faisant confiance en leur autonomie et leur capacité de travail ? Mmh … Un formateur n’est pas qu’un passeur, c’est aussi et surtout aujourd’hui un organisateur qui doit gérer un temps important en ingénierie (conception, stratégie, planification – relire Meirieu au besoin).

Pour autant, ce n’est pas la première fois que nous faisons cours. Nous avons matière à présentiel, un contenu, des exercices, du formatif, du sommatif, etc. Tout réinventer en un temps limité serait aberrant.

Par contre, nous avons la possibilité (l’opportunité !) d’enrichir nos productions en concevant des parcours qui mêlent travaux personnels et liens et ressources internet, de compléter des cours qui étaient destinés au papier par des renvois vers des vidéos, des podcasts, des images ou schémas à profusion dans lesquels nos apprenants pourront piocher en saisissant, selon leurs motivations, intérêts, affinités pour tel ou tel outil, le sens de ce qu’on cherche à leur transmettre.

C’est une lourde veille qui est demandé là : Quelles ressources sont les plus pertinentes ? Est-ce que je ne passe pas à côté de l’idéal ? En cela, je suis aidé par des collectifs enseignants tel que P@tchW0rk ou par mon fil twitter composé de professeurs, formateurs, enseignants … des plus innovants qui partagent et grâce à qui j’apprends beaucoup (Merci au passage).

C’est dans cette phase que l’on peut transformer nos cours, nos parcours et réellement modifier ou redéfinir ce que l’on cherche à transmettre.

E. Bon, on bosse ?

Nous avons choisi nos modules et/ou séquences à proposer à distance. Nous avons construit ces modules en partant de l’existant et en faisant un “existant augmenté” via liens et ressources.

Il reste à placer ces modules sur un emplacement distant qui donnera accès à nos apprenants. Vous allez me dire : “Avec quels outils ?

F. Avec quels outils ?

Alors, ma réaction première serait : “On s’en fout un peu, non ? du moment que ça fait son job de transmettre les cours aux apprenants

Dans les faits, c’est un peu ce qui se passe : En suivant les fils twitter d’enseignants, on voit l’infini des possibilités, de l’outil institutionnel à l’outil personnel pour se faire une liste des ressources essentielles, des éditeurs libres aux éditeurs propriétaires, des GAFAM aux outils libres … tout cela peut jouer son rôle et est déjà diversement investi.

Un infini de possibilités au service de l’apprentissage de chacun ! Wow, on est dans un monde rêvé là, non ? … Comment ? non ? Ah oui …

En ce qui me concerne, j’ai joué la sécurité. Face au manque d’outils de mon institution (On a bien une plateforme mais je n’ai pas accès à la création de cours pour une bizarre histoire de comptes croisés), j’utilise en premier lieu ma propre plateforme MOODLE, un LMS (Learning Management System) libre. J’avais parlé ici de cette installation il y a un peu plus de deux ans.

Elle comporte divers cours en usages du Numérique, structurés sur un principe de MOOC : vidéos éducatives, contenus formatifs en direct ou en téléchargement par PDF, évaluations formatives via tests de connaissances par Quiz et évaluation sommative par une activité, une mise en oeuvre se terminant par un rendu.

Cette plateforme me permet d’inscrire mes apprenants et de suivre l’avancée de leur parcours. Elle a pourtant quelques limites. En effet, certains de mes apprenants (Je rappelle que j’interviens en formation adultes parfois premier niveau de compétences) n’arrivent pas à gérer la plateforme : trop d’infos, trop de liens, trop d’endroits où cliquer.

En prévision, j’ai donc transféré certains modules sur Google Classroom pour faciliter l’accès de ceux qui, par exemple, ne se connectent aux cours que grâce à leur téléphone. La structure des cours peut se transférer assez facilement et divers outils simplifient le suivi des parcours.

Google Classroom est préconisé comme “Digital learning management systems”, entre autres, par l’Unesco (voir cette page)

https://www.youtube.com/playlist?list=PL9bSbOM-Se3ju7-Qb4PpPHcBeJnHvR9hl
Des cours pour comprendre l’usage de Google Classroom par Fourcast sur Youtube

De plus, la facilitation me parait parfois devoir passer par l’outil le plus simple et le plus accessible. Même si le pacte avec le diable devra forcément se régler un jour (En même temps, sans usagers, même le diable ne sera pas grand chose ..), le principe KISS reste essentiel pour tout outil pédagogique et là, on est pas mal puisque de nombreux apprenants disposent au moins d’un smartphone et donc d’un compte Google via Android (85 % des possesseurs de smartphone en France, 75 % des français ayant un smartphone, ça nous amène à un peu plus de 43 millions de comptes Google Ces chiffres montent même à 98 % pour les 18-24 ans).

G. Ah ben bravo ! Et le RGPD ?

Comment ? Parce que vous, vous êtes nickels de ce côté ? Mmh, comment dire ? Sinon pour garantir tout ça (Oui, je fais pas non plus trop n’importe quoi, un peu mais pas trop…), d’abord Google Classroom déclare respecter le RGPD. Ensuite je suis conscient que dans la mesure où les apprenants utilisent donc leur nom, un identifiant ou encore une adresse électronique pour accéder au service proposé, ces solutions numériques constituent des traitements de données à caractère personnel au sens du RGPD du 27 avril 2016 entré en vigueur le 25 mai 2018 et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Mais :

  1. Je peux justifier que ce traitement est nécessaire à l’exercice d’une mission d’intérêt public ou relève de l’exercice de l’autorité publique dont je suis investi, au sens du e) du 1 de l’article 6 du RGPD car sans outil, je ne peux pas faire cours à distance et personne ne me fournit d’outil (En plus, si on peut pas invoquer cet article actuellement, en pleine crise, quand est-ce qu’on pourra ?),
  2. Je suis en mesure de justifier que l’utilisation d’une telle application entre pleinement dans le champ du service public du numérique éducatif, ne serait-ce que pour comprendre Google et son fonctionnement,
  3. Et surtout, je m’arrange pour recueillir le consentement des utilisateurs (adultes, je le rappelle) de mes cours en application du a) du 1 de l’article 6 du RGPD et conformément aux dispositions de l’article 7-1 de la loi du 6 janvier 1978 issu de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles en ce qui concerne l’âge des utilisateurs. Je fais ça en leur demandant explicitement leur consentement dans un premier cours en ligne et en expliquant les données collectés et leur but. S’ils refusent, je les oriente vers des solutions Cours pdf via mail.

Une pratique intéressante dans ce cadre, c’est la possibilité de faire créer à chaque apprenant un dossier “formation” sur son drive personnel et de lui demander de le partager avec vous. De cette façon, vous pouvez distribuer du travail facilement et l’apprenant garde la maîtrise de ses données.

H. On a dit “s’appuyer sur l’existant

En plus de mes cours, et afin de profiter de ce moment pour avancer vers plus de Apprendre à Apprendre en autonomie, sur un fil d’actualité du Discord commun, je renvoie systématiquement vers les plateformes de MOOC existantes : France Université Numérique, OpenClassRooms pour proposer des inscriptions ciblées, vers des certifications numériques comme le PIX, les Google Ateliers numériques, le MOOC Cyber sécurité de l’ANSSI et l’atelier RGPD de la CNIL qui sont des fondamentaux non seulement des usages du Numérique mais aussi de nos usages sociaux. J’ajoute, en fonction des parcours, des liens pour une meilleure connaissance des réseaux sociaux avec Facebook Blueprint ou LinkedIn Learning.

Ces formations en ligne pré-existantes sont intéressantes car on peut s’y inscrire et y retrouver des apprenants pour jouer le rôle de tuteur-accompagnateur.

Et voilà …

Si vous voyez des problèmes dans ce retour d’usages, n’hésitez pas à me laisser un commentaire : Dans cette galère, il faudra plusieurs rameurs.

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2 réponses

  1. Bonjour Jean-Noël,
    Auriez-vous un peu de temps à m’accorder en cette période de confinement ?
    Je m’intéresse à moodle et je suis certain que vous en savez bien plus que moi. Je vous ai envoyé une invitation sur LinkedIn mais je ne suis pas sûr que vous alliez souvent sur cette plateforme.
    Au plaisir de vous lire, ou de vous entendre.
    Bien à vous,
    Mathieu

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